Il m’était impossible de ne pas me rendre sur place, de ne pas être là pour lui. En sachant à quel point cela comptait pour lui, il était impératif que je sois là pour le soutenir. Dans l’idéal, j’aurais même voulu m’assurer qu’il puisse chercher mon regard pour y trouver le courage si cela s’avérait nécessaire. C’était là quelque chose de plus fort que moi ; dès qu’il était question de l’Aqua, mes perspectives et priorités changeaient.

En réalité, lorsque le message de Willi m’est parvenu, de multiples émotions se sont entremêlées. La première fut un sincère enthousiasme. Pour un journaliste spécialisé dans le dressage Pokémon, savoir qu’un proche allait passer le défi de la Ligue provoquait forcément une telle réaction. J’étais curieux de le voir dans ce stade, de le voir combattre, de le voir se mesurer aux champions. A cela s’est ajouté une certaine fierté. Me sentir fier de lui s’avérait étrange, et pourtant, il s’agissait exactement de ce que je ressentais. Il m’avait parlé à plusieurs reprises de cet objectif qu’il avait, j’avais pu y percevoir toute l’importance que cela pouvait avoir pour lui. Alors qu’il puisse enfin le faire, qu’il se lance dans cette aventure comptant à ce point à ses yeux, oui, cela me rendait fier de lui. Cela me dépassait et j’avais envie d’y prendre part. J’avais envie de faire partie, d’une manière ou d’une autre, de cette belle histoire. Peut-être était-ce égoïste, possiblement que cela l’est encore, mais je ne parviens pas à m’y résoudre. D’où ce qui a suivi.

J’ai fait la demande d’être détaché pour couvrir l’événement pour Unys. Willi m’avait proposé l’exclusivité de son interview à la suite de sa victoire. Certes cela n’avait rien d’assuré, mais cette exclusivité s’est avérée être l’argument principal en faveur de ma demande. Après tout, j’ai fait mes armes en tant que journaliste et sur divers plans, tant dans le domaine du dressage que dans l’investigation sur des sujets liés à l’écologie. Je ne suis donc pas considéré comme un journaliste partial – un vendu dira-t-on – si je viens à interviewer l’Aqua. Et pourtant. Cette entrevue a un objectif, et j’ai parfaitement conscience des risques que je prends. Je vais devoir jouer à un jeu d’équilibriste pour ne pas me compromettre. J’ai échangé avec Willi sur mon souhait de ne pas révéler au monde mon appartenance à l’organisation, et il respecte mon positionnement. Sa confiance, si importante à mes yeux, m’a permis d’être appuyé par Mina auprès de la chaîne, qui a accepté. C’est allé même au-delà de ma demande initiale ; on m’a proposé de commenter les combats pour la diffusion en direct à Unys. J’ai été surpris de l’apprendre, ainsi qu’honoré. Il n’y avait pas que Willi qui m’accordait sa confiance, la chaîne m’employant le faisait aussi. Il n’empêche qu’au-delà de la pression qui allait être induite, il y avait aussi un véritable engouement face à cette nouveauté. Je me devais de la partager.


Je ne lui en ai pas dit davantage, je ne pense pas que ce soit nécessaire. Puis réduire nos communications au minimum n’est pas une mauvaise chose, en amont d’un coup de projecteur sur nos deux personnes. Il n’empêche que cela a quelque chose de frustrant, pour moi. Il m’est encore difficile d’admettre l’attachement que j’ai envers l’Aqua, d’autant que j’en vois les risques. Il est ma kryptonite et j’ai bien conscience de ne pas être la sienne. Au sein de l’organisation, nous avons des objectifs similaires et avons décidé de nous appuyer l’un sur l'autre, de nous allier. Des deux côtés, nous prenons des risques pour avancer nos pions sur l’échiquier, nous prenons aussi des responsabilités. Vouloir prendre la tête de cette organisation afin de changer sa nature, cela créera des résistances, des opposants. Alors il nous faut des personnes de confiance, et nous pouvons l’être l’un pour l’autre. De toute manière, mon inquiétude le concernant réside ailleurs. Notre proximité dépasse largement nos aspirations communes et je crains par moments que cela brouille mon jugement. Saurai-je rester un bon journaliste face à lui ? Ma discipline a toujours été inflexible dans ma profession, et j’ai préparé notre entrevue avec ma rigueur habituelle. Je ne demeure cependant pas à l’abri du trouble que l’Aqua peut créer en moi.


Le jour fatidique est arrivé. Une fois de plus, les émotions que je ressens sont multiples. Il y a une véritable excitation à l’idée d’entrer au sein de la Ligue Pokémon avec un badge de staff, au-delà du simple badge de journaliste. Je viens pour une autre raison, pour encore mieux : commenter. Il s’agit d’un exercice nouveau pour moi, et je me retrouve à couvrir un événement mondial en direct. C’est impressionnant. Pour autant, je suis rassuré par la personne m’accompagnant, à savoir Hamilton Grey. Il commente les combats de Ligue pour la retransmission à Unys depuis plusieurs années désormais, il n’en est donc pas à son coup d’essai. Nous avons été mis en contact par l’intermédiaire de Mina et avons longuement échangé. J’ai visionné les divers matches pour m’imprégner de la manière de faire de mon prédécesseur. Je ne compte pas l’imiter, pour autant, je peux m’en inspirer. Dans tous les cas, il s’agira d’une première. Il est donc normal qu’il me faille du temps pour prendre mes marques. Cependant, au-delà de cette excitation, il y a également une appréhension grandissante qui n’a rien à voir avec ma place dans les tribunes. Willi. Je m’interroge sur son état d’esprit, sur ses possibles craintes. Je me retrouve à regretter l’impossibilité d’être à ses côtés, de le rassurer si nécessaire, de lui dire que j’ai confiance en ses capacités. En a-t-il seulement besoin ? Je me contente de deux émoticônes, ne souhaitant ni le distraire, ni lui donner la sensation d’être obligé de répondre.


Il est donc temps pour moi de prendre place dans les tribunes, dans l’espace qui nous est réservé et qui garantit une excellente vue sur le stade. Je dois dire que c’est impressionnant. J’ai déjà eu l’occasion d’assister à des combats de Ligue, mais je n’ai jamais été aussi bien positionné qu’ici. « Prêt pour ce premier match ? » C’est une sensation étrange que de faire face à une voix entendue à la télévision si souvent. Je me suis préparé afin de ne pas être déstabilisé par l’admiration que j’ai pour cet homme. Ainsi, je me sens la confiance de lui tendre la main. « Aussi prêt que je puisse l’être. » Il m’invite alors à m’asseoir et à prendre le casque avec micro situé devant moi, tandis qu’il installe le sien sur sa tête. Je l’imite. Le match ne va pas tarder à commencer. Nous allons être en direct sous peu.