Lia est à trois mètres de lui, assise sur l’un des tabourets hauts, à vapoter distraitement pendant que Santiago est affairé en cuisine. Il a piqué l’un des tabliers, remonté les manches de sa chemise et… fait de son mieux. C’est le moins qu’on puisse dire. On ne peut pas dire que la serveuse soit d’une grande aide, hein.
« Tu pourrais m’aider, non ? - Laisse-moi réfléchir… non. - Tsss… et arrête avec ce truc. Tu sais que Mario va péter un câble s’il te voit avec ça dans sa cuisine. - J’m’en fous, il est pas là. Et je crois qu’il serait pas plus ravi de te voir à faire… à faire quoi, au fait ? - Une tarte ! Je fais une tarte, ça se voit pas ? - … Non. »
La blonde se moque de lui, c’est certain. Il suffit d’avoir des yeux pour comprendre, hein ! Il suit à la lettre une recette chopée sur le Net. Une tarte aux pralines, un dessert qu’Esme a évoqué quelques fois comme lui rappelant son enfance. La manager du Flamingo fête son anniversaire et Santiago s’est dit qu’elle serait contente d’une telle attention…
Encore faut-il qu’il s’en sorte. Lui qui cuisine plus facilement le salé, on peut dire qu’il a mis la barre haute. Il veut faire ça bien, et il pourra ainsi se vanter d’avoir réussi, et présenter à sa boss et amie un gâteau 100 % maison ! « Pourquoi t’as pas acheté une pâte toute faite, comme tout le monde ? » Il tourne sur elle un air de dédain et secoue la tête. « C’est pas si compliqué que ça, une pâte ! » Peut-être, mais encore faut-il être méticuleux et équipé. Le beurre, la farine, le sucre glace… puis ajouter le jaune d’œuf, l’eau froide et la pincée de sel.
Il fait de son mieux, ah ça, oui. Mais à chaque ligne qu’il lit, il grimace. De nouvelles consignes à suivre, et des termes qui paraissent si évident à qui à écrit la recette mais qui nécessitent qu’il s’y reprenne à deux fois, où chercher clairement une définition appropriée, comme « sabler » la farine et le beurre. Pâte sablée, oui. Plus facile à dire qu’à faire.
« Une pincée...ça va ça ? - … Hm. »
Lia a la tête dans son téléphone, et ne la relève que pour s’amuser du désespoir de son collègue, il faut croire. Ce n’est pas grave, Santiago compte bien aller au bout. Pendant que la patte finalement étalée dans son plat est mise en cuisson, il faut passer au gros morceau : les pralines. Ce n’est pas quelque chose qu’il a trop l’habitude de manger, en plus… mais pourquoi pas ? C’est quand le défi est grand que la réjouissance l’est d’autant plus !
« … faire bouillir la crème liquide et ajoutez les pralines en remuant énergiquement au fouet. OK. »
Il allume les plaques, sort des casseroles comme il a vu Mario le faire mille fois et s’applique à faire chauffer la crème comme indiqué. Il est tout concentré, quand la voix de Lia retentit à nouveau : « T’aurais pu lui faire un de ses cocktails préférés, hein. T’es meilleur pour ça. » Ouuuh, c’qu’elle peut être agaçante, quand elle s’y met. « … t’as rien compris, Lia. » Le plaisir de faire quelque chose de différent, marquer les esprits, c’est autre chose. La concernée hausse les épaules et souffle un « Ça doit être ça. » Ambiance.
Santiago a un sursaut en constatant que ça y’est, la crème est à ébullition, et s’applique à tourner les pralines. Le mélange s’épaissit progressivement en prenant une teinte rouge, alors que Lia s’avance finalement dans la cuisine, lorgnant sur ses préparations puis sur le four. Au bout de quelques minutes : « Tu devrais sortir ta pâte, je pense... » Il se retourne, la fixe un instant puis s’approche du four. La pâte y a pris une jolie teinte dorée. « Ah oui, merci. »
Il met des gants de cuisine, retire le moule et le met de côté. « Je croirais presque que tu essaies de m’aider. », fait-il avec un sourire envers la blonde. Elle le lui rend et secoue la tête : « T’y habitues pas, hein. »
Il s’en amuse, vérifie la consistance de la pâte mais en oublie son mélange de praline, toujours sur la plaque dont il a oublié de réduire la puissance… c’est quand il le réalise enfin qu’il se précipite vers la casserole ! « Nooon ! » Le mélange sucré s’est quelque peu solidifié et accroche clairement le fond, avec une teinte un peu noircie. « Merde... » Il fait de son mieux pour tourner, remélanger et grimace… « … ça devrait l’faire, hein ? » Lia n’est pas bien loin, cette fois. Elle penche la tête vers le contenu de la casserole et hausse les épaules, pas plus concernée que ça.
