Je me doutais que ce jour arriverait, le jour où ma vie d'Aqua viendrait empiéter sur ma vie civile. J'étais parvenu jusque-là, jusqu'à cet appel de Colin sur ma ligne personnelle. La situation doit être particulièrement critique pour me solliciter de la sorte. Que peut-il se passer pour qu'on ait besoin de moi ? Les interrogations vont bon train et s'accumulent ; cela me déplait fortement. Pour autant, c'est aussi dans mes intérêts que de suivre les ordres.

Ce qui m'importe avant tout, c'est la nature de la mission qui va m'être confiée. Les instructions de Colin sont aussi claires qu'obscures. Il me laisse le champ libre tant que les objectifs sont atteints, comme j'y suis habitué. « J'ai besoin que tu te rendes à la banque Pokémon au plus vite. » Le lieu m'interpelle. Il y a un braquage en cours là-bas, c'est sur toutes les chaînes de télévision ; les locaux sont encerclés par la police, prise d'otages et autres joyeusetés. Je n'ai pourtant pas entendu parler d'une telle opération, alors je suis quelque peu confus. « On a un homme à l'intérieur qui n'a rien à voir avec ce casse. Il faut le faire sortir d'une manière ou d'une autre. » Je comprends de suite mieux les tenants et aboutissants. J'ai cependant besoin de plus d'informations pour élaborer un quelconque plan.

Tout ce que je sais pour l'instant, c'est que je vais devoir faire usage de ma carte de journalisme afin de me rendre sur place et d'approcher. « Quelle était la mission du sbire sur place ? et quelles sont les directives pour lui ? » Ce sont, selon moi, les questions les plus importantes, celles qui nécessitent une réponse. Pour les autres paramètres, je pense pouvoir m'adapter à ce qui me fera face. « Sa mission consistait à dérober des pokémons aquatiques, pour leur rendre leur liberté plutôt qu'ils soient stockés dans un PC sans jamais voir la lumière du jour. » Je comprends bien mieux la démarche et ne peux qu'y adhérer. Être capturé dans une pokéball ne doit pas rimer avec captivité ; s'il est possible de leur offrir une meilleure vie et les retirer à ceux qui les exploitent, j'appose immédiatement ma signature. « Quant aux ordres, simplement se mêler aux otages pour sortir. » Cela m'interroge sur mon rôle à jouer dans cette histoire. Vais-je devoir créer un diversion, ou bien mon appui devra se centrer sur autre chose ? Je crois bien que je ne le saurai qu'une fois sur place. « Je n'ai rien de plus à ajouter, alors à toi de jouer. » Et Colin raccroche. Comme il vient de me le dire : c'est à moi de jouer.

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Garder mon sang-froid ne s’avère pas un problème, je reste concentré sur l’objectif. En tant que journaliste, je suis loin d’être le seul sur place, je peux me fondre dans la masse et on peut surtout considérer que je m’approche trop près pour une tout autre raison que la réelle. Je suppose que c’est ce que Colin avait en tête en me demandant d’intervenir. Cela me déplaît toujours autant, j’aurais très bien pu refuser de prendre ce risque sous ma véritable identité – sans doute aurais-je dû – mais je vise l’avancement dans l’organisation. Si je parviens à l’objectif, ma place dans les petits papiers de Colin sera d’autant plus ancrée. Alors tant pis, je vais devoir être particulièrement prudent, encore plus que d’accoutumée. Je ne peux rien laisser au hasard. Je réalise par ailleurs que je vais devoir faire appel à mes pokémons, à ceux qui m’accompagnent en tant que civil. Cet élément me dérange également, dans toute cette histoire. J’ai fait en sorte d’éviter à la plupart de mes pokémons d’être mêlés à mon engagement chez les Aqua et, maintenant qu’on me demande d’utiliser mon identité de civil, ils se retrouvent à m’accompagner en mission. De toute manière, je n’ai pas d’autre possibilité ; ruminer dessus ne m’avancera à rien.


Pour permettre au sbire de se sortir de cette situation, il faut qu’il puisse rejoindre les otages. Malgré le vol qu’il est venu commettre, il n’a rien à voir avec le braquage en cours. Pour autant, les forces de l’ordre n’ont pas accès à cette information. Il ne s’agit cependant pas de la seule problématique à solutionner : la présence de journalistes – qui me permet d’être ici – crée d’autant plus d’enregistrement des événements qui pourront être utilisables comme preuves. Sans compter les journalistes d’investigation faisant leurs propres recherches, comme je pourrais le faire. Deux problèmes pour lesquels je dois trouver deux solutions. Il m’est pourtant impossible de me dédoubler, de mener les deux parties de mon plan en simultané. Pour la banque Pokémon, j’envisage de demander à Cole de se matérialiser à l’intérieur pour trouver le sbire et l’aider à rejoindre les autres otages. Simplement lui servir de guide pour éviter les autres braqueurs, ceux qui n’ont rien à voir avec la team Aqua. En ce qui concerne les journalistes, leur point faible est que tout leur matériel est électronique, qu’il dépend d’un réseau, aussi. C’est là que Blaine a son rôle à jouer, pour perturber les ondes, surcharger leur matériel, tout ce qui peut les empêcher de diffuser ou enregistrer les événements. Voici mon plan. Il ne me reste plus qu’à trouver comment permettre ces deux opérations sans m’exposer.

