Illia Aethelhelm
C-GEAR Inscrit le : 01/07/2019 Messages : 1345
Région : Unys
| C’est une fin d’après-midi agitée à Volucité lorsque je la vois. Elle est là, de l’autre côté du passage piéton, perdue au milieu des gens. Ses bras sont croisés, sa tête basse, et pourtant son regard ne cesse d’aller à droite et à gauche. Elle ressemble à un petit pokémon effrayé. Ses vêtements ne sont pas adaptés à la saison, il fait trop frais maintenant pour rester en t-shirt lorsque le soleil décline. Le feu passe au vert. Elle ne bouge pas. Moi non plus. Les autres piétons passent de part et d’autre sans réagir à notre immobilité. Je ne sais pas quoi faire. Je voudrais la prendre dans mes bras et la fuir en même temps. Lui dire que tout va bien se passer, qu’elle n’a pas de raison d’être effrayée, et l’insulter. La remarquer et l’ignorer, comme si elle n’avait plus aucune importance. J’aimerais qu’elle n’en ait plus, de l’importance. Une voiture passe trop vite, fait un bruit inhabituel. Elle sursaute, lève la tête et croise mon regard. Nous nous fixons quelques secondes avant qu’elle ne se remette à fixer le trottoir, plus recroquevillée que jamais. Je suis troublé car elle n’a pas pu me reconnaître. Pourquoi a-t-elle soutenu mon regard ? Est-ce uniquement car je la fixais moi aussi ?
Elle s’éloigne du passage piéton. D’abord de quelques pas, puis elle observe les alentours avant de partir à gauche. Elle porte son doigt à ses lèvres et commence à se ronger les ongles. Je sais qu’elle n’a aucune idée du chemin qu’elle prend. Nous ne sommes pas très loin de l’appartement, quelques centaines de mètres seulement, mais cette partie de Volucité a été en travaux plusieurs fois ces vingts dernières années et les rues complexifiées. Elle n’a pas de téléphone portable, ne saurait pas utiliser de GPS et est trop mal à l’aise pour demander son chemin. S’adresser à quelqu’un, c’est prendre le risque d’exposer ses faiblesses. Je la regarde disparaître au coin de la rue. Le feu piéton passe au vert. Combien de temps avant qu’elle ne parvienne à rentrer à la maison ? Combien avant que mon père rentre du travail ? Et si elle ne rentrait pas ? Et s’il ne la retrouvait pas ? Je traverse et m’engage dans la même rue qu’elle.
Ce n’est pas le chemin de l’appartement, plutôt l’opposé. Si nous continuons tout droit, nous nous retrouverons dans une petite rue commerçante et il suffira de tourner dans quelques mètres pour trouver l’ancien immeuble où vivait Rose. De l’autre côté, en passant derrière l’épicerie, il y a la rue qui mène à l’école primaire. Toujours plus loin de chez elle. Ce me soule. Je la suis jusqu’aux commerces. Il y a plus de monde, ce qui la pousse à se renfermer encore plus. Elle change l’ongle qu’elle ronge, fait de petits pas en longeant les murs. Ses longs cheveux sombres la font ressembler à une ombre. Elle s’arrête en face d’une crêperie vers laquelle elle ne peut s’empêcher de tourner la tête. Elle aussi a un faible pour les choses sucrées. Je la vois poser sa main sur son estomac et se renfrogner. Depuis combien de temps est-elle perdue, toute seule dehors ? Je serre les dents et vais acheter une crêpe au sucre sans savoir ce que je vais en faire.
La nuit tombe et les rues se remplissent d’un autre type de personnes. Nous tournons autour de l’appartement, toujours plus ou moins proches sans qu’on parviennent à s’en rapprocher. A-t-elle envie d’y retourner ? La crèpe est froide depuis longtemps, je me décide à la manger car il serait bizarre de la manger. Rose devrait bientôt m’envoyer un message pour savoir ce que je fous, on devait se retrouver ce soir, sauf que je ne suis toujours pas là. A la place, je suis encore en train de la suivre, en serrant les dents quand je la vois s’engager dans des zones moins recommandables. Je devrais l’aborder pour l’aider, mais n’y arrive toujours pas. Elle m’a peut-être remarqué, mais elle ne m’a pas regardé à nouveau. Quelqu’un lui demande si elle va bien, avec sa tête rentrée dans les épaules et ses soubresauts épars. Mon inaction va jusqu’à la regarder sangloter et je me déteste. Elle s’écarte de la personne bienveillante et se met à courir. Ses angoisses ont pris le dessus. J’hésite à la suivre, mais mes jambes se mettent en action toutes seules.