Santiago continue quand même, et vide finalement le mélange rouge sur le fond de pâte, l’enfourne et… espère. Il fait un peu la moue, espérant que les dieux de la cuisine soient avec lui, et entreprend de ranger tout ce qu’il peut avant l’arrivée de Mario, qui ne sera clairement pas content si sa cuisine est en bordel. Pendant ce temps, Lia commence à préparer la salle pour le service du soir et Santiago part ensuite la rejoindre...tout en guettant la fin de la cuisson.
Quand la sonnerie du four retentit, il se précipite en cuisine pour voir le résultat… et s’arrête net. La tarte n’a pas pris. Est-ce ainsi que l’on dit ? Le mélange de praline est curieux. Comme si le gras était remonté. Etait-ce dû au trop plein de cuisson ? Tout en faisant la moue, il retire la tarte et la pose, avant de « tester » sa consistance avec un couteau. Le résultat est curieux, mou en haut, très dur au fond… Il en coupe une part, pour mieux voir. Rien qui ne fasse particulièrement envie. Il reste de longues secondes prostré devant ce résultat. Déçu. Jusqu’à ce que Lia le rejoigne, sans doute attirée par son silence. Comme un chat silencieux, elle se matérialise derrière lui, fixe tout aussi longuement la tarte et ne dit rien pendant un petit temps.
Et finalement : « T’as le mérite d’avoir essayé, hein... »
Elle prend un petit morceau de la tarte, grimace et finalement s’attarde sur le rebord de la pâte. « Elle est bonne ta pâte, t’aurais pu te contenter de faire des sablés. » Difficile de savoir si c’est un compliment.
Avant d’ajouter : « Allez viens, j’vais te servir un verre, pour oublier. »
C’est rare qu’ils boivent avant le service, mais elle n’a peut-être pas tort, il en a besoin…
Une heure plus tard, quand Esme est arrivée… L’odeur de praline lui a chatouillé les narines. Elle a été touchée par l’attention, et a quand même tenu à goûter. « C’est pas grave, c’est adorable Santi, merci. » Puis elle est retournée croquer le rebord. « Elle est bonne, ta pâte. Chapeau pour ça si c’était une première ! »
Y’a des jours, comme ça… les planètes sont pas alignées. C’est très simple, au saut du lit, mal réveillé, les cheveux en vrac… il constate assez truc qu’un truc ne va pas. Il se ramène dans la salle de bain : la paupière gauche gonflée. Mais genre archi-gonflée. Malgré plusieurs tentatives à se passer de l’eau froid ou quoi, rien à faire. Le constat est facile : un putain de moustique a eu la bonne idée de venir le piquer là. C’est pas agréable et en plus… c’est plutôt visible. Gé-nial. Heureusement, porter des lunettes de soleil une grande partie de la journée ne choquera pas plus que ça, hein ?
D’autant qu’aujourd’hui, il a répet’ avec son groupe, et pour ça, il doit se rendre sur l’île voisine… Alors direction le petit port d’Ohana. Pas le gros, celui de plaisance pour les touristes, l’autre, en contrebas. Peut-être un peu trop en contrebas, parce qu’alors qu’il y va d’un pas décidé, il manque pas de se casser la tronche en se prenant le trottoir. Comme ça. Un trajet qu’il emprunte plusieurs fois par semaine ! A croire qu’aujourd’hui, le tracé à changer… ou sans doute est-ce parce qu’il a l’œil gonflé, il a pas vu où posait le pied ? Allez savoir. Toujours est-il qu’une fois arrivé au niveau de son petit bateau à moteur, l’Extravaganza, il peste encore un peu. Une fois dedans, il s’installe, son étui à saxophone entreposée méticuleusement dans un coin, protégé de l’eau par une toile plastique.
Et vas-y qu’il démarre le moteur. … Et vas-y qu’il essaie de démarrer le moteur. La deuxième tentative n’aboutit pas plus que la première.
