Un forum sur les énergies renouvelables s’est tenu à Carmin-sur-Mer, alors Seth et moi nous y sommes rendus. Je n’ai pas de compétence particulière qui justifie que je sois là hormis le temps que j’ai passé à la pension des Éoliennes. Seth m’a dit que c’était le parfait exemple d’intégration au paysage, j’ai eu le malheur de me laisser convaincre. Mais ce n’est pas de ça que je veux parler. Le forum – ou plutôt congrès, je fais pas la différence – occupait mes journées, mais le soir, je m’esquivais pour rejoindre la plage, la mer, et surtout travailler avec Spyros sur des enchaînements de capacités. Le cadre est inspirant pour la coordination, je trouve. Et, le deuxième soir, j’ai remarqué ce Carabaffe qui tentait d’imiter Spyros, de très loin. Je n’ai pas osé m’approcher, ne voulant pas lui faire croire que c’était un problème. J’étais surtout plus intrigué qu’autre chose. L’espèce me semble particulièrement rare, alors je doutais qu’il s’agisse d’un pokémon sauvage. Sauf que je ne voyais pas de dresseur potentiel dans les environs. Je m’interrogeais. Pour autant, une chose était sure, j’allais revenir au même endroit pour continuer les sessions d’entraînement avec mon Lucario. Je voulais savoir ce qu’il en était de ce Carabaffe.

« Tu perçois sa présence ? » Le don d’aura des Lucarios, c’est quand même bien pratique, on ne va pas se mentir. D’ailleurs Spyros acquiesce. « C’est une femelle, d’ailleurs. » Oh, d’accord, je note l’info. Je ne m’autorise cependant toujours pas à aller la voir. Je crains de l’effrayer, de la faire fuir, et c’est pas du tout ce que je veux. « Tu peux établir le contact ? Je me dis que ça passera mieux si ça vient de toi. » De pokémon à pokémon, ça devrait mieux passer, ça devrait rassurer sur la présence humaine que je représente. Puis Spyros a l’habitude, c’est en quelque sorte mon interprète ; d’ailleurs, c’est assez étonnant qu’il soit si bon communiquant étant donné son caractère plutôt solitaire. Après tout, il demeure le leader incontesté de mon équipe. « Elle hésite, elle est méfiante vis-à-vis de toi. » Je ne suis pas surpris, et elle a raison d’une certaine manière. Il vaut mieux se méfier des humains dans leur globalité, quand on est un pokémon sauvage. Je serais sur mes gardes également, si j’étais à sa place. « Dis-lui de nous rejoindre si elle le souhaite, simplement pour travailler des enchainements avec nous, sans rien de plus. » Après tout, ça ne coûte rien d’essayer, quelle que soit l’issue de cette rencontre. Je n’ai tout de manière pas d’attente spécifique, simplement que l’intérêt que la Carabaffe nous porte me laisse croire qu’elle pourrait profiter de cette proximité avec nous, pour le temps que ça durera.

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Je ne veux pas passer pour un forceur non plus. Je me doute que ça doit avoir quelque chose d’intimidant, mais j’ai surtout noté la curiosité de la Carabaffe et le fait qu’elle ait osé s’approcher suffisamment pour pouvoir nous imiter. A ça, on peut ajouter le fait que c’est quand même pas mal rare de rencontrer des pokémons sauvages intéressés par une activité telle que la coordination. J’en suis encore étonné, d’ailleurs, même si je trouve ça surtout super cool. Après, je n’y mets aucune exigence, ni aucune contrepartie. Je pense que c’est pour ça que j’ai un bon feeling avec les pokémons, que ça se passe généralement bien en leur compagnie ; ils perçoivent que je suis franc du collier, qu’il n’y a pas d’entourloupe avec moi. Et c’est pour ça que je vois, en cet instant, la Carabaffe s’approcher un peu. Elle reste à une distance raisonnable, mais je suis convaincu qu’elle dispose désormais d’une meilleure vision de Spyros.

« Allez, on reprend le travail sur ton Aurasphère. » Ledit travail consiste à ce que Spyros parvienne à maîtriser à la perfection sa sphère d’énergie lorsqu’il est lui-même en mouvement. Il est encore relativement loin de parvenir à cette prouesse technique, mais je constate de l’amélioration, ce qui signifie que nous sommes sur la bonne voie. Je suis alors pris d’un doute : les Carabaffes connaissent-ils l’attaque ? Je sais que les Tortanks peuvent l’apprendre, mais je crois que l’évolution est nécessaire pour ça. Après, l’énergie, c’est à peu près comme un fluide, donc ça devrait pouvoir marcher à peu près pareil avec de l’eau, non ? J’avoue que, sur ce coup, je ne suis pas confiant à cent pourcents, mais ça sera toujours instructif de le tenter ! « Tu peux essayer de faire pareil avec de l’eau si tu veux. »

