L'entendre dire que nous étions aussi proche selon sa perception de notre relation fusa comme un éclair dans mon cerveau. Je nous savais proche. Je nous savais assez intime pour nous permettre de nous voir en dehors du travail, dans un contexte presque familial. Certes. Mais je n'avais pas imaginé qu'il aurait été assez confiant pour pouvoir emprunter mon nom de famille comme si ça avait été le sien. Pourquoi rougissais-je alors ? Étais-je troublé par sa liberté d'action et de penser qui me faisait secrètement le jalouser ? Était-ce cette volonté de sa part de vouloir me venir en aide tel un mécène personnel qui m'embaumais le cœur d'un sentiment enivrant ? Ou alors, étais-je en proie à des sentiments plus forts en imaginant que nous puissions être encore plus proche que nous l'étions jusqu'à maintenant ?

Vous me connaissez, je ne suis pas un homme très à l'aise avec les sentiments, du moins, pas avec ceux qui mettent en jeu une notion d'amour, peu importe la forme et le degré sous lequel il se présentait. Le plus troublant encore, c'est que l'idée que Zelliel me fasse cet effet ne me dérangeait pas, tout comme l'idée qu'une charmante femme m'eut convoité au détour d'un verre en soirée ne me dérangeait pas. Il apparaissait alors que j'étais encore un novice dans ce compartiment-ci de la vie d'adulte, et que je n'allais sûrement pas trouver de réponse à mes questions, ne sachant déjà pas ce qu'il en était réellement de la situation.

- Oui, de la m-m-même famille. *feignant l'évidence de la confidence* Ha ha ha... ha ha.
- Parfait ! Commandons l'apéritif ! enchaina-t-il sans réellement prêter attention à mon rire forcé. Qu'est-ce qui te ferait plaisir Léo ? C'est pour moi, j't'invite.
- Oh ! Heu... eh bien merci déjà ! Et puis... heu... *regardant la carte des spiritueux et autres cocktails estivaux* ...je n'ai absolument aucune idée de ce que l'on peut boire dans ce genre d'endroit. Tu me conseilles quelque chose ?
- Toi ? Un amateur de bon champagne et de cocktails en tout genre qui ne sait pas ce qu'il veut ? Tu me charries ? s'étonna Zelliel.
- Non, j't'assure. Je ne blague pas. me défendis-je. Je ne suis pas un habitué des endroits chics comme celui-ci. Qu'est-ce que môsieur Zelliel boirait lui ?
- Mmmmpf... marmonna-t-il en se grattant la barbe inexistante de son menton. Te connaissant, et vu les noms proposés, je partirai sur un Hugo Spritz.
- Un keuwa ? répondis-je de manière idiote et simplette.
- PWOUAHAHA, si tu voyais ta tête ! pouffa-t-il. Un Hugo Spritz. Un petit cocktail à base de prosecco, un champagne typique des régions du Sud, dans lequel on mélange un peu de limonade, quelques feuilles de menthe, et une base sucrée à tomber par terre : du sirop de fleur de sureau. expliqua-t-il avec une excitation toute particulière.
- Eh bien je te fais confiance ! Va pour un Hugo Sprizz.
- Spritz mon cher ! Ssssppprrriiitttz ! HAHAHA !



Et voilà que nous ricanions de mon erreur de prononciation, un comble pour un professeur de lettres et de langues du monde. Pour ma part, c'était sa façon se moquer de moi et de me garder comme cible de ses taquineries régulières qui faisait mon hilarité soudaine. Son humour était léger, simple, toujours de situation et plaisant à éprouver. Il est de ce genre de personne qui pourra vous faire rire peu importe le moment, peu importe l'humeur, à partir de tout et rien à la fois. Une qualité impressionnante pour quiconque savait s'en servir à bon escient. Et c'était son cas. Ce qui n'arrangeait pas mes affaires dans ce sursaut de sentiments étranges que je commençais à développer pour lui depuis quelques temps.

