Trouver la force de se dire les choses

Mon estomac n'était qu'un nœud. Je ne sais même pas comment c'est possible d'en arriver à ce point. Il faut dire que… oui, bon, je n'y connais pas grand chose grand chose en matière de nœud. Juste les basiques, suffisamment pour t'apprendre à faire des lacets en temps et en heure, mais en tout cas, pas assez pour défaire le sac informe regroupant de mon œsophage jusqu'à mes intestins. Impossible d'avaler quoi que ce soit. Je ne pouvais que remercier leur intention en me réchauffant les restes et prétendre avoir grignoté un truc à la gare. Ma détermination s'était effritée, devenant aussi fine que du sable lorsque je m'effondre dans un des fauteuils du salon. Alors mon père a allumé la télé, sans trop savoir quoi mettre réellement. Il a défilé quelques chaînes et les mots sont sortis tout seuls :

- Papa, maman… Noémie est enceinte.

Dès que je m'en suis rendu compte, je me suis écrasé dans le dossier de mon siège. Au début, ils n'ont rien dit. Je n'ai pas osé les regarder, mais j'imagine qu'il avait la bouche tellement béante qu'ils auraient pu avaler un Bombydou au vol.

Trouver la force de se dire les choses

J'ai entendu le bruit d'un petit objet que l'on repose et j'ai vu mon père se détourner. Je n'ai pas réussi à le quitter des yeux à chaque marche qu'il montait, comme s'il pouvait à tout moment changer d'avis et me dire quelque chose. N'importe quoi. Mais il ne s'est pas arrêté. Il a poursuivi jusqu'à la chambre parentale où, malgré la porte fermée, il était impossible de ne pas assister au déferlement de jurons qui s'y est déroulé. Sur le coup, ni moi, ni ma mère, n'avons dit quoi que ce soit, mais ça n'a pas duré. Toute la pression que je m'étais infligée est ressortie d'un coup.

- 'Fais chier, pourquoi il réagit comme ça sérieux !

J'avais crié de colère, en espérant qu'il l'entende à son tour, mais c'était bien des larmes qui coulaient sur mes joues. De toutes petites perles d'eau salée et de profonde déception. Un grincement m'indiquait que ma mère avait déplacé son fauteuil pour le rapprocher du mien.

- Il va se calmer, ne t'en fais pas. Mieux vaut qu'il s'éloigne pour le moment, il redescendra lorsqu'il ne risquera plus de dire des choses qu'il regrettera par la suite.

Trouver la force de se dire les choses

Je bouillonnais. Il ne se rendait pas compte du mal que ça me faisait, de tout ce que j'avais donné pour franchir cette étape, et il le recevait ainsi. Alors oui, c'était pas le beau tableau de l'annonce parfaite, c'est vrai, mais le pansement était arraché.

- Euh… Qu'est-ce qu'il se passe, là ?

Au-dessus de la rambarde de l'escalier, à l'étage, ma sœur nous regardait avec inquiétude. Je n'étais pas ravi de sa curiosité, mais je ne pouvais pas lui reprocher de réagir quand les deux hommes de la maisonnée déversent leur émotion avec force, chacun dans son coin. Et en même temps, elle allait bien finir par apprendre la nouvelle à son tour, alors ce n'était pas forcément plus mal que ce soit fait en face, plutôt qu'un mot de trop au détour d'une conversation qui ne lui était pas adressée. Je cherchais une formulation, peut-être un peu moins directe que celle qui avait mis le feu aux poudres, mais ma mère m'a devancé.

- Vas, chérie, il faut qu'on parle un peu tous les deux. Retourne à ton entraînement, on t'expliquera tout plus tard.

Trouver la force de se dire les choses

Une mou sur le visage, elle remonte, et moi, j'ai juste rien dit comme un couillon, comme si j'étais condamné à subir l'opinion des autres sans pouvoir rien y faire alors que je suis le premier concerné. Après un court mais dense débit d'insultes envers moi-même et ma lâcheté, je me suis ressaisi. Je ne pouvais pas me laisser engloutir comme ça !

- Écoute, maman… On a fait tout ce qu'on a pu, ce n'était pas prévu, mais maintenant que c'est fait, Noémie veut garder le bébé. Que tu le veuilles ou non, que papa se calme ou pas, je vais devenir père à mon tour. J'aimerais vraiment que vous soyez de mon côté, mais même si ce n'est pas le cas, vous ne pourrez pas nous faire changer d'avis.

On peut dire que ma tirade l'a surprise. Pas autant que la nouvelle à la base, mais quand même. Il faut dire que moi aussi, comme si une vague de courage m'avait frappé d'un coup. J'en avais bien besoin pour remettre mes idées au clair.

- Et toi, tu es certain que c'est bien ton choix ?

Trouver la force de se dire les choses

- J'ai fait celui de prendre mes responsabilités.

Ma détermination a semblé la rassurer. Pas tellement, juste un peu, mais c'était un début. Et j'avais vraiment besoin de quelqu'un qui ne cherchait pas à me convaincre que ce n'était pas le bon moment. J'ai toujours été plus proche de ma mère, même si elle est plus calme que moi. C'est elle qui m'a transmis sa passion pour l'astronomie, donc ça nous fait un grand point commun. Étonnamment, moi qui ais du mal à me poser en général, je trouve un réconfort dans son silence. Elle a une aura forte et communicative. J'aimerais être un Lucario pour pouvoir l'observer.

- Alors nous t'accompagnerons. Quand ton père aura fini d'être bougon. Je ne m'attendais pas à être grand-mère si vite. Je te vois encore comme mon petit garçon et la maternité arrive loin derrière les rêves de médaille dans les priorités de ta sœur. Mais tu es assez grand pour comprendre dans quoi tu t'engages. Ça ne m'empêchera pas de m'inquiéter pour ma petite étoile.

Je hoche la tête, pensif. Je n'étais pas aussi certain de la capitulation de mon père.