Je fais quelques pas de côté pour m’éloigner des deux pokémons, qui se sont placés en miroir l’un face à l’autre. Spyros se concentre et commence la création de sa sphère, je peux alors voir la Carabaffe débuter la même action avec de l’eau. L’orbe se maintient des deux côtés. Le Lucario se met alors à faire bouger son aurasphère, à la faire doucement tournoyer autour de lui sans qu’il ne fasse le moindre mouvement. Pour le pokémon eau, le résultat n’est pas le même : ça éclate en cours de canalisation. Je ne peux retenir ce léger rire en voyant l’expression de surprise de la Carabaffe. « C’est ok, t’inquiète. Ça a aussi demandé du temps à Spyros avant d’arriver à tant de maîtrise. » Je me veux rassurant ; la dernière chose que je veux, c’est décourager la Carabaffe. Au contraire, il faut se dire que c’est un bon début, ensuite, il faut essayer de comprendre ce qui fait que ça ne fonctionne pas pour tenter de solutionner le problème. Mais chaque chose en son temps, il faut commencer par le commencement.

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Les jours se sont enchaînés bien plus vite que ce que j’aurais voulu. J’ai eu beau rester le plus longtemps possible sur cette plage à m’entraîner avec Spyros, mais surtout avec la Carabaffe que nous avons rencontrée, nous sommes encore loin de résultats probants. J’ai la sensation qu’on a commencé quelque chose que nous ne pourrons pas finir si je quitte Carmin-sur-Mer, et ça sera forcément le cas. C’est hyper frustrant. Et je ne parle là que de moi. Je perçois également beaucoup de sympathie de la part de Spyros envers le pokémon eau. Ce n’est pas courant venant du Lucario, il est plutôt de ceux restant à distance, alors ça m’interpelle aussi. Est-ce que je devrais demander à la Carabaffe si elle souhaite nous accompagner ? Je vois énormément de potentiel en elle, une véritable sensibilité artistique mais aussi une sacrée volonté. Elle aurait pu se résigner suite aux échecs consécutifs pour manipuler l’eau qu’elle produit, mais non, au contraire. Elle écoutait les conseils et faisait de son mieux pour les appliquer. Je suis profondément convaincu qu’on peut lui apporter quelque chose, un espace pour s’améliorer, pour partager, pour créer. Ça faisait un petit bout de temps que je n’avais pas ressenti la flamme de la coordination chez un pokémon, et ça ne fait qu’alimenter la mienne. En fait, j’ai envie de bosser avec cette Carabaffe, j’ai envie de monter des prestations avec elle. A voir ce que la concernée en pense, puisqu’il s’agit de notre dernière soirée à Kanto.

Je me sens tendu. Ça ne m’arrive pas souvent, mais la proposition que j’ai à faire est conséquente. C’est un énorme changement de demander à un pokémon sauvage de suivre un dresseur. Certes la Carabaffe vit proche d’une ville assez importante, donc dans un environnement urbanisé, donc habitué à la présence d’humains et d’autres pokémons, mais ça ne fait pas tout. Ça requiert de renoncer à sa liberté, même s’il est évident que je ne la retiendrai pas si elle manifeste l’envie de retourner à l’état sauvage par la suite. Enfin, j’aime pas trop envisager cette possibilité, mais ça reste l’une d’entre elles. Bref. Je prends une grande inspiration et je me lance. « On part demain matin, alors c’est notre dernier soir ensemble. Enfin, sauf si tu acceptes de venir avec nous. » Je marque une pause, scrutant une éventuelle première réaction de la Carabaffe. Allez, poursuis. « On participe à des concours où on peut créer des histoires en utilisant vos capacités de pokémons pour faire de l’art, exactement comme toi. » Il me faut un petit temps pour bien mettre en place ce que je veux dire avant de rouvrir la bouche. « Après, il n’y a pas d’obligation, ni de décision définitive. Tu fais comme tu le sens, mais sache que la porte de mon équipe t’est ouverte si tu le souhaites. » Voilà, c’est dit. Maintenant, on peut se remettre à travailler, à peaufiner la technique, à persévérer sur les ajustements. La session s’écoule jusqu’à ce que la nuit commence à tomber. Il va falloir qu’on rentre ; nouvelle montée d’appréhension. « Alors, est-ce que tu es parvenue à une décision ? » La Carabaffe échange alors un regard avec Spyros. « Elle vient avec nous. » Si je pouvais sourire plus largement, je le ferais. Je suis refait, c’est beaucoup trop cool. J’ai trop hâte qu’on bosse ensemble sur des prestations. Beaucoup trop hâte.

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