Nous étions des amis proches, très proches. Nous partagions des choses très importantes lui et moi depuis de nombreuses années. Nous n'avions pas forcément de secrets l'un pour l'autre, mais nous étions assez respectueux pour ne pas s'immiscer dans les pensées et la vie privée de l'autre. Mais qu'en était-il de cette impression d'allégresse et de facilité à chaque fois que nous étions au même endroit ? Ressentait-il la même chose que moi ? Je ne savais pas vraiment comment aborder la question avec lui, et j'espérais que l'alcool ainsi que le cours de la soirée joueraient ma faveur pour pouvoir amener ce sujet naturellement et sans quiproquo possible.

- D'whop ! Décidément, ça mord fort aujourd'hui ! Pour vous aussi ?
- Eeeeh, pas plus que d'habitude. Pas plus que d'habitude.


Il est marrant ce petit vieux. Un inconditionnel de la pêche au gros sur Bourg Palette. C'est en quelque sorte sous sa tutelle que j'ai pu capturer ce Léviator tout à l'heure. Cette Méga-Canne vendue au kiosque des pêcheurs, plus haut vers le laboratoire du Professeur Chen, faisait de vrais miracles. Et j'allais être une nouvelle servi. Ce ne fut pas un géant des mers cette fois-ci, mais plutôt un banc d'Hypotrempe semblant se donner en compétition devant mon hameçon flottant à la surface de la mer.

- Ooooh, les revoilà. Le gang des frimeurs je les appelle. énonça le pêcheur âgé.
- Je sens que vous avez une petite anecdote à me raconter là-dessus. le lançai-je.
- Un peu que j'en ai des anecdotes fiston ! Cette petite troupe de garnements des mets tout particulièrement. Ils sont connus vous savez.
- Ah oui ? Qu'ont-ils de particuliers ? Ils m'ont l'air inoffensifs.
- Oooooh, ne vous méfiez pas à leur apparence de petits chevaux de mers standard. Ce sont de vrais forces de la nature. A plusieurs, ils font des ravages ! Oh oui !
- Des ravages ? J'ai du mal à y croire. Racontez m'en plus !
- Tiens-toi bien fiston, ça va remuer un peu...

Et il ne croyait pas si bien dire ce vieillard aficionado de la canne. Sans vraiment crier gare, les Hypotrempe se mirent à tournoyer autour de mon hameçon, créant un début de tourbillon aqueux. La force centrifuge et déjà pesant de l'eau attirait inexorablement l'hameçon vers son centre, exerçant une pression sur la ligne qui était fermement maintenue à ma canne, m'obligeant ainsi à commencer une manœuvre de ferrage pour garder le fil intact. Sur le coup, je ne prêtais pas plus d'attention que ça au stratagème des Hypotrempe, car ces derniers recommençaient à se chamailler entre eux, comme s'ils tentaient de se donner en spectacle devant nous.

- Je reconnais cette tactique ! dit le vieux. Je la reconnais bien...
- Ah ? Que pensez-vous qu'ils soient en train de faire ? l'interrogeai-je.
- Oooh, c'est simple. Ils commencent par provoquer une sorte de siphon dans l'eau, pour attirer la ligne du pêcheur plus loin. Ce qui provoque une tension plus forte sur le fil, le rendant plus fragile à d'éventuelles offensives lancées dessus.
- Hein ?! Des offensives vous dites ? Mais pourtant ils ont l'air de chahuter entre eux ?
- Ne vous faites pas avoir. Je les connais bien, je les connais bien. Ils font mine de ne plus s'intéresser à votre hameçon, mais en réalité, ils s'activent sous la surface pour maintenir le siphon pour préparer leur passage à l'acte.
- Eh bien, prononçai-je en tenant fermement ma Méga-Canne, on va voir ça !


L'un des pokémons chevaux de mer semblait avoir noté mon changement d'attitude face à leurs cabrioles aquatiques. Comme si le défi teintant ma voix à ce moment précis avait réveillé le mental de compétiteur chez l'Hypotrempe qui venait de s'écarte du groupe pour revenir tout doucement vers ma ligne. A en croire son regard, mignon certes, mais brillant d'une lueur farouche, le pokémon eau préparait son méfait. Il reprit de lui-même le mouvement circulaire d'il y a quelques secondes auparavant, pour intensifier à nouveau le tourbillon.

