Le visage toujours caché derrière ses deux mains, Caihong rougit. Elle ne devrait pas avoir un mot plus haut que l’autre, ce n’est pas la bonne manière de se comporter. Encore moins face à un être qu’elle chérit un peu plus chaque jour. Après plusieurs secondes d’immobilité honteuse, elle s’approche des on poichigeon et s’agenouille devant lui. Ce dernier a un réflexe de recul en la voyant approcher, geste qui fend le coeur de sa dresseuse. Bien qu’il soit enfermé entre quatre murs et des fenêtres closes, elle craint de le voir partir.

- Je suis désolée Haoyu, pardonne-moi…

Ignorant la douleur dans ses doigts, elle pose les mains, paumes vers le haut, contre le sol. Ensuite, elle les avance, doucement, en direction de son pokémon. Elle n’ose pas le regarder, bien qu’elle aimerait lui adresser un regard suppliant. De toute façon, elle n’est même pas sûre qu’il soit capable de reconnaître ses expressions.
Haoyu la considère longuement avant d’enfin s’approcher de ses mains. Il commence par les tapoter du bout de son bec, comme pour s’assurer qu’elles ne sont pas dangereuses, avant de consentir à aller dessus. D’un bond de sa patte unique, il atterrit maladroitement sur les paumes de sa dresseuse. A mesure que son compagnon s’installe, Caihong élargit le cercle de ses mains jusqu’à être dans la bonne position pour pouvoir le soulever avec délicatesse. Elle s’assure de soutenir ses serres et que ne dépassent que les plumes de ses ailes, trop grandes pour sa prise. Haoyu se laisse faire, elle en conclut qu’il lui pardonne. Elle sent qu’elle pourrait en pleurer de joie si seulement on ne lui avait pas appris qu’il fallait toujours qu’elle garde contenance et dignité. Elle a déjà assez fauté avec son éclat de voix précédent à son goût.

Elle porte son poichigeon tout contre elle et reste assise de longues minutes par terre pour le câliner. Elle le transfère de ses mains au creu de ses bras. La créature trouve ça confortable et enfouit son bec dans son coude en fermant les yeux. Un bref rire atteindri échappe à l’humaine lorsqu’elle le voit faire. Elle se prend à le bercer doucement, comme s’il était un enfant. Elle sait que c’est un jeune poichigeon, mais les pokémons apprécient-ils être bercés ? Tout ce qu’elle sait, c’est que ça ne semble pas gêner Haoyu. Elle penche la tête vers l’avant, pour être au plus proche de lui, et s’excuse encore à voix basse pour son comportement précédent. Elle a craqué, elle n’aurait pas dû.
Elle songe aussi qu’il faudrait qu’elle nettoie et fasse du rangement dans cette pièce car il lui semble qu’elle est assise sur un couvert - peut-être une fourchette - mais elle a plus important à faire pour le moment. Elle a décidé qu’Haoyu dormirait avec elle et, en conséquence, il faut qu’elle lui trouve un coussin confortable parmi ses affaires avant d’aller se coucher.

Ce samedi, la température n’a fait que monter. Pourtant, malgré la chaleur étouffante de l’après-midi, Caihong se retrouver à marcher le long de la promenade qui borde la côte de Ho’ohale en compagnie de Vaheana. L’ombre manque, car il y a peu de palmier ou autres structures à même d’en apporter. Bientôt, la ville devrait re-végétaliser ce chemin afin d’apporter de l’ombre, mais en attendant l’été rend cette belle balade difficilement supportable. Cependant, les deux femmes ne comptaient pas attendre les travaux pour y revenir. Pour elle, le beau paysage en vaut la peine, ainsi que les moyens infinis de faire la conversation autour du constat qu’il fait trop chaud. Conversation peu intéressante, mais qui peut souvent empêcher les discussions d’aller sur des terrains trop intimes pour Caihong.
Elle laisse son regard se perdre dans l’immensité de l’océan. Le bleu de l’eau, immaculé, n’est perturbé que par quelques bateaux de plaisance et goélises se reposant à la surface. Elle se demande si, cette année, elles auront la chance de voir des dofins sauvages. Il y en a parfois tant qu’il n’y a pas encore trop de touristes. Dans sa contemplation, Caihong n’écoute plus son amie que d’une oreille, car elle trouve qu’elle radote. Ce n’est pas dérangeant, au contraire : discuter ainsi ne demande pas d’efforts. Surtout que le chemin est long, car elles sont lentes : Vaheana doit manier la poussette tout du long.

- Tu sais, son père voudrait qu’il ait un pokémon dès ses dix ans, poursuit l’amie en posant un regard songeur sur son enfant assoupi. Je ne sais pas quoi en penser, c’est encore si jeune, dix ans… Peut-être un pokémon inoffensif, comme un croquine qu’on ne laisserait pas évoluer, mais comme son père est dresseur professionnel je ne pense pas que ça lui conviendrait. A tous les coups il lui voudra un brindibou !
- Vous avez encore le temps de voir venir, commente Caihong histoire de dire quelque chose.
- Ce sera là plus vite qu’on le pense ! Tu ne te rends pas compte, mais tu verras lorsque tu en auras un. Le temps passe à une vitesse folle et ils poussent si vite… Regarde comme il est grand déjà.

