Josine transpirait à grosse goutte sur la terrasse de sa petite maisonnette. Elle aurait pu rentrer se mettre sous le ventilateur, mais la chaleur l’empêchait de bouger. C’était un peu comme si elle l’écrasait, en quelque sorte. Du coin de l’œil, elle vit sa fille sortir de la maison, en tenue très… Légère. Poehere ne semblait pas craindre la chaleur, contrairement à sa mère. En tout cas, Josine ne l’avait jamais entendu s’en plaindre.

- Oh, Ma’, dit elle, je te cherchais partout ! Tu sais pas quoi ?

La jeune fille sautilla joyeusement jusqu’à un siège, et s’assied en toute légèreté. Josine eut une petite pointe de jalousie. C’était injuste que la chair de sa chair supporte mieux le climat qu’elle. Mais bon, après tout, les enfants ne sont-ils pas une meilleure version de nous même ?

- Non, dis moi.
- Y’a Alexander Smith qui a liké ma story ! Regarde !

La jeune fille agita son portable sous le nez de sa mère. Josine eut un mouvement de recul pour que ses yeux puisse faire le point.

- Ah euh… Super ma chérie !

Josine n’y comprenait rien à ces trucs. Elle voyait l’importance d’un réseau internet qui rapproche les gens, mais la technologie avait dépassé les bornes ce coup ci. Depuis plusieurs années, sa fille était complètement obnubilée par son image, mais surtout par son image sur les réseaux sociaux. Poehere avait beau lui expliquer l’importance que cela avait à ses yeux, Josine n’arrivait toujours pas à comprendre. Et pourtant, elle y mettait du sien.

- Oui t’as vu, il a liké celle de la jungle, et celle de l’hôtel ou on était avec Ole’. C’est trop stylé ! Je suis archi contente !
- Oui, c’est bien ma puce, répondit Josine en essuyant son front avec un petit mouchoir.

Poehere fit une moue.

- Bon, Ma’, il t’arrive quoi là ? T’as mangé des œufs pourris ?

Josine ne pu s’empêcher d’esquisser un sourire.

- Pardon ma puce, mais j’ai très chaud… Cette chaleur est terrible…

La jeune fille plissa les yeux. Elle se leva, et revint quelques minutes plus tard avec un grand verre de thé glacé, et une petite serviette humide.

- Tiens, ça te fera du bien.

Josine arqua un sourcil. Elle devait vraiment avoir une sale tête pour que sa fille, la star internationale, lève ses fesses pour lui porter un verre d’eau.

- Merci ma chérie, c’est vraiment gentil.
- T'inquiètes. Mais du coup, tu sais qui c’est Alexander Smith ?

Josine retint un soupir. Bon. Elle ne lâcherait pas l’affaire.

- Non, dis moi ?
- C’est un grand sportif. Il fait du hockey. Un joueur de Johto en plus ! Tu devrais le connaître.

Poehere avait l’impression que, comme sa mère était originaire de Johto, elle y connaissait tout ses habitants. Josine se pencha sur la photo que lui montrait sa fille. Maintenant qu’elle y réfléchissait… Oui, elle connaissait Alexander Smith. Il y a quelques années maintenant, Josine avait assisté à l’un de ses matchs. Et elle n’était pas seule.

- Après réflexion, oui, je le connais. Je l’ai déjà rencontré. Et toi aussi je te signale.

Poehere ouvrit des yeux ronds comme des billes.

- Ah ouais ? Genre vraiment ?
- Vraiment, répondit-elle en hochant la tête. Tu étais encore toute petite à l’époque…

A l’époque, Poehere avait huit ans. C’était son premier voyage à Johto. Elle devait y rencontrer des amis et de la famille de sa maman. Des oncles, des tantes et des cousins de cœur pour la plupart. Seule Maria était sa vraie tante. C’était en automne, et toutes les feuilles des arbres étaient devenues rouges, ou jaunes. Les plus vielles d’entre elles, avaient virés au brun, ou s’étaient détachées de l’arbre.

Lors de ce grand tour de famille, Josine avait présenté officiellement Poehere et Kane à ses amis et sa famille de cœur éloignés par la distance. Présenter son enfant à huit ans, c’était relativement tard. Mais le trajet aller retour à Alola n’était pas donné et personne n’avait le temps ni les moyens de s’offrir un tel voyage.

- Il y avait un match de hockey de charité à Acajou, au nord de Johto…

Cela faisait une trotte en voiture, mais Maria avait vu qu’ils proposaient des séances d’initiation au patinage pour les adultes et les enfants. C’était peut être la première et dernière fois que Poehere aurait l’occasion de patiner, alors Kane et Josine acceptèrent.

