Il avait encore plu la veille. Les bottes de Wren laissaient derrière elles une cacophonie de schouik schouik désagréable à chaque pas dans les zones les plus boueuses des sentiers fermiers de Greenbury. La jeune femme s'en souciait peu. Elle avait pris l'habitude de faire avec ce désagrément. Ses pensées se trouvaient de toute façon ailleurs. Les paroles de son psychiatre n'avaient cessées d'occuper son esprit. Durant la nuit, celles qui comptaient avaient rythmés son insomnie mais ces considérations étaient loin désormais qu'elle se tenait sous les rayons grisâtres du soleil. Un hobby. Il lui fallait trouver un hobby avant la semaine prochaine. Il lui restait six jours pour ce faire, rien d'alarmant donc. Malgré tout, Wren voulait mettre cela derrière elle. Ses pensées s'accordaient peu à cette envie. Il y avait un vide agaçant dans son esprit. Elle avait pourtant toujours su s'occuper durant ses plus jeunes années. Elle avait eu de nombreuses passions. Il n'empêchait qu'à l'instant, rien ne venait. Plus elle y pensait, plus les possibilités s'éloignaient. Un dénouement logique en raison de la condition humaine. Elle n'était aussi pas aidé par son désintérêt général. Pour autant que d'être forcée d'avoir à faire quelque chose, elle voulait au moins que ce ne soit pas une parfaite torture d'ennui. Il lui fallait déjà faire avec trop de sources d'agacement.

“Encore”, souffla la jeune femme dans une exhalation blasée.

Une odeur familière s'élevait d'une ruelle longeant le stade de combat de Greenbury. Une aberration verte qui détonnait dans le paysage champêtre mais qui faisait la fierté des habitants du patelin. Malheureusement, l'ombre de ce géant était souvent le théâtre d'activités illicites qui devenaient le problème de Wren sous prétexte qu'elle portait un badge.

Au-delà d'une barrière de sécurité, la policière repéra sans mal les deux coupables courbés contre les murs du stade. Deux adolescents bien connus dans le village dont la plupart des bêtises étaient excusés sous prétexte de leur jeunesse.

“Vous deux, qu'est-ce que je vous avais dit ?”

Malgré l'annonce de sa présence, les ados ne cherchèrent pas à s'enfuir. L'un des deux eu au moins le respect d'essayer de cacher l'objet de son crime sous la semelle d'une basket boueuse. L'odeur de cannabis s'en retrouva renforcée autour d'eux, un aveu de plus si leurs yeux injectés de sang n'étaient pas déjà une preuve suffisante.

Wren passa la barrière pour les rejoindre. Ils se relevèrent quand elle cala les mains sur ses hanches et les fixa dans une débauche de fausse autorité. Elle était dans le fond plus agacée par le fait qu'ils se soient fait prendre plutôt qu'en réaction aux dégâts qu'ils faisaient à leurs pauvres cerveaux en plein développement.

“Je vous ai laissé une chance. Cette fois, je vous ramène chez vos parents.” La policière se sentit fort ridicule pour cette menace bien qu'elle fonctionna au vu de leurs bouilles décomposées. “Lequel de vous deux vit le plus près ?”

Un vendredi n'avait pas le droit de lui en demander tant.

- modération -:

“IP07, répondez.”

La radio de Wren s'éveilla tandis qu'elle allait diriger son ridicule troupeau vers une maison à trois rues d'ici. Elle arrêta le mouvement d'une main levée et attrapa le maudit appareil.

“Ici IP07, vous voulez quoi Centrale ?”
“On a reçu un appel pour une potentielle entrée par effraction au numéro deux de la rue des pistils. Vous êtes la plus proche.”

Urf, elle allait devoir bosser pour de vrai. Un soupir lui échappa. Les yeux de la policière retombèrent sur le duo de délinquants et elle leur adressa un petit mouvement de tête. Son menton pointait vers leur destination première avec vigueur.

“Barrez vous, j'ai plus urgent à faire. Si je vous y reprends, ce sera le poste cette fois. J'doute que vos parents apprécieront de faire le déplacement”, la jeune femme menaça, pleine de souvenirs terrifiants de sa mère datant de son adolescence. Elle reprit ensuite le contrôle de sa radio. “Je me met en route, Centrale.”

Les deux idiots étaient toujours là. Une lueur excitée brillait dans leurs yeux.

“Je vous ai dit de rentrer chez vous.”
“C'est vrai qu'il y a eu un vol, inspectrice ?” C'était que le petit avait l'oreille fine.
“J'en sais rien. Pas votre problème. Tirez vous”, grogna la policière avant de s'arracher en vitesse à cette interaction qu'elle ne voulait pas avoir. Elle avait une bonne excuse en plus.

