Je n’entends plus que ma respiration, saccadée et vive, que j’essaie de calmer. Les maigres images qui me parviennent à travers les broussailles ne sont pas rassurantes pour un pokédollar. Tapi dans l’ombre, je fais mon possible pour être la plus discrète, attendant le bon moment pour émerger de ma cachette de fortune. Une branche me chatouille l’arrière-train mais je dois m’en accommoder pour le moment.

Ma cible, attirée par je-ne-sais-quel bruit provenant de l’orée du petit bosquet dans lequel je m’abrite, agite ses longues oreilles en arrière, soudain aux aguets. Elle risque de s’enfuir. C’est la fenêtre idéale, le moment que j’attends depuis plusieurs minutes déjà. J’appuie fermement sur la pokéball que j’ai dans la main, sentant son volume s’élargir sur ma paume. J’émerge, telle une furie, de mon abri de fortune. Je dois être sacrément ridicule, avec ma tunique entièrement blanche qui trahit au milieu de la verdure. Mes cheveux sont pleins de branchages et de feuilles, si bien que je dois donner l’impression d’une ermite s’étant éloignée de la civilisation depuis un moment.

Sans attendre un instant de plus, je balance ma pokéball d’un mouvement ample du bras. Celle-ci fuse dans les airs, franchissant les quelques mètres qui me séparent de ma cible. « T’es à moi ! ». J’éructe, le cœur battant une demi-chamade. Le Gourmelet qui je traque depuis plusieurs minutes est cependant bien moins idiot que je le pensais. D’un retourné de son postérieur grossier, il envoie valser ma pokéball, la retournant dans ma direction avec la même intensité. Sans même avoir le temps de réagir, mon lancer me revient en pleine figure, percutant mon front pourtant si joliment maquillé.

Je tombe en arrière, à même le petit buisson dans lequel j’avais pris place pour me cacher. « Aïe ! ». Pour la discrétion, on repassera. Lorsque je me relève, je tâte la bosse fraîche sur mon visage. « Ça fait mal, putain ! ». Je ne peux retenir le juron.

D’un coup d’œil, je remarque que le Pokémon sauvage n’est plus là. Et que la plupart de ceux qui arpentaient la route de Cuchalaga sont désormais à l’affût, ayant compris qu’une gamine pas franchement finotte tente de les capturer avec la frénésie des premiers jours.

La plaine est désormais en émoi et moi, dans ma grande sollicitude, je ne peux m’empêcher de râler. J’ai pris la route le matin même, avec la fervente ardeur de débuter mon parcours initiatique à travers la région. Tout ça pour prouver à mon père que je suis capable d’autre chose que la voie qu’il m’a choisie, et me prouver à moi-même que je suis capable d’atteindre mes ambitions. Une journée riche en déconvenue, et bien dépourvue de quelconques exploits.

Je suis arrivée en ferry, à l’aube, au port de Cuchalaga. La veille, mes valises en soute, j’ai quitté ma Levalandura natale. J’aurai pu faire le trajet en train, mais j’ai trouvé que le bateau était une option à la fois sympathique et originale pour débuter mon aventure. Mon jeune compagnon, un Charbambin, je me le suis dégotée par mes propres moyens. J’ai investi mes maigres économies dans l’achat de ce partenaire, que j’ai trouvé dans une pension à proximité de Cuchalaga. Ce n’est qu’après l’avoir récupéré que je me suis engagé sur les routes, sac-à-dos rempli et le n’essaie de survie sur moi. Direction Plato-Real, avant de prendre la route pour Mesaledo.

N’allez pas penser que je veux me rendre dans la plus grande ville de la région pour une raison attenante à mon voyage. Non, si j’ai choisi cette ville comme premier objectif, c’est uniquement avec l’envie de me rendre dans les nombreuses boutiques qui s’y trouvent. Un peu de shopping en début d’aventure ne me fera pas de mal !

Je n’en suis qu’à l’aube de mon voyage et je suis déjà fatiguée. La marche, ça n’a jamais été mon fort, encore moins quand il s’agit d’arpenter une route sinueuse en bord de mer, sans même pouvoir s’y baigner. Aussi, après plus de deux heures - deux heures, vous vous rendez compte ? - à me balader au milieu de la plaine et sans voir encore ne serait-ce que le bout d’un bâtiment de Plato-Réal, je décide de m’arrêter près d’un cours d’eau. J’ai les jambes en compote et l’estomac qui crie famine.

J’attrape dans mon sac un sandwich que j’ai préparé avec soin à bord du bateau qui m’a mené jusqu’ici, et je libère de sa pokéball mon nouveau compagnon de voyage. Le Charbambin prend forme sous mes yeux, son corps ardent crépitant dans le lointain. « Salut, petit père… ». Je tente une approche. C’est la première fois que je le sors de sa pokéball depuis que je l’ai acheté, le matin même. Il faut dire que je me sens un peu honteuse d’avoir obtenu mon premier Pokémon comme cela. 

Le Charbambin, lui, semble avoir beaucoup moins d’états d’âme. En voyant mon sandwich, prêt à être dégusté, il l’attrape entre ses pattes et en croque un morceau. «  Hey ! ». La flamme sur le sommet de son crâne, habituellement rouge et aux teintes violacées, se mue en léger bleu durant quelques instants. J’imagine que c’est un signe d’appréciation, même si je ne peux m’empêcher d’être légèrement aigrie d’avoir vu mon casse-croûte ainsi entamé. Toujours assise, et alors que le petit pokémon mâche avec insistance mon précieux repas, je me risque à lui caresser la joue. «  J’avais des poffins pour toi dans mon sac, mon grand. ». Il me regarde, avec ses yeux d’où brille un feu ardent. 

Mon premier partenaire. Je ne sais pas si je réalise vraiment la chance que j’ai. J’ai longtemps rêvé d’un Poussacha, voir même d’un Chochodile, comme il est coutume pour tous les jeunes dresseurs de Paldea. Je me suis imaginée milles histoires avec ces pokémons, les façons que j’allais avoir de les dresser, de les chouchouter, d’en faire de véritables monstres de puissance. Mais le destin en a décidé autrement. 

Charbambin est une page blanche. Une aventure à écrire, un premier pokémon que je ne pensais pas avoir. Mais qu’il en soit ainsi. Lui et moi, nous atteindrons des sommets. Et personne, même pas mon père, ne viendra ternir le lien que nous allons créer. « N’est-ce pas, Niño ? », murmurai-je en sortant un moment de mes pensées.

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