Quand je la rejoins, elle a frappé dans un mur et tient ses phalanges meurtries. Cette fois, je ne suis plus discret : elle lève tout de suite la tête vers moi. La confusion se lit sur ses traits. Peut-être me reconnaît-elle du passage piéton de tout à l’heure. Peut-être réalise-t-elle que je la suis depuis tout ce temps. Cette fois, je n’ai plus le choix.
- Madame, tout va bien ? Je… Je traîne en ville, ça fait plusieurs fois qu’on se croise, vous avez l’air perdue.
Si je ne lui avais pas encore fait peur, c’est chose faîte. Puisque je n’avais pas l’intention de lui parler, ni même de l’approcher, je n’avais rien préparé. Je voulais juste la regarder, l’observer vivre, et voir mon père venir la chercher, elle. Surtout, je voulais me faire mal, peut-être une dernière fois, et lui tourner le dos à jamais.
- Je ne sais pas comment rentrer chez moi.
La fatigue fait ressortir son accent kalosien. Je n’étais pas prêt à entendre sa voix. Malgré tout, je trouve la force de garder contenance et lui demander où elle habite. Le contexte fait qu’elle hésite à ma répondre. Je lui propose un mouchoir imbibé d’eau pour ses doigts, car je vois qu’il y a un peu de sang. Elle a dû s’écorcher en frappant.
- Merci, une brève expression de soulagement passe sur son visage.
Elle nettoie et examine ses phalanges avant de relever les yeux vers moi. J’y lis de nouveau ses angoisses et de la méfiance. Elle me donne un nom de rue, celle où se trouve la résidence. Sans numéro, et si elle s’assure que je pars bien, elle sera plus difficile à retrouver. J’entends qu’elle déteste me donner cette information. A l’aide de mon portable, j’ouvre un gps pour faire comme si je ne connaissais pas. Elle regarde la carte digitale sans la comprendre. J’essaye de lui donner des informations orales, mais son état de fatigue ne lui permet pas de retenir les informations comme il le faudrait. C’est à contrecoeur que je lui propose de l’accompagner et avec encore plus de réserve qu’elle accepte.
Elle a vieilli depuis la dernière fois que je l’ai vue. Des rides sont apparues sur son visage. Ses cheveux cependant résistent à l’âge. Aucun cheveux blanc ne vient les perturber. Ca fait combien de temps ? Plusieurs années, je ne suis plus sûr de pouvoir dire combien. Nous nous sommes peut-être croisés depuis que je suis parti, mais jamais assez longtemps pour que je puisse l’observer. Je pourrais presque être étonné de la reconnaître si je ne savais pas qu’il y a des personnes que je n’oublierai jamais. A mon grand malheur, elle en fait partie. Cette rencontre suffit à me faire comprendre que je ne pourrai jamais la faire disparaître, qu’il faudra toujours fournir un effort pour vivre en sachant que je ne pourrai jamais rien partager avec elle. Elle ne sera jamais qu'une étrangère.
Nous arrivons dans la bonne rue. Ses traits se détendent immédiatement et je l’entends pousser un soupir de soulagement. Son sourire restera gravé comme la cicatrice de cette journée. Elle me remercie et je m’apprête à partir quand elle m’interpelle. Je reste interdis.
- Vous ressemblez à un coordinateur que j’ai vu à la télévision. Je… J’oublie beaucoup de choses, donc je ne me souviens pas du thème du concours, ni de quand c’était, mais je me souviens d’un jeune homme avec un reptincel. Des briques volaient sur scène sous l’effet d’une attaque psychique… J’avais beaucoup aimé cette prestation. C’était bien vous le coordinateur ? En tout cas, je crois que vous lui ressemblez beaucoup.
Il fait nuit noire pendant que je cours jusqu’à ne plus avoir de souffle dans les rues de Volucité. Je n’ai pas de direction, continue jusqu’à suffoquer et avoir besoin de faire une pause pour reprendre ma respiration. C’est tout ce que j’ai trouvé pour ne pas hurler comme un dément : m’enfuir en courant. L’euphorie et l’injustice des années perdues se déchirent, chacune voulant prendre le dessus sur mes émotions. Mon corps au repos oscille entre les rires et les pleurs, je veux crier, crier et crier encore à qui veut l’entendre :
Maman se souvient de moi. |
Avatar さと DC : Kalinka Hollowell, Aaron Sakuragi, Caihong Yao, Cannelle P. Rosealis
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