Bien qu'elle ne croyait pas trop à cette entrée par effraction en pleine journée dans une rue si fréquentée.

Raison de plus pour se dépêcher, un débutant peut faire plus de conneries, songea la jeune femme en pressant le pas.

- modération -:

Même à l'échelle d'une petite ville comme Greenbury, la rue des pistils ne manquait pas de passage. Elle donnait directement sur la place du marché et offrait l'accès à un petit parc où des jouets pour enfants se partageaient l'espace avec un bac à sable. A cette heure et par ce temps, il n'y avait personne sur un pachyradjah miniature qui permettait de se balancer d'avant en arrière grâce à son gros ressort. Wren avait trop souvent été s'asseoir sur celui-là durant ses nuits d'insomnie les plus vicieuses pour ne pas respecter le gros pachyderme.

Le numéro deux fut facile à repérer grâce à l'attroupement de six personnes qui stationnaient devant la porte du garage. Ca parlait avec animation de ce potentiel voleur. Wren leva les yeux au ciel. Si elle les avait entendu à cette distance, la personne dans la maison n'avait pas pu les louper. Soit leur voleur en avait profité pour se barrer par une fenêtre, soit il allait faire des histoires. Cette intervention prenait des allures de blague. C'était dans ses moments là qu'une petite voix au fond de la jeune femme la félicitait de ne pas avoir choisit une voie plus classique au sein de la police.

“Police.” Wren força un masque professionnel sur son visage. “Lequel de vous a appelé ?”
“Moi !” Une petite femme maigrichonne lui répondit en en bousculant deux autres. “Il y avait du bruit dans ma maison quand je suis rentrée.”
“Est-ce que la porte a été fracturée ?”
“Il y avait des bris de glace dans ma cuisine. Je suis sortie dès que j'ai entendu le bruit à l'étage. Il ne devait y avoir personne. Mon fils est à l'université à Winscor et mon mari en voyage d'affaires.”

Trop de détails. Elle aurait préféré une réponse plus directe. L'histoire semblait un peu plus sérieuse qu'elle ne l'avait imaginé mais Wren ne s'en faisait toujours pas réellement. Au pire, elle se prenait un mauvais coup, la belle affaire.

“Restez à distance. Je vais aller jeter un œil.”

- modération -:

La porte d'entrée ne portait aucun signe d'effraction. Deux options dans ce cas-ci : soit elle avait toujours été ouverte, soit la propriétaire des lieux l'avait déverrouillé en arrivant. Ce détail ne comptait pas, Wren n'avait fait que vérifier dans un excès de professionnalisme. Nombreux étaient les habitants qui ne fermaient pas leur maison quand ils allaient faire leurs courses. Presque tout le monde se connaissait et il y avait toujours un voisin pour garder l'œil ouvert. Qu'aucun d'eux n'ait réagis parmi le petit attroupement était intéressant. Il y avait de grandes chances qu'il n'y ait simplement rien eu à voir pour les commères du quartier.

La policière passa le petit portail qui donnait sur le jardin et observa les vis à vis. L'intru potentiel avait dû être sacrément rapide et silencieux. Le vent avait beau souffler, un bris de glace ne serait pas passé si inaperçu que ça. Elle se glissa jusqu'à la porte, elle aussi intacte. La vitre qui avait été cassée était montée sur une petite fenêtre surplombant un évier au vu du robinet dépassant. Le trou avait clairement été fait depuis l'extérieur mais il était petit et n'aurait pas permis à qui que ce soit de rentrer. Tout au plus, un bras humain aurait pu y passer pour saisir un objet sur l'évier. Fait curieux, la cassure devait avoir été faite par un minuscule point de pression pour que toute la vitre ne soit pas partie en éclats.

“On se croirait dans un vieux roman policier”, marmonna la jeune femme avec les sourcils froncés.

Wren n'allait pas mentir, elle n'avait plus été divertie de la sorte depuis un moment. Il y avait quelque chose d'excitant à remonter la piste de cet intru dont la taille ne devait pas dépasser son poing. Sans plus attendre, elle pénétra dans la maison par la porte de la cuisine. Elle s'arrêta aussitôt quand le verre cassé crissa sous sa botte. Un autre bruit y avait répondu à l'étage. Léger mais bien présent. Malgré ce que son entrainement tentait de lui dire, Wren laissa son arme de poing à sa ceinture. Elle délaissa aussi la matraque télescopique qui pendait à son autre côté et commença à monter l'escalier à pas feutrés.

- modération -:

Il y avait un peu de désordre à l'étage. Wren contourna un panier renversé et des livres étalés sur le sol. De ce qu'elle avait vu du reste de la maison, ces détails étaient récents. La petite créature dont elle suivait la piste devait être la coupable.