Caihong baisse les yeux vers la poussette. Le petit To’Rico, nommée ainsi en l’honneur du toko gardien de Mele-Mele, continue de dormir à poing fermés. Il ne lui paraît pas changé depuis la dernière fois que les deux femmes se sont vues et que Vaheana lui trouvait déjà une poussée de croissance. Enfin, elle peut bien faire semblant d’être d’accord avec son ami : ça lui fait tant plaisir. En plus, contrairement à d’autres tout-petits, celui-ci a le mérite d’être toujours calme lorsqu’elles se voient.

- Ton mari est là en ce moment ?, finit par demander Caihong comme Vaheana tourne en boucle sur la croissance de son fils.
- Non, il ne revient qu’à la fin de la semaine prochaine. En ce moment, il enchaîne les petits tournois à Hoenn. Il y en avait beaucoup à des dates rapprochées. D’ailleurs, il a gagné celui de la semaine dernière !, un sourire se dessine sur son visage. Elle doit songer aux répercussions financières d’une victoire. J’aimerais le convaincre de faire le tour des îles prochainement. S’il se lançait, il pourrait être plus proche de la maison… Le problème, c’est que les combats d’arène fait à Alola ne sont pas retranscrits à la télévision, comme tu sais. Et comme il se cherche des sponsors en ce moment, c’est pas vraiment compatible.

Les deux amies continuent de discuter de la carrière de dresseur professionnel qu’a choisi le mari de Vaehana. Elle s’en plaint, uniquement en sous-entendu, tout en sachant qu’elle peut difficilement s’en plaindre puisqu’elle était au courant même avant qu’ils commencent à se fréquenter.
La question d’un éventuel déménagement, dans une région plus propice pour exercer le métier de dresseur, brûle parfois les lèvres de Caihong. Elle se retient cependant toujours de la poser, par précaution. Elle est sûre qu’elle a déjà été posée au sein du couple et ce n’est pas sa position que de questionner leurs choix de vie. De plus, elle craint trop qu’un jour cela arrive et, qu’ainsi, elle perde la seule personne qu’elle peut considérer comme une amie. Peut-être qu’en vérité elles ne sont pas assez proches pour ça, mais toujours est-il que Vaheana est celle avec qui Caihong peut prétendre s’entendre le mieux et la seule avec qui elle passe du temps lorsqu’elle est libre. Déjà qu’elles se voient beaucoup moins, voir presque plus, maintenant que To’Riko est né… Bien sûr, Caihong le comprend. C’est fatiguant, ça prend du temps, et il est bien normal que son fils soit devenu le centre du monde de Vaheana. C’est aussi elle-même qui rechigne à se rendre directement chez son amie.
Il y a une bonne raison à ça. Les deux ont le même âge. Alors aller là-bas, dans son appartement de femme qui réussit dans l’aspect familial de sa vie, ça ne peut que rappeler à Caihong à quel point elle n’est qu’une déception. Elle ne veut pas non plus que la jalousie qu’elle peut ressentir envers celle qu’elle appelle son amie se réveille. Ce n’est pas un sentiment sain et elle sait qu’elle ne peut s’en prendre qu’à elle-même pour ses échecs. En vouloir à Vaheana est futile.

Vaheana et Caihong se sont rencontrées il y a deux ans. C’était au travail, chez Crabi’tation. La seconde venait d’être embauchée suite à la fin d’un contrat à durée déterminée minable dans une grande enseigne de restauration rapide. Elle était contente à l’idée de rejoindre un espace de travail qui serait plus calme et où des bips provenant d’écran à l’interface rouge ne lui rappelleraient pas constamment qu’elle est en retard sur un planning impossible à tenir humainement. La première avait accompagné cette nouvelle employée le temps qu’elle prenne ses marques sur son nouveau poste. Caihong s’était avérée douée, car elle comprenait vite et n’avait pas de difficulté à reproduire les instructions, voir prendre des initiatives efficaces. En conséquence, le tutorat n’avait pas duré très longtemps, mais cette courte période avait été suffisante pour que les deux femmes se rapprochent et crée un début de lien amical qu’elles avaient préservé par la suite, entre collègues.
Elles avaient des choses en commun, notamment leurs désillusions professionnelles. Il n’avait pas été dur de partir sur ce sujet, car Vaheana était encore amer malgré les quelques années qui avaient déjà passé depuis la fin de ses études. Elle avait un BTS dans le domaine de l’écologie et des nouvelles technologies. Caihong, de son côté, avait prétendu avoir obtenu son diplôme d’architecte. Et, pourtant, elle se retrouvaient toutes les deux à travailler pour une compagnie d’assurance minable aux pratiques qu’elles considéraient toutes les deux comme très limites. Il fallait bien gagner sa vie, d’une manière ou d’une autre. Cette discussion sur leurs parcours respectifs les mena à d’autres, notamment la critique de leurs supérieurs et le jugement des physiques de leurs collègues masculins. Elles partagèrent aussi leurs avis sur une série qu’elles regardaient toutes les deux et ils étaient a priori similaires, bien que le personnage préféré de l’une différait de celui de l’autre. Enfin, elle partageaient également leur amour de l’océan.
Certes, au cours de ces conversations, Caihong avait menti sur certaines choses. Par exemple, ses centres d’intérêts n’étaient pas aussi similaires que ça, en vérité, de ceux de son amie et elle ne partageait pas beaucoup de ses goûts, surtout en matière d’hommes. Cependant, rien de tout ceci n’était trop grave à ses yeux. Elle voyait en Vaheana l’opportunité de créer un lien social, ce dont elle manquait cruellement depuis de nombreuses années. Au moins, son amie était au courant de ses véritables situations financières et sociales, même si elle n’avait jamais mis les pieds dans le demi sous-sol de Caihong et n’était jamais destinée à le faire.