Ils partirent tôt dans la matinée, dans la petite voiturette de Maria. Lorsqu’ils commencèrent l’ascension de la montagne, Kane eut rapidement le mal des transports.
« Tu vis sur des bateaux et tu te plains parce que ça remue ? Quelle ironie ! » Plaisanta Maria.

La chaîne de montagne de Johto était impressionnante. Seuls les habitués prenaient les virages avec une telle allure, même si peu de gens habitaient dans ces montagnes. Il y avait bien quelques villages éparpillés, mais rien qui ne ressemble à une vraie ville. Acajou ou Ebenelle se trouvaient dans les sillons de la montagne, là où l’altitude était basse (comme la température d'ailleurs). Les habitants vivaient dans d’immenses cuvettes, protégés du vent par les parois de la montagne, mais vivant dans l’ombre de celle ci presque toute la journée.

Un peu avant midi, la joyeuse compagnie s’arrêta à un point de vue pour casser la croûte tout en admirant les montagnes. La température avait encore baissé avec l’altitude, et Poehere tremblait comme une feuille. Kane avait aussi froid qu’elle, mais il essayait de le cacher le plus possible afin d’éviter une nouvelle taquinerie de sa belle sœur.
« Le match chera chuper, fous ferrez ! » Avait-elle dit en mastiquant son sandwich la bouche ouverte.

- Ça ne m’étonnes pas de tante Maria, dit Poehere qui s’était aussi servi un verre de thé glacé finalement. Il faisait si froid que ça ?
- Non il faisait très bon, répondit tristement sa mère, c’est juste que ton père et toi vous n’étiez pas du tout habitués à cette température.

Et cela se voyait : Josine et Maria était vêtues d’un pull à manche longue, ainsi que d'une belle écharpe, tandis que père et fille étaient emmitouflés dans une épaisse doudoune qui les lassaient à peine respirer. Poehere était cachée sous un gros bonnet en laine et son énorme écharpe ne laissait dépasser qu’un petit bout de nez tout rougit par le froid. Elle était si mignonne, pensa sa mère en revoyant ce souvenir.

- Et donc, ce match ? Demanda la jeune fille, impatiente.
- Oui, oui, j’y viens…

La voiturette de Maria déposa la petite famille sur un petit parking, à bout de souffle. Même si Maria semblait très en confiance, sa voiture laissait paraître de gros signes de fatigue, et elle devrait s’en occuper tôt ou tard.
Pour l'occasion l'immense lac gelé qui servait de patinoire avait été agrémenté de petits gradins, pour que les visiteurs puissent profiter du match au maximum. Sur la terre ferme, des toilettes et plusieurs petits stands vendant diverses cochonneries avaient étés installées. La zone était délimitée par des barrières en aluminium, et deux videurs en doudoune noire vérifiait chaque ticket à l'entrée. Ceux qui n'en possédaient pas avaient toujours la possibilité d'en acheter sur place, à quelques mètres de l'entrée. Après tout, le but de ce match était de vendre un maximum de ticket, pas de limiter les entrées.

Et cela se sentait: il y avait du monde partout. Les places pour le match s’étaient très bien vendus, et il ne restait pas beaucoup de sièges disponibles dans les gradins. Par chance, Kane repéra trois places près de la piste. « Par là ! » avait-il dit. La petite fille de huit ans avait pris les genoux de son père comme siège, pour son plus grand bonheur.

Pendant que Josine expliquait les règles du jeu à son mari, Maria était partie chercher de quoi faire le dessert. Une barre de chocolat glacée pour sa nièce et sa sœur, une bière pour son beau frère. Kane sourit poliment, sans lui avouer qu’il ne buvait pas souvent de l’alcool. Non pas qu’il n’aimait pas ça, mais lorsqu’il décidait d’ouvrir une bouteille, ce n’était pas pour faire semblant. Josine fit de gros yeux vers sa sœur. « Roh ça va, UNE bière, c’est pas la fin du monde ! »
La petite fille croqua dans sa barre de chocolat, et fut très déçue de se rendre compte qu’il y avait de la glace à l’intérieur. Du froid. Encore et toujours du froid.

- Tu n’arrêtais pas de t’en plaindre…
- Ma’ ! Le match ! S’impatienta Poehere.
- Oui ça va !

La famille dû attendre encore trois quart d’heure pour voir les premiers joueurs glisser sur le terrain. Elle avait eu le temps de finir les sucreries, faire des petits jeux de patience, et même d’aller aux toilettes malgré la file d’attente interminable. « Je t’avais bien dit qu’il fallait y aller tôt ! » Répéta Maria à sa sœur.

Les hockeyeurs ressemblaient à des monstres avec leur épaulières surdimensionnés, et leur casque fermés par un grillage. Ils firent un rapide coucou au public avant de se mettre en position, et de commencer le match. Rapidement, la petite famille fut emportée par la joie et l’agitation de la foule dans les gradins. Même s’ils n’y connaissaient rien au hokey – mis à part le fait qu’il faut marquer des buts avec le machin rond – ils réagissaient à chaque fois qu’un joueur faisait une belle action, ou que le palais frôlait les cages de but. Comme l’avait prédit Josine, Kane était retourné se chercher une bière, abandonnant sa fille sur les genoux de sa mère. Il criait aussi fort que les autres, et râlait tout autant qu’eux dès qu’une faute d’arbitrage était commise. Prit dans l’euphorie du moment, il se leva pour aller chercher une autre bière. Josine l’arrêta sèchement, et jeta de nouveau un regard meurtrier vers sa sœur, voulant dire « tu vois, je te l’avais bien dit ».

- Et Alexander Smith jouait sur le terrain ?
- Oui, il y était.
- Il avait quel numéro ? Demanda la jeune fille avec des étoiles dans les yeux.
- Oh tu sais, c’était il y a longtemps, je ne m’en souviens plus… Mais à la fin du match, il était venu nous voir. Enfin, voir le public.

L’équipe des Cerbyllin de Johto l’emporta 6 à 3, et la foule se leva pour applaudir les joueurs. Même s’il s’agissait d’un match amical sans aucune répercussion, l’équipe adverse (la Glastrier Team de Galar), eut du mal à avaler la défaite. Les joueurs retirèrent leurs casques et leurs gants, et prirent le temps d’aller saluer les supporters avec un stylo à la main pour signer des autographes. Kane, soudainement devenu un fan incontesté du hokey, décida d’aller à leur rencontre en arrachant Poehere des bras de sa mère.

- Il voulait te montrer de plus près l’équipement des joueurs, expliqua Josine. Tu n’arrêtais pas de poser des questions dessus pendant le match.

Kane descendit des gradins, en essayant de se frayer un chemin à travers les supporters. Lorsqu’il arriva au plus près des joueurs, sa fille dans les bras, il sourit en voyant l’expression de Poehere.
Elle semblait à la fois apeurée, et curieuse, comme si l’immense armure des joueurs était à la fois magique et maudite, ou quelque chose comme ça. L’un d’entre eux s’approcha, en affichant un sourire éclatant. Il demanda comment s’appelait cette jolie demoiselle en faisant référence à Poehere, et Kane fut fier comme un coq. Le jeune joueur laissa l’enfant toucher son équipement, même si ses palpations étaient plutôt timides. Lorsqu’ils remontèrent à leur place, Josine et Maria affichaient un sourire niais. Voir un homme porter un enfant était toujours un peu attendrissant.

Kane sorti une petite feuille en format A5, sur laquelle une photo de l’équipe de Johto était représentée. A son dos, la signature du fameux joueur. « Garde là cette signature, dans plusieurs années elle coûtera cher ! » avait dit Maria en plaisantant.
Le joueur en question, c’était Alexander Smith. Un nouveau dans l’équipe, un petit jeune qui avait toutes ses chances de percer. Maria avait dit vrai : des années plus tard, Smith fut racheté par une autre équipe et il signa des contrats très importants. Il était devenu une petite célébrité dans le domaine du hockey, au point où des tee-shirts, figurines et autres goodies furent crées à son effigie.

- Pa’… Pa’ a un autographe d’Alexander Smith ?! Répéta-t-elle, complètement sous le choc.
- Oh non, ça fait bien longtemps qu’il l’a jetée. En même temps, si ton père gardait toutes les babioles qu’il ramenait à la maison, on ne s’en sortirait pas.

Le monde de Poehere s’effondra d’un coup.

- Que… Quoi ? QUOI ! VOUS L’AVEZ JETÉE ?

Josine hocha tristement la tête.

- Mais on a toujours les photos de toi en train de patiner. Attends, je vais te les chercher, dit elle en se levant.
- Non Ma’, t’inquiètes, c’est pas la peine, dit elle en se levant aussi. Je vais aller contenir mes larmes ailleurs…

Sa mère leva les yeux au ciel. Poehere était toujours aussi théâtrale.

- Ils ont jeté l’autographe d’Alexander Smith… Marmonna-t-elle, non mais au secours…
- Envoie lui un message, peut-être qu’ils se souviens de toi ?

La jeune fille rentra dans la maison d’un pas nonchalant, comme si elle venait de recevoir une balle en plein cœur.

- Ça va pas Ma’ ? Répondit-elle sans se retourner. Jamais de la vie je fais ça ! La méga honte quoi. C’EST MORT !
- Et merci pour le thé ! Cria sa mère.
- DE RIEN ! Répondit elle.

Un claquement de porte se fit entendre. Josine eut un petit rire. Même si elle était parfois pénible, elle aimait sa fille de tout son âme.

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