Se trouver ainsi dans la maison de quelqu'un était un peu particulier. La policière n'avait jamais aimé que l'on s'invite dans son espace, elle se plaisait donc à imaginer qu'il en était de même pour les autres et avait toujours respecté ce principe. Heureusement, les portes étaient ouvertes. Elle pouvait facilement jeter un œil à l'intérieur sans être trop intrusive. Une porte fermée lui aurait permis d'éliminer une pièce de la liste des cachettes mais il aurait sans doute fallu vérifier quand même. Beaucoup de pokémons se montraient capables de manipuler des mécanismes humains. Une porte aurait aussi pu être refermée à la suite de l'intru. Une première chambre et une salle de bain avaient été éliminées quand Wren perçu des pleurs étouffés. Cela ne dura qu'un instant. Grâce à ça, elle pu se diriger plus sûrement vers le côté gauche de la maison d'où le son était venu. Elle poussa une porte entrouverte et se retrouva dans une chambre typique d'un adolescent. De toute évidence, il aimait le sport au vu de toutes les affiches. En repérant de petites taches humides sur la moquette bleu foncée, elle eut le réflexe de fermer derrière elle. Au moins, pas d'échappatoire possible. Wren prenait sans aucun doute trop de risques pour quelqu'un qui n'avait pas de pokémon partenaire mais elle ne s'inquiétait pas trop vu la taille présumée de la bête. La policière ne se souciait de toute façon pas vraiment de son sort.

“Sors de ta cachette. Je ne te veux pas de mal.”

Aussitôt, les pleurs reprirent. Un son qui aurait pu vous déchirer le cœur. Il venait tirailler un peu la policière qui se questionna un instant sur le picotement qu'elle ressentait au niveau de ses yeux. Par réflexe, elle les essuya mais aucune larme ne lui avait échappé.

“Tu es l'un des ces pokémon..”, la jeune femme souffla quand elle comprit enfin à qui elle avait à faire. “Tu n'as rien à craindre larméléon. Tu ne peux pas rentrer chez les gens c'est tout.”

Une fois accroupie au niveau du sol, Wren scruta les environs à la recherche d'autres traces. D'une main, elle effleurait la moquette pour trouver de nouvelles taches d'humidité dans la direction supposée des pleurs. Elle trouva un pull abandonné là, tout gorgé d'eau. Il devait s'être rendu invisible à cet endroit, raison pour laquelle elle ne le percevait pas. Elle hésita à se saisir du vêtement pour le lancer et ainsi surprendre le pokémon mais la manoeuvre l'aurait fait paniquer et rien n'assurait qu'elle aurait réussi à s'en saisir. Contre toute attente, elle décida donc de s'asseoir sur ses talons pour attendre.

- modération -:

Comme une majeure partie de la population mondiale, Wren n'avait rien contre les pokémons. On pouvait même dire qu'elle les appréciait. Peut-être pas tous, les goûts, les couleurs et tout ce qui allait avec. Larméléon était une créature quelque peu pitoyable. Une bestiole froussarde qui ne manquait pas d'atouts. Des trois starters locaux, il devait être le plus difficile à utiliser. La policière n'était pas une pro en la matière. Elle ne s'était intéressé au dressage qu'en entrant à l'académie de police et ses connaissances s'appliquaient à des circonstances particulières. Elle n'avait jamais mis les pieds dans une arène. Les matchs qu'elle avait pu regarder, elles ne s'étaient penchée dessus que pour faire plaisir à un autre. A une époque, il avait été de coutume avec ses amis de regarder les combats professionnels les plus importants lors de soirées pizzas et bières. Inutile de préciser qu'elle ne participait plus à celles-ci.

Pour quelqu'un d'aussi tourmenté que Wren, une calme immobilité n'aurait pas dû être facile à adopter. Elle n'était pas non plus une figure de détente dans sa position du lotus bancale. Elle se contentait d'attendre en ne faisant pas de bruit. Le fait d'être en tête à tête avec le pokémon peureux aidait. Il n'y avait personne pour l'observer ici, la créature ne comptant pas.

Lorsque la patience finit par lui faire défaut, la policière en devint bavarde. Autant qu'elle pouvait l'être.

“T'as une attaque fichtrement précise. Je pensais pas que de l'eau pourrait faire autant de dégâts.” La policière commenta d'un ton qui paru presque impressionné.

Il avait tout de même cassé du verre avec ce qui devait être un coup de pistolet à o. Wren se serait attendue à une telle performance de la part de son évolution finale mais pas de ce minuscule gremlin. La puissance cachée d'un bon coup de stress sans doute.

“Va falloir que tu sortes de ta planque. Tu vas pas aimer ça si j'appelle des renforts avec des pokémons et j'doute que la dame accepte que tu élises domicile dans la chambre de son fiston.”

Difficile à croire mais Wren avec sa tête de travers était la meilleure option du petit intru.

- modération -: