Retard de croissance

Arrivée sur le promontoire d'observation d'une large bassin où s'amusaient psykokwaks et barpaux, sous la surveillance attentive de capteurs et d'employés en blouse blanche, le professeur Ooshima marqua un temps d'arrêt. Feignant de contempler la scène, elle demanda à voix basse à la jeune femme :

- Alors, avez vous trouvé la réponse à votre question ?
- A vrai dire… Non, professeur. J'ai bien peur de ne pas avoir saisi ce que vous souhaitiez m'enseigner.
- Je vois… Soit ! Peut-être serait-il temps pour moi de procéder à quelques relevés dans la colonie, après tout… Et bien, qu'attendez-vous ?

La scientifique avait déjà descendu les quelques marches et approchait d'un ascenseur. Haruki trottina à sa suite en s'excusant. Après de multiples contrôles de sécurité, la cabine se mit en mouvement et elles remontèrent les étages bien plus vite qu'elles ne les avaient descendus. Loin de revenir au hall d'accueil aseptisé, Haruki découvrait une toute nouvelle salle : un quai où le clapotement de l'eau s'accompagnait de la brise marine s'élevant depuis l'extérieur. Le professeur Ooshima saisit une valisette et grimpa dans le bâteau le plus proche. Il tanguait lorsqu'Haruki y posa le pied et elle dû s'agripper au parapet pour garder l'équilibre.

- J'espère que vous n'avez pas le mal de mer, nous avons un long voyage devant nous. » Face à la mine incertaine d'Haruki, la scientifique laissa s'échapper un léger rire. « La mer est calme, aujourd'hui. Tout devrait bien se passer, ne vous inquiétez pas.

Retard de croissance

Une fois le moteur allumé, ainsi que bon nombre d'appareils dont l'utilité lui était inconnue, Haruki revit le soleil. Haut dans le ciel, ses reflets, modelés par les vaguelettes mouvantes, traçait dans l'azur un chemin en direction de l'horizon. La mer s'étendait à perte de vue. Après les murs immaculés et les couloirs labyrinthiques, la grandeur de l'étendue d'eau calme, tout autour d'elle, lui inspirait un sentiment de liberté aux effluves salées. Sans barrière, le monde entier était à sa portée, avec pour seule limite, la gravité qui la maintenait sur les flots. L'aventure pouvait parfois être aussi simple que de repousser l'horizon - à pied ou en véhicule, la méthode importait peu. Chaque mètre parcouru répétait la même question : que pouvait-il bien se trouver là où elle se dirigeait, au-delà de la courbure de la Terre ? Pour le professeur Ooshima, ce n'était qu'une formalité, un déplacement professionnel banalisé par la routine, mais Haruki, étrangère à tout ça, débordait de questions. L'évolution de son gobou lui semblait désormais secondaire. Elle ne voulait que découvrir ce que réservait derrière cette ligne impalpable qui s'échappait à mesure qu'elles s'approchaient. À quoi pouvait bien ressembler cette colonie ? Qu'est-ce qui surgira finalement dans son champ de vision ? Aucune des interrogations qu'elle soulevait ne parvint à arracher une réponse à la scientifique, préférant lui laisser la surprise, aussi Haruki n'avait d'autre choix que de solliciter son imagination.

Toutefois, la curiosité ne parvenait pas à faire oublier les appréhensions d'Haruki. Sortir de ville lui était toujours aussi difficile, tout en sachant que leur embarcation était bien équipée, mais l'isolement ne faisait qu'accentuer ses craintes. S'il se passait quelque chose, comment quiconque pourrait les retrouver et les sortir d'un mauvais pas, au milieu de l'eau ? Au nord, nulle trace de Bourg-en-Vol, ni de Poivressel, les deux villes côtières les plus proches du Village Myokara, seul le bleu. L'unique terre visible se trouvait derrière elle, mais les contours du village s'effaçaient déjà. Ses couleurs disparaissaient, pâles comme une aquarelle, tandis que les bâtiments ne semblaient déjà qu'un lointain souvenir. Peu s'élevaient assez haut pour concurrencer la silhouette massive des reliefs de l'île qui se dessinaient devant le ciel. Sous la canopée des arbres, la seule forêt de l'île, elle devinait les lignes du mont où se rassemblaient les moines du temple, mais elle doutait que leur vaisseau soit visible même de son sommet. Et elle se rappelait n'être qu'un minuscule point à l'échelle de l'humanité. Comme une goutte d'eau au milieu d'un océan infini.

Retard de croissance

Lorsque l'île fit enfin irruption, la patience d'Haruki fut récompensée. Elle n'avait rien à envier à l'archipel d'Alola. Certes, elle n'abritait aucun cocotier et le soleil ne frappait pas autant, mais la nature était omniprésente, sauvage et dépourvue de touristes. Elle prolongeait le calme de la mer et y ajoutait un vent de vacances et de sable chaud, loin de la routine citadine d'Haruki.