« Quoi encore ?! »
Ses sourcils se froncent, il se penche pour retenter, tâte le réservoir d’essence… à sac. « Mais non. Non non non. » Ok, alors peut-être qu’il a bu plus que dans ses souvenirs, samedi, la dernière fois qu’il a emprunté son embarcation, parce qu’il se souvint clairement pas que le niveau était si bas. Voire critique. Il aurait eu l’air bien con s’il s’était retrouvé sans essence au milieu de nulle part !
Enfin, là aussi il se sent parce que déjà qu’il est pas d’un naturel bien ponctuel… là il va être carrément à la bourre s’il doit faire demi-tour pour remplir son jerrican. Alors il envoie rapidement un petit message à Oz, le leader du groupe de jazz qu’il a avec ses potes. Les Oz’Billy.
Message envoyé à Oz. – 10:21
Hey… désolé j’vais arriver en retard, j’pensais avoir ce qu’il fallait mais j’ai plus d’essence. J’remplis et j’arrive, sorry.
Message reçu de Oz. – 10:23
T'es sérieux là ? Jin avait prévenu qu’il fallait absolument qu’on ait fini avant 15h, il a un truc familial de prévu. Ça va encore être une répet’ courte !
Message envoyé à Oz. – 10:24
Oh, ça va… j’y peux rien. C’est pas mon jour.
Et clairement pas, parce que la contrariété lui réussit pas non plus, et il sent un mal de tête naître à l’arrière de son crâne. Un autre soupire et il récupère le jerrican de dessous son coffre et entreprend de repartir dans l’autre sens, son saxo sous l’autre bras. Il est déjà soûlé, là. S’il doit en plus subir les humeurs d’Oz, il a pas fini.
Ouais, disons clairement que ça ne fait que commencer. Quand, une quarantaine de minutes plus tard il frappe à la porte du petit local qu’ils utilise pour répéter, le contrebassiste l’accueille avec un regard noir. Santiago hausse les épaules, il a pas la foi de s’énerver, et derrière ses lunettes de soleil, Oz ne voit pas grand-chose de sa grimace. Heureusement, le sourire toujours ingénu d’Astrid parvient à reléguer ça dans un petit coin de l’esprit de Santi… jusqu’à ce qu’il ouvre l’étui de son saxo, le prenne en main, et réalise qu’il manque une des clés de l’instrument. Elle a dû se défaire quand il a joué dans sa chambre l’autre soir. En le constatant, il a un coup d’œil hagard. Jin, lae clavieriste doit l’avoir remarqué… Car voilà qu’iel s’approche et murmure de sa voix douce :
« Ça va ? - Ouais… ouais. »
L’autre ne dit rien mais son regard clair posé sur Santiago semble lire en lui, si bien que le Lucci ajoute : « C’est vraiment pas mon jour, là, m’arrive que des crasses. J’ai paumé l’une de mes clés. » De l’index il désigne le corps de son instrument. « Oz va encore râler. »
Jin observe un instant et secoue la tête. « C’est vendredi 13, tu sais. C’est pas ta faute. Au pire, joue un ton en-dessous. » La phrase glisse comme une évidence et Santiago le fixe à la dérobée, avant d’ajouter : « Mouais, j’suis pas certain que ça passe... »
Et Oz, bien sûr, qui les entend, questionne :
« Qu’est-ce qu’il y a, encore ? - Je… j’ai… - Santiago a le mauvais œil, aujourd’hui. Faut le ménager. »
… C’est une façon de voir les choses. Même si vu la tête d’Oz, c’est pas un argument bien valide.
En rentrant, ça sera un Doliprane et une sieste, hein. Ça pourra pas être pire.
En ce début d’après-midi, disons-le tout net : Santiago ne fout rien. C’est simple, il est assis sur son lit, à regarder distraitement les réseaux sociaux, sur son ordinateur portable, musique jazzy en arrière-plan. Une journée tranquille, comme il lui en arrive assez peu, finalement. C’est qu’il trouve toujours des trucs à faire pour s’occuper, quand il le veut. Mais là… rien. Il faut dire qu’il est en jour OFF. Ce soir, c’est Skyler qui s’occupe du bar du Flamingo. Alors il a décidé de faire un break de cerveau, et sans être un gros geek à passer des heures sur les écrans, il faut admettre que ça monopolise facilement l’attention, ces conneries.