Je compris tout de suite les mots du fou de pêche à côté de moi ; cet Hypotrempe cherchait réellement à faire casser ma ligne, s'emparer de l'hameçon et potentiellement le ramener auprès de ces congénères en guise de trophée d'une victoire retentissante sur un humain un peu trop joueur. Sauf que ce petit dernier s'aperçut que je n'étais pas aussi calme et sympathique que j'en avais l'air. Il venait sans le savoir de réveiller également le compétiteur ardent qui sommeillait en moi. Je n'avais qu'un objectif, dérouter son plan, et l'amener tout doucement dans le piège qui se tramait dans mon dos.

Si tout allait comme je le voulais, la pokéball qui était à portée de bras allait fuser en direction de ce pokémon aux allures de petit prince triton, et j'allais faire de lui mon nouveau compagnon de pêche. Avec son tempérament de joueur et de défi, je ne pouvais que bien m'entendre avec lui. Mais fallait-il encore que ma manœuvre fonctionne. Tout d'abord, je commençais à exercer une pointe de puissance en plus dans mes mains, pour raffermir un peu plus mon grip, et apposer une résistance supplémentaire sur la rigidité de la canne. Cela eut pour effet de la stabiliser net, rendant les mouvements du fil presque de nouveau inexistants.

- Joli fiston ! Tu as le coup de poignet, oui, tu l'as ! Tu pêches depuis longtemps ? me demanda le vieux monsieur impressionné.
- En quelques sorte oui, autrefois, sur Parmanie, vers la plage au sud du centre ville, mon père m'emmenait pour y pêcher quelques animaux de mers, et parfois même quelques Kokiyas. lui racontai-je.
- Oooooh, Parmanie ! Une très jolie ville, Parmanie. J'aime bien Parmanie.
- Vous devriez y retourner vous savez. enquillai-je. A cette période de l'année, les bulots sont de sortie, et parfois même, on peut y croiser des Crustabri !
- Tu me prends par les sentiments fiston ! avoua le pêcheur vétéran. Je vais bien finir par y retourner, oui, y retourner pour pêcher.
- Ne vous privez pas alors ! Profitez de l'adrénaline que la nature peut vous offrir ! rugis-je alors que ma ligne commençait à refaire des siennes.


L'Hypotrempe n'avait pas dit son dernier mot. Voyant que je ne concédais aucun terrain de plus que de prime abord, le cheval des mers version pokémon décida de passer à l'offensive. Tout d'abord, il tenta de m'asperger le visage avec une attaque Pistolet à O ; ingénieux quand on y pense, mais j'étais préparé aussi de mon côté. Il ne fallait pas oublier que Draco était toujours de la partie, et que même s'il ne participait à l'effort du lancer de canne à pêche, il était quand même à mes côtés pour me soutenir. Il l'avait déjà fait lors de la capture du Léviator, ce n'était pas un petit Hypotrempe présomptueux qui allait le faire fuir.

Mon compagnon draconique en profita pour balayer l'attaque en plein vol avec sa queue souple et robuste. Ce qui n'eut d'autre effet que de faire enrager encore plus l'Hypotrempe qui décida cette fois-ci de procéder à un enchainement d'une attaque Bulles d'O, accompagnée de quelques jets d'encre aquatique, autrement connus sous le nom de Brouillard. Encore une fois, très ingénieux de sa part, car quoi de mieux que brouiller la vision du pêcheur pour ensuite chiper son hameçon à l'abri des regards. Mais Draco ne l'entendit pas de cette oreille, et dans un rugissement assourdissant, il fit apparaitre une brise soudaine et compacte, via sa capacité Ouragan, afin de dissiper l'écran d'encre en deux temps trois mouvements.

Trop c'était trop, et le petit pseudo triton vit rouge. Sentant que sa stratégie prenait peu à peu une tournure contrariante, il décida d'augmenter sa vitesse de nage autour du siphon aquatique. Visiblement, Draco arrivait à suivre ses mouvements, probablement dus à l'utilisation de la technique Hâte qu'il connaissait très bien, étant celle qu'il avait utilisé lors du soixante-septième concours de coordination en tandem de Gesthinanna. Mon Ortide, elle me manque un peu, j'espère vite retourner sur Parmanie pour la rejoindre. Ma si belle et si douce Rafflesia qui m'avait fait l'honneur d'évoluer pour me protéger des Mouffouettes et du Moufflair de la forêt de Floraville.