La dresseuse n'avait plus voyagé hors de sa région depuis plusieurs années, et rarement en dehors de Lavandia. Sans recourir à son paternel, elle n'avait pas les moyens de s'évader de son quotidien, mais sa quête des badges avait été pour elle le prétexte pour renouer avec ce loisir. Ici, rien de comparable en somme aux buildings denses de la plupart des villes qu'elle avait visité. Un unique bâtiment, de taille tout à fait modeste, était posé à quelques mètres de l'eau. Il ne devait pas abriter plus de quelques personnes à la fois, bien loin de la population du continent. L'absence de dôme était un défi technique, mais d'une part, il serait malvenu de douter des installations - dissuasives et actives - du laboratoire ayant le plus contribué à leur élaboration au cours du dernier siècle, et de l'autre, il offrait des possibilités nouvelles. Pourquoi s'embarrasser à construire toujours plus haut ou plus profond lorsqu'il y avait un espace disponible, aussi beau et où le vis-à-vis n'était pas un sujet ? Rien de ce qu'elle avait observé jusqu'ici ne ressemblait à ce coin de paradis.

Le professeur Ooshima lui laissa quartier libre et, les pieds dans le sable, elle se demandait quand elle avait pris du temps pour elle pour la dernière fois. Elle n'était pas venue pour se prélasser, mais la tentation était là. Bon sang ne saurait mentir, mais il lui demandait tout de même des efforts considérables à le maintenir honnête. Tous ces entraînements, elle ne souhaitait pas les apporter avec elle. Elle ne souhaitait pas souiller ce lieu avec la sueur de ses pokémons, d'autant que le professeur Ooshima avait été clair sur leur inutilité, en l'état actuel, pour provoquer l'évolution du jeune gobou. Au contraire, elle avait insisté sur l'importance des pauses et de relâcher ses attentes. Le bruit des vagues et la chaleur sur sa peau pâle se trouvaient une distraction de choix, repoussant au loin ces obligations qu'elle s'imposait. Les badges pouvaient encore attendre la fin de ce moment suspendu qui lui faisait le plus grand bien.

Retard de croissance

- Tu es prête ?

Quand le professeur Ooshima revint couper cette parenthèse de détente, c'était pour en ouvrir une deuxième, l'emmenant avec elle dans les profondeurs du grand bleu. A l'instar des pokémons aquatiques, le sous-marin revêtait un camouflage bleu de Yale, proche de celui de l'uniforme d'Haruki. A la surface, il contrastait avec les eaux azurées, claires et vives, mais lorsque les fonds marins se creusent et que la lumière se tarie, un bleu plus sombre était plus adapté. Au travers du hublot, elle pouvait observer la vie se poursuivre, sans prendre garde au véhicule - comportement qui atténuait légèrement son angiosse d'être en mer sans répulsif de sécurité. Avec la distance, elle voyait peu de choses : une mer bleue, et, par moments, des silhouettes, affaiblies comme par un voile de couleur. Un gobou, toutefois, fit preuve d'audace et de curiosité. Il s'approchait de la vitre sans teint, contemplant son reflet tandis que la dresseuse eut tout le loisir de le détailler en retour, plus net que ses camarades lointains. Elle qui connaissait son propre gobou depuis plus d'un an, elle s'aperçut qu'elle ne l'avait jamais vu ainsi. Celui-ci était non seulement plus énergique et insouciant, mais sa peau prenait une autre teinte, sous l'eau. Malgré la profondeur, ses écailles captaient les derniers rayons du soleil et se paraient de reflets sarcelle. Peut-être l'avait-elle privé trop longtemps de son milieu naturel ? Les amphibiens supportaient bien leur vie sur terre, tant que leur peau était traitée avec le soin nécessaire, mais peut-être manquait-il de quelque chose ?

En un éclair, le calme se changea en tempête. Le gobou avait senti quelque chose et détala à la nage, agitant sa nageoire bleu ciel avec une vitesse surprenante. Par le seul cercle de verre, Haruki ne voyait que quelques détails. Elle ne voyait que des tentacules, se pliant et se dépliant pour se propulser en avant. Sur les écrans du sous-marin, elle en eut une vision plus précise : au bleu des tentacules s'ajoutait un pédoncule violet. « Un vorastérie » lui souffla le professeur Ooshima. « Je ne savais pas qu'il y en avait dans la région. Ne vivent-ils pas plutôt dans les îles tropicales ? » s'étonna la jeune femme. « Pas toujours. Mais tu comprendras vite la raison de leur présence ici. » En effet, ainsi que l'avait annoncé la scientifique, leur destination s'invita bientôt dans leur champ de vision : une épave massive qui semblait parsemée de rochers aux couleurs pastelles. Ça et là, des corayons dits de Galar se cachaient, la tâche rendue plus difficile par leur teinte immaculée, délavée de ses couleurs roses et bleues de leur forme d'origine.