Depuis la soirée dans les hauteurs d’Ekaeka, Alana avait fait tout son possible pour éviter Kalon et Clara, ce qui avait consisté à passer le plus de temps possible en dehors de la maison familiale, en prétextant ses recherches d’appartement, maintenant qu’elle avait trouvé un travail. Ce qui n’était d’ailleurs pas un prétexte : elle avait réellement besoin d’un pied à terre et de son indépendance. La culpabilité avait seulement accéléré les choses. Bien sûr, elle se répétait souvent qu’il ne s’était strictement rien passé, que tout ceci était le fruit de son imagination, qu’elle se morigénait pour rien. Pourtant, elle ressentait toujours cette pointe de remord, cette sensation de malaise, et cette simple sensation lui était insupportable. Alors elle avait redoublé d’efforts pour déposer des dossiers et visiter à tour de bras tout ce qu’on lui proposait. Pour finalement se retrouver devant la porte qui se tenait en face d’elle, son sac sur les bras.

L’appartement était un petit deux pièces dans une rue animée d’Ekaeka. Compte tenu du bruit, le bailleur avait baissé le prix, qui rentrait dans son budget. Le contrat d’embauche signé avait fait le reste, ainsi que l’apport du garant – et Arceus savait que faire appel pour ça à son père lui avait coûté, mais elle n’avait pas le choix. Le tout était meublé, a minima bien entendu, mais elle aurait tout le loisir d’acheter d’autres meubles au fur et à mesure. L’essentiel était d’avoir un lit, une commode pour mettre ses vêtements, et une cuisine avec une plaque et un frigidaire. Contrat rempli. Elle serra la clé remise par le propriétaire à l’agence et tourna la serrure, puis entra. Une fois à l’intérieur, elle balaya l’intérieur, avant de se diriger vers la chambre et d’y déposer son sac.

Entreposer ses affaires ne prit que quelques minutes, puisqu’elle n’avait pas grand-chose avec elle. Quant à l’exploration de son nouveau logis, elle demeura rapide – elle l’avait déjà visité, et il n’y avait de toute manière pas une surface suffisamment grande pour qu’elle n’en fasse pas le tour en quelques enjambées. Mais elle était chez elle, enfin, prête à se lancer dans sa reconquête d’Alola, comme elle le disait parfois en plaisantant. Désormais installée, elle s’empressa d’aller faire quelques courses dans la supérette du coin pour remplir son frigo et trouver de quoi manger le soir. C’est qu’il fallait qu’elle prenne des forces pour le lendemain, puisqu’il s’agissait du grand jour, celui où elle allait enfin démarrer son nouveau travail. Et mine de rien, l’impatience commençait à se faire sentir.

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Après avoir cuisiné un poulet curry coco – qui n’était pas si mauvais, preuve en était qu’elle était capable de se nourrir correctement contrairement à la légende urbaine – Alana se posa un moment devant la télévision, regardant distraitement les informations tout en pianotant sur son téléphone. Elle répondit aux messages d’encouragement de ses amis restés à Kalos qu’elle avait tenu au courant de ses pérégrinations et donc du démarrage de son contrat le lendemain, tout en ignorant soigneusement celui de Clara, dont la notification s’affichait obstinément sur l’écran et refusait de partir. Soupirant, elle éteignit le portable et se laissa bercer par la chaîne d’information en continu qui déroulait le même contenu que durant les trente minutes précédentes. Un zapping rapide lui montra quelques séries à l’eau de rose ou policières qui ne lui disaient pas grand-chose, aussi elle se résolut à éteindre, passa sous la douche et regagna sa chambre.

A l’intérieur de celle-ci, elle se sentit soudainement envahie par les doutes et angoisses qu’elle avait tenté de taire de son mieux jusque-là. N’était-ce pas une folie, que de tout plaquer à Kalos, où elle commençait à se faire un prénom, où elle avait son réseau patiemment bâti, et pouvait de temps en temps bénéficier de celui de son père ? Elle aurait pu tout à fait se contenter de visiter sa mère puis de repartir, quitte à faire des allers-retours réguliers. Certes, cela aurait eu un coup, mais elle savait qu’en cas de besoin … A la place, elle devait se refaire une place dans un environnement de travail qu’elle ne connaissait pas … et dans un environnement tout court dont elle ne se souvenait que par bouts, et sûrement pas avec autant d’aisance que quelqu’un qui y aurait passé l’entièreté de son existence. Elle avait l’impression de devoir à nouveau faire ses preuves, ce qui l’agaçait forcément un peu, parce qu’elle savait qu’on le croirait pas dans son engagement … et au fond, ses futurs collègues auraient toutes les raisons d’émettre des doutes, puisqu’elle-même en avait. Arrivait-elle à voir autrement ces mois prévisionnels à Alola autrement que comme une parenthèse ? Difficilement, dans la solitude de sa chambre, elle pouvait l’admettre. Et c’était douloureux, finalement, de leur donner raison.

Et il y avait cette situation avec Kalon et Clara. L’hostilité latente de son demi-frère ne la blessait plus autant qu’elle aurait dû. Elle la comprenait. Mais ce qui se jouait en plus alimentait les vieilles blessures, et elle tremblait qu’il apprenne un jour la vérité concernant la relation entretenue entre sa fiancée et sa demi-sœur. Leur relation était suffisamment complexe et écornée comme cela pour y ajouter une couche supplémentaire. Et oui, c’était du passé, ça n’aurait normalement pas dû compter. Seulement, c’était facile de le dire, et moins de le penser, quand elle devait admettre que son cœur, lui, continuait de battre un peu plus fort à chaque fois qu’elle regardait dans la direction de l’autre femme. Et le secret, sur ce qui n’avait rien eu d’honteux, à l’époque – et n’aurait toujours pas dû l’être – renforçait amertume et détresse.

Soupirant, Alana finit par éteindre la lumière, ruminant ses pensées. Peut-être que sa première journée lui donnerait l’occasion de penser à autre chose.

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