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Je dois procéder par étape, je ne suis pas de ceux qui foncent tête baissée et improvisent, bien au contraire. J’ai besoin de me préparer, d’étudier, de rassembler des informations ; en somme, j’ai besoin de mener l’investigation. Sans doute est-ce une déformation professionnelle, ou alors j’ai choisi la profession qui correspond à mon tempérament. Dans tous les cas, je dois prendre le temps d’analyser la situation et d’échafauder un plan. Tout d’abord, comment mon Noctunoir peut-il venir en aide au sbire coincé à l’intérieur ? Si ce dernier voit simplement Cole, il n’aura aucun élément à disposition pour comprendre que le spectre est là pour l’aider. Il ne me faut pas longtemps pour effacer cette faille : j’ouvre mon carnet et dessine sur l’une des feuilles l’emblème – approximatif certes – de la team Aqua avant de déchirer la page et la tendre à Cole. Ce qui me gêne dans ce plan, c’est ma méconnaissance du terrain : je serai dans l’impossibilité de guider le Noctunoir une fois à l’intérieur. Il devra se débrouiller seul pour trouver l’autre sbire, lui transmettre la feuille et faire en sorte qu’il rejoigne le groupe de civils pris en otage. Cole est d’ailleurs insondable, je ne sais pas s’il perçoit les enjeux, s’il perçoit ce pan de ma vie qui ne devrait pas exister. Peut-être désapprouve-t-il que je me serve de lui de la sorte, ce qui aurait du sens. Mais il semble s’y résoudre puisque je le vois disparaitre sous mes yeux. Passons à l’autre partie du plan.

C’est à Blaine de s’y coller et, le concernant, je n’ai aucun doute sur le fait qu’il ne saisisse pas l’importance – ou la gravité, selon le point de vue – de ce qui se joue ici. D’ailleurs, la tâche pour l’Iguolta est bien plus simple : à un moment donné, je lui demanderai d’utiliser Ondes Étranges pour perturber tous les appareils électriques. Si on me dit quelque chose, je m’excuserai platement, prétextant que je ne l’avais pas vu sortir de sa pokéball. Surtout avec ce ciel sans nuage qui pourrait parfaitement expliquer que le reptile doive décharger l’électricité qu’il emmagasine. Ce qui importe maintenant, c’est d’exécuter cette manœuvre avec le bon timing. Malheureusement pour moi, Blaine est loin de correspondre au terme discipliné. Il va pourtant falloir que je lui fasse confiance pour faire ce que je lui demande au moment où je lui ferai signe de le faire. Ce n’est pas gagné d’avance, mais j’ai foi en lui. Jusque-là, il a toujours su se montrer à la hauteur lorsque l’enjeu était de taille. Il n’y a pas de raison pour que cela change.

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Il n’est pas évident de se faufiler parmi la masse de journalistes de l’autre côté des barrières de sécurité. Il me faut de la visibilité sur la situation, et peut-être ferais-je mieux de m’installer à un autre endroit qui me donne une meilleure prise de vue sur l’entrée de la banque. Je pense au bâtiment d’en face, mais je doute que l’accès y soit libre. J’imagine que les forces de l’ordre utilisent déjà le lieu, qu’ils ont dû le sécuriser et vérifier qu’il n’y ait pas de complices à l’extérieur. Alors tant pis, ce sera dans la rue, avec les autres journalistes bataillant entre eux pour s’accaparer les places aux premières loges. De mon côté, je lutte avec d’autres paramètres : il faut que Blaine puisse me voir d’où il se trouve, et je dois aussi savoir ce qu’il en est de Cole. C’est l’un de mes problèmes majeurs que de ne pas savoir où se trouve mon Noctunoir et là où il en est de la mission que je lui ai confiée. Je n’aime vraiment pas avoir cette pression massive sur les épaules sous mon identité civile. Seulement je n’aurais pas eu la possibilité d’intervenir en tant que Castiel, pas en plein jour devant autant de monde. C’est justement ma carte de civil, et même plus précisément de journaliste qui justifie ma présence sur place aux yeux du monde, qui me permet de me confondre parmi tous les autres journalistes dépêchés sur place.

Je sens alors une pression sur l’un de mes pieds, ce qui me fait baisser le regard. La main de Cole sort du sol et s’est saisie de ma chaussure. Ok, le Noctunoir se rend quasiment indétectable sauf pour moi, ce qui signifie qu’il est de retour. Malheureusement, je ne peux ni lui parler ni le rappeler dans sa pokéball. Ce serait bien trop flagrant avec toutes ces personnes à proximité. Je ne dois en aucun cas agir de manière suspicieuse. « Flûte, mes lacets. » Je pose un genou à terre, prétendant refaire le nœud, et en profite surtout pour m’adresser au pokémon spectre. Je me doute que devoir rester en phase avec le sol ne doit pas être la chose la plus agréable qui soit. « File rejoindre Blaine. » Sans attendre, Cole suit mes indications. S’il est de retour, cela signifie qu’il a dû mener sa mission à bien, donc que le sbire à faire sortir a effectivement rejoint les autres otages. J’inspire profondément. La tension est générale. La police parviendra-t-elle à maîtriser la situation ? Y aura-t-il des blessés, ou pire des morts ? Personne n’en sait rien. Nous ne savons pas même où peuvent en être les négociations avec les braqueurs. Aucune information ne nous parvient et l’attente se fait longue.


Finalement, les braqueurs ont essayé de prendre la fuite, laissant les otages derrière eux. Il s’en est suivi une course poursuite de deux des trois cambrioleurs. Le troisième, grièvement blessé par une capacité pokémon – un tranche-nuit si les informations rapportées sont exactes – a été immédiatement conduit dans l’hôpital le plus proche, sous surveillance policière. En ce qui concerne les otages, j’ai fait signe à Blaine, mon Iguolta, et il s’est immédiatement mis à générer ces Ondes Étranges qui sont venues parasiter tous les appareils électriques ou électroniques sur un court rayon, exactement comme je le lui avais demandé. Je respire enfin. La mission est accomplie, je n’ai plus rien à faire ici. Je vais pouvoir revenir à ma vie de journaliste.

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