- Fiston, je crois qu'on entre dans un tournant de votre duel. Il va falloir mouliner, car le petit ne va pas tarder à s'en prendre à ton hameçon ! Oui, ton hameçon ! radota le vieux.
- Je vais écouter vos paroles pleines de sagesse, et je vais guetter la moindre tentative de gobage de ce petit freluquet, comme vous diriez !
- Tu te moques de moi garçoooon ?
- Haha, non, je n'oserais pas voyons ! annonçai-je avec une pointe de sarcasme.
- Aaaah. Je dois me faire des idées alooors. répondit-il en se rendant confus lui-même.


Le duel entre le cheval de mer pokémon et moi-même faisait rage. Les autres Hypotrempe ne faisaient que regarder leur acolyte avec un air de satisfaction, comme si le résultat était couru d'avance, et en la faveur de celui faisant partie de la petite troupe. Mais ce n'était que mal me connaitre pour oser tenter croire à une victoire avant même que je n'eus commencé de donner le meilleur de moi-même. On nait compétiteur, ou on ne l'est pas. Et moi, le challenge, c'est dans min sang depuis tout jeune. L'adrénaline de la confrontation me galvanisait, et je manias la canne comme une extension de mes bras. Je ne faisais plus qu'un avec elle, un peu comme je n'avais fait plus qu'un en face du Léviator.

Ce ne fut qu'au bout de quelques dizaines de minutes de jeu du chat et de la souris que l'Hypotrempe téméraire et un brin taquin mordit à l'hameçon que j'avais disposé au bout de ma canne à pêche professionnelle, la Méga-Canne. La réaction de ma part ne se fit pas attendre, et je me dépêchai de déployer la force de mes bras qu'il subsistait encore, pour commencer un nouveau jeu : celui du ferrage de poisson. L'art spécifique de la pêche requiert non seulement de la patience, mais de l'endurance, et surtout lors des phases de moulinage pour ferrer la proie prise au piège par la bouche.

Il fallait que j'y aille par à-coups. Que je donne du mou par moment pour laisser au pokémon hippocampe la chance de pouvoir libérer lui aussi un peu d'énergie, et lui donner cette impression de pouvoir s'échapper de l'hameçon, tout en gardant moi le contrôle de la force que j'exerçais sur la ligne. Puis parfois je moulinais avec vigueur et rythme, pour moi-même épuiser ma proie en l'obligeant à nager à contre-courant de ce que ma ligne lui dictait, afin d'entretenir cette volonté s'échapper par tous les moyens physiques possibles et imaginables.

Ma carrière en tant que pêcheur n'était pas réellement folle, ni même reluisante, mais j'avais un certain succès avec les petites prises de prime abord. Mais à ce moment-là, je n'avais que l'image du Léviator qui était parvenu à rester dans ma Scuba Ball. Ce sentiment de puissance d'avoir braver la force intrinsèque de ce pokémon dragon aux allures de mastodonte des eaux. Cette impression d'invincibilité d'avoir su ferrer un tel spécimen de pokémon réputé pour sa férocité, son endurance, sa force gargantuesque et son agressivité monstrueuse. Et surtout, l'adrénaline de se dire que si on a été capable de s'octroyer la coopération d'un tel représentant de la lignée des pokémons aquatiques, alors il n'y avait pas d'autres spécimens, dans l'eau, qui ne pouvaient poser plus de problèmes.

Mais c'était me tromper que de m'avancer dans ce genre de réflexions. Car l'Hypotrempe en avait dans sa trompe, et il me le faisait sentir à plusieurs reprises en tentant de s'extirper du hameçon toujours loger dans un coin de sa région buccale, grâce à un ingénieux soubresaut physique de ramener sa queue en spirale vers la zone céphalique de son corps, des fois qu'il eut la possibilité et la chance de pouvoir toucher l'appât, afin de l'expulser vers l'extérieur de sa trompe, et redevenir ce pokémon libre qu'il était quelques minutes auparavant.