Là, il se retrouve – il ne sait même pas comment – à regarder une vidéo sur les bienfaits de l’huile de cactus, sur les cheveux et la peau, à grands renforts de sous-titres épais et de musique à la mode qui rentre vite dans la tête. Il scrolle et enchaîne sur la vidéo du dessous… Un break de cerveau, comme je vous disais.
Et tandis qu’il est absorbé dans ce deep-scroll de l’infini, un petit « bip » le prévient qu’il a reçu un SMS. Voilà qui l’occupera plus que ces trucs qu’il regarde sans réellement les voir. Alors il récupère son smartphone, le déverrouille et regarde qui peut bien vouloir lui parler. Oh. C’est Isaiah. Son oncle maternel.
Message reçu de Isaiah. – 14:31
Hello Santi, j’viens aux nouvelles. Comment ça va ? Et tes parents ?
Message anodin et Santiago s’empresse d’y répondre. Isaiah occupe une place à part dans son cœur, c’est le frère de sa mère, un voyageur et un électron libre. L’homme a toujours suscité beaucoup d’admiration chez l’adolescent qu’il était, et aujourd’hui c’est encore le cas… car après tout, ce dernier continue de tracer sa route dans cette vie qu’il a choisi, faite de hasard et de voyages. Santiago s’est inspiré de son oncle pour pas mal de choses, en vérité, et ne voit pas dans ce choix de vie « une fuite », comme sa mère le reproche à son frère. Vouloir vivre différemment n’est ni un aveu d’échec ni une honte. Si Lydia n’en dit plus rien, Santiago sait qu’elle ne le digère toujours pas.
Au bout de quelques échanges, Isaiah lui demande alors :
Message reçu de Isaiah. – 14:37
Au fait, tu es toujours sur Akala ?
Message envoyé à Isaiah. – 14:37
Ouep, à Ohana.
Message reçu de Isaiah. – 14:38
Ah, c’est bien ce qu’il me semblait. J’y suis aussi, de passage. Si t’es dispo, ça te dirait qu’on se voit ? Boire un verre, ou comme tu veux… ?
À la lecture du message, Santiago est surpris. C’est qu’il pensait son oncle à l’autre bout du monde ! Et puis, cette invitation… bien sûr qu’il va pas refuser !
Message envoyé à Isaiah. – 14:39
Oh, mais c’est génial ça, carrément ! T’es vers le port ? Je peux t’y rejoindre d’ici vingt minutes.
Aussitôt dit, aussitôt fait, et dans le délai annoncé le voilà qui arrive au niveau du port de la ville. Sur le côté, il repère assez vite son oncle, cigarette à la bouche et casquette sur la tête. Il n’a presque pas changé, si ce n’est peut-être quelques cheveux blancs… Les deux se saluent, et Santiago n’hésite pas à y aller de son embrassade. Isaiah est moins tactile que son neveu mais ça se voit qu’il est content de le revoir. Très vite Santiago l’assaille de question et l’homme y répond avec plaisir. Il y a une semaine il était sur Galar, vers Skifford.
Pendant plusieurs minutes ils papotent auprès du port, avant de se diriger vers un café que Santiago connaît, dans ce quartier là d’Ohana. Le Flamingo ne lui vient même pas en tête. Autant il adore l’endroit où il bosse, autant il sait que les employés et les habitués peuvent être de vraies commères. Le Caf’K où ils s’installent sera bien plus calme, en comparaison.
« T’as faim ? Ici ils sont connus pour leurs pancakes au sirop d’érable, c’est une tuerie. - Hum, pas de suite, mais je retiens. Là je vais plutôt prendre un café. - Ok, va pour un café alors, j’reviens. »
Puisqu’il connaît l’endroit, il se dirige rapidement vers le serveur, échange quelques mots et demandent les cafés puis revient s’asseoir. Tandis qu’il s’avance vers la table où se trouve Isaiah, il voit bien sur le visage de son oncle… quelque chose. Impossible de mettre un mot dessus.
« … Ça va ? - Oui oui. - … Qu’est-ce qu’il y a ? »
S’ils s’apprécient beaucoup, on ne peut pas dire qu’ils parlent avec facilité de choses personnelles. Le coma de Joaquim a inconsciemment brisé ce genre de confidence, en fait. Comme une espèce de retenue qui s’impose sur les membres de la famille. Isaiah se gratte la tête, enlève sa casquette et soupire.
