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Entr'acte.
« Cette fois, c’est ton tour !
- … Sérieusement ?
- Disons… on n’a pas vérifié, mais Marc et moi on peut pas, et pour Aline c’est compliqué, pour ses enfants... »
Elle aurait eu mille raisons de refuser, leur faire comprendre qu’elle a clairement plus intéressant à faire. Seulement, l’argument du « Il faut que quelqu’un y aille, c’est le genre d’invitations qu’il faut honorer, tu le sais comme moi, ‘Di ! » a fait mouche. On ne tourne pas le dos à un cadeau de ce genre. Ce n’est pas tout le monde qui est convié à visiter la toute dernière pension ouverte par la société Poliday.
C’est en faisant la moue qu’elle a fini par accepter, du bout des lèvres. « Bien. »
Quand on n’a pas le choix, il faut que quelqu’un se sacrifie, hein.
(…)
Inviter le pôle évènementiel du HCP lors de la semaine d’inauguration d’une pension, c’est un moyen de se faire bien voir, de faire parler de soi (surtout lorsque quelques journalistes spécialisés privilégiés ont aussi droit à leur laisser-passer). Petit sac en cuir noir à l’épaule, bottines et chemisier fleuri, India se fond presque dans le décor, lorsque deux femmes aux larges sourire annoncent : « Bienvenue à tous dans notre pension Poliday de Cimetronelle ! ». En les regardant faire, déformation professionnelle, elle ne peut s’empêcher de se demander quelle proportion de leur attitude est « factice ». Car il y en a toujours un peu. Elles sont dans la représentation, elles doivent avoir le stress de faire bonne impression, qu’il n’y ait aucun raté et qu’à la fin de la visite les gens se disent « Waah, trop bien, je veux revenir ! ». Alors il y a dans ces sourires une crispation invisible à l’œil nu, pour qui n’est pas familier à ce genre d’exercice.
India voit, elle. Elle devine et lit dans les mouvements un peu trop rapide de la plus jeune des deux éleveuses une tension bien présente. Alors elle hoche la tête aux moments opportuns, ne voulant pas ajouter à l’émotion perceptible un regard froid ou trop indifférent. Même si une partie d’elle l’est, indifférente. Elle ne travaille pas vraiment, aujourd’hui. Elle peut garder pour elle le regard de tueuse, de celle qui veut que tout soit impeccable et ira dénicher le moindre « petit truc » qui ne tient pas droit ou ne roule pas comme sur des roulettes.
Repos, soldat. Aujourd’hui, ce n’est pas son rôle, alors elle suit silencieusement la file des curieux dans des couloirs complètement neufs, bardés de photos de pokémons heureux et épanouis, auprès d’éleveurs et autres assistants vétérinaires aux petits soins. Poliday ne fait pas les choses à moitié. Le sentiment est d’autant plus fort quand ce petit monde déboule sur un grand espace intérieur, donnant sur une large baie vitrée. « Ici, les pokémons les plus domestiqués et habitués à vivre en intérieur pourront trouver un petit havre de paix. Bien entendu, l’accès à cette pièce est entièrement libre pour eux. »
La présentatrice est tournée dans une direction qui laisse apercevoir une petite trappe coulissante, suffisamment grosse pour laisser passer différents gabarits de pokémons. La femme blonde, apparemment plus rodée à l’exercice, enchaîne. « Comme vous pouvez le constater, nous avons différents jeux et cachettes un peu partout dans cette pièce, afin que chaque créature puisse agir à sa guise et selon ses besoins du moment. » Cela rejoint la brochure qui accompagnait l’invitation : un élevage basé sur le bien-être des pokémons et leurs aspirations. La formulation peut prêter à sourire mais… pourquoi pas.
Assez naturellement, les visiteurs sont amenés à passer de l’autre côté de la baie vitrée, dans un grand jardin verdoyant, pour la plus grande partie. « Nous avons fait en sorte de reproduire quelques écosystèmes, en s’assurant que chaque espèce puisse se sentir aussi à l’aise que possible. » Et en effet, après quelques minutes de marche, un large étang a été installé avec différentes plantes marines. Plus loin encore, une zone plus aride, avec des gros rochers et « décorations » calcaires. « Nous avons pour ambition de développer plus encore cet habitat, dans un second temps. » Les explications se poursuivent et les quelques pokémons qui sont déjà présents dans la pension se montrent pour certains intimidés, quand d’autres n’ont pas l’air dérangé le moins du monde par ce brouhaha et ce groupe d’inconnus.
Le clou du spectacle arrive un peu après : une couveuse. Il faudrait être naïf pour croire que Poliday ne développerait pas cet aspect-là de l’élevage. « Nous laissons les choses se faire naturellement. » Bien sûr. Il n’empêche que les différents casiers chauffés et tempérés de la couveuse sont bien nombreux, et la jeune éleveuse semble lire l’interrogation dans le regard d’India, car elle souffle : « Le dimensionnement a été prévu large, car on ne sait jamais… dans un premier temps nous allons tout de même limiter le nombre de pokémons en pension en même temps, afin de s’assurer que chacun trouve ses marques et profite pleinement du confort de l’endroit. » Encore heureux, oui.
Pendant plusieurs minutes ensuite, les deux femmes parlent plus précisément de leurs métiers, de leurs parcours et la Swango tend l’oreille face aux questions d’un journaliste méticuleux. Si elle ne s’est jamais imaginée éleveuse, elle comprend l’attrait que certains peuvent avoir pour un pareil métier. Elle sait que de son côté elle n’aurait pas la patience. Elle a elle-même ses propres pokémons et cela est amplement suffisant. Quand les sujets de l’expertise de l’éleveur, particulièrement en matière de comportement pokémon est abordée, elle acquiesce presque inconsciemment de la tête. C’est vrai que les éleveurs ne tiennent pas simplement une pension, ils doivent s’adapter à chaque tempérament, chaque espèce…
« Vous ne devez pas vous ennuyer.
- Ah ça, jamais ! »
Si, par un réflexe clairement inné, elle pourrait se montrer un poil sceptique. Elle se demande quand même, une fois sur le trajet du retour, si elle ne déposera pas un jour ou l’autre l’un de ses pokémons en pension. Sur une période où elle est trop occupée par son travail, cela pourrait peut-être être bénéfique. Il faudra qu’elle se renseigne.
(1030 mots) - J9, calendrier de l'Après 2024.