« … J’voulais te parler de quelque chose… mais c’est pas évident. Promets-moi de ne rien dire à tes parents. À ta mère surtout. Je lui dirais moi-même. … Je sais pas quand, mais je lui dirais. »
C’est plus fort que lui, une vague d’inquiétude monte chez le Lucci qui hoche la tête. Alors Isaiah reprend. « Je… J’ai appris r-r-récemment… » Le bégaiement d’Isaiah est connu dans la famille, et revient souvent lors d’émotions complexes. Ce n’est pas bon signe. « C’est… c’est c-con tu m’diras mais je savais p-p-pas. Je suis… je suis père. - … Quoi ? »
Les yeux de Santiago s’arrondissent tandis qu’il fixe son oncle, comme s’il n’était pas certain de comprendre.Ils sont rapidement interrompu par les deux expressos posés sur la table mais le fil de la discussion reprend comme si de rien ensuite.
« J’ai une f-fille, Santi. Elle s’appelle Joy. Elle a dix ans... »
Woh. Pour une nouvelle, c’est une nouvelle. Un large sourire naît sur les lèvres du barman, sans qu’il ne puisse cacher sa surprise, tout de même.
« Dix ans ? Mais… - Je le sais depuis dix mois. Sa mère… je sais pas si tu te souviens, ça remonte. C’est Rosie, celle qui bossait comme fleuriste… - Une rousse ? - Oui, voilà. On avait coupé les liens « comme ça », tu sais, ça marchait plus, quoi. Et… elle m’a appelait l’année dernière… - Ah ouais. C’est fou. Pourquoi te prévenir après tant de temps ? - Je sais pas. Elle m’a dit qu’elle repensait à moi, que ça la culpabilisait que Joy connaisse pas son père, et je sais pas quoi faire de ça. J’suis trop vieux pour être père. - N’importe quoi. »
C’est dit du tac-au-tac. Même si Isaiah n’a rien du « profil du bon père », il est bien plus que cela dans l’esprit de Santiago. « J’suis sûr que tu feras un père génial. Puis au moins t’as zappé l’étape des couches, et tout l’bordel. » Il dit cela pour alléger la conversation, bien qu’au fond de lui Santiago n’a aucune idée de comment réagir. Lui-même, il faut admettre, c’est le genre de nouvelle qui le mettrait bien dans la merde, actuellement. Il ne se sent aucunement les épaules pour avoir en enfant… alors il peut comprendre le ressenti d’Isaiah, mais celui-ci est quand même plus âgé.
« Tu as pu la voir ? - … Oui. Elle est mignonne. - Et Rosie, elle attend quoi de toi ? - … Que je sois là. C’est ce qu’elle a dit, « que tu sois là ». Je lui ai dit que moi, je pouvais pas être là, tout le temps, qu’elle pouvait pas attendre ça de moi. Je crois qu’elle l’a compris ? Elle veut juste que je ne sois pas un étranger pour Joy. - Et toi, tu veux quoi ? - … je sais pas. C’est inattendu. Et en même temps, tu la verrais… - Montre-la moi. T’as une photo ? - Euh, oui. »
A son attitude, l’oncle semble surpris de l’acceptation aussi rapide de son neveu. Aucun jugement dans les mots de Santiago, juste la volonté d’en savoir plus. Alors avec des gestes un peu hésitant, il déverrouille son téléphone, recherche la photo que lui a envoyé Rosie et la tourne vers le plus jeune. Celui-ci se penche et sourit, immédiatement. Il faut dire que la bouille entourée de bouclettes rousses irradie de bonheur.
« J’te comprends, elle est adorable. - Oui. - C’est pt’être… c’est pt’être un signe ? - Un signe ? - Je sais pas, que tu peux aussi profiter de ça, un peu, à ta manière. Être père. »
Isaiah acquiesce en silence et prend une gorgée de son café. Santiago en fait de même, respectant le silence qui s’installe. Peut-être qu’il s’emballe un peu trop ?
Ou pas, car son oncle ajoute finalement : « À l’occasion, je ferais en sorte que tu puisses la voir. Je suis sûr qu’elle t’adorera. » Indirectement, c’est une confirmation. Isaiah compte bien garder cette petite Joy dans sa vie, et ne pas s’en détourner. Alors Santi’ acquiesce : « J’en serai ravi ! »