Flashback - 22 ans

Je fixe l’écran de mon ordinateur, nerveux. Notre école de journalisme – comme toute les autres – nous demande d’effectuer un stage dans un organisme de presse quelconque pour un minimum d’un semestre. J’ai conscience que nous sommes la première semaine de la rentrée, mais je ne tiens pas à être pris de court, je ne veux pas être de ceux qui s’inquiètent de voir le temps s’écouler avant qu’il ne soit trop tard, surtout lorsque les autres étudiants trouveront de plus en plus une place. Nous avons été avertis, chaque année, certains restent sur le carreau. Je refuse d’en faire partie. J’ai déjà sélectionné plusieurs endroits, plusieurs journaux ou éditoriaux, ceux qui m’intéressent le plus, pour leur demander de m’accueillir et de parfaire ma formation. J’ai également récupéré des adresses mail que j’ai trouvées sur internet afin d’envoyer mes candidatures mais j’hésite. Mon curriculum vitae est actualisé, c’est ce qui m’a occupé durant la réunion de rentrée. Cela s’est avéré bien vite plus compliqué concernant la lettre de motivation. J’ai l’avantage d’être confiant en mes capacités et en mon sérieux, de savoir que je saurai me rendre utile. Je suis un travailleur acharné, et je pense que les résultats obtenus à mes examens depuis toujours le prouvent. J’ai toujours passé des heures à travailler, à réviser, à faire des recherches pour approfondir ce que je peux apprendre. Cela ne me rend pas très amusant, cependant je suis motivé et efficace. Dans le milieu professionnel, je suis d’avis que c’est ce qui prévaut. Malgré cet avantage, je reste anxieux à l’idée de démarcher de tels organismes. Le marché du travail est quelque peu sans pitié, et je doute que les mises en conditions effectuées par nos professeurs suffisent à nous avoir préparés à la réalité. C’est pourquoi ce doute persiste au moment d’envoyer les différents mails, soigneusement rédigés et enregistrés pour envoyer toutes mes candidatures – spontanées ou non – dans un même temps. Au moins, je n’aurai à être courageux qu’une fois. A moins qu’il ne soit mieux que je me présente en personne lorsque je le peux, l’interaction humaine directe ferait peut-être meilleure impression. Je tiens à mettre un maximum d’atouts dans ma poche, je souhaite lever ce poids le plus rapidement de mes épaules.

Après une longue réflexion interne puis partagée avec mes colocataires, j’ai pris la décision que j’irai dans un premier temps me présenter en personne aux organismes de presse basés dans la région, ici à Unys, pour remettre mes candidatures en main propre. Une fois que ce sera fait, j’enverrai toutes les autres candidatures par mail, exactement comme je l’avais prévu. Je vais tout de même commencer par hiérarchiser par ordre de préférence, car j’ai beau aimer les articles que publient certains journaux ou les programmes que certaines radios et chaînes de télévision diffusent, je sais surtout ce sur quoi je veux travailler, ce sur quoi j’ai toujours voulu travailler. La nature. Depuis tout petit, je me suis intéressé aux pokémons et à leur environnement. Je me passionne pour tout ce qui touche à la faune ou à la flore, et je veux écrire ou produire du contenu là-dessus, donc je cherche des endroits qui créent du contenu à ce sujet. Il est évident que j’élargirai mes horizons si jamais je ne parviens pas à trouver de stage dans ma première sélection mais, pour une première salve de candidature, je me dois d’être exigeant dans ce qu’on pourra m’offrir, pour moi-même. C’est d’ailleurs ce que nous ont conseillé de faire nos professeurs étant donné que, sur l’ensemble de notre classe, nous ne sommes pas plus de deux ou trois à s’orienter dans la même branche. Sauf qu’il n’y a pas qu’une seule classe, ni qu’une seule école de journalisme. Voilà pourquoi je tiens à m’y prendre le plus tôt possible. Je m’en voudrais de passer à côté d’une de mes opportunités rêvées.

La revue « Pok & Nature » se trouve au sommet de ma liste. Je l’ai découverte lors d’un travail de biologie au lycée et je me suis bien vite abonné. J’apprécie leur travail d’accessibilité avec du travail de proximité, sur les pokémons sauvages qui nous entourent, notamment en milieu urbain. Et puis j’admire leur positionnement engagé, ils n’hésitent pas à défendre des causes importantes et dénoncent sans hésitation les entreprises qui ne respectent pas les normes environnementales. Ce sont des lanceurs d’alerte, à leur manière. J’aimerais beaucoup pouvoir travailler auprès d’eux, être à l’intérieur de cette petite machine qui sait faire beaucoup de bruit. Ils sont les premiers à qui je vais rendre visite, étant donné qu’ils ont leurs bureaux à Amaillide. Je suppose qu’une personne partageant leurs valeurs et avec un profil comme le mien devrait les intéresser, je me dis qu’on n’est jamais assez nombreux à défendre notre planète et j’aimerais sincèrement que ma voix puisse rejoindre les leurs. J’ai toujours eu ce rêve dans un coin de ma tête, cet espoir de pouvoir les rejoindre un jour. C’est excitant de se dire que je vais enfin aller les rencontrer dans le but de devenir un véritable journaliste à leurs côtés, pour la nature. Cependant, la peur ne reste jamais bien loin, en embuscade, à me faire m’inquiéter pour tout un tas de raisons. Je ne peux m’empêcher d’avoir peur de ne pas être à la hauteur de ce que je vise, d’avoir peur d’être déçu, d’avoir peur d’échouer. J’ai toujours réussi à me débrouiller en travaillant comme un forcené, mais dans ce genre de situation, le travail ne suffit pas. Il faut également savoir plaire, et je ne suis pas certain de savoir faire cela.

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Me voilà donc à Amaillide, prêt à entrer dans les bureaux de « Pok & Nature ». Je suis quelque peu anxieux, bien que j’aie eu droit à un bourrage de crâne plutôt intense de la part de Valentin depuis ces deux derniers jours. Ces dernières années m’ont conduit ici, à enfin entrer dans le concret, dans l’univers que je souhaite tant intégrer. Un horaire m’a été donné et je le respecte. J’attends pour entrer dans le bâtiment avec cinq minutes d’avance, précisément. Cela doit permettre de m’annoncer, pour que nous puissions éventuellement démarrer à l’heure comme convenu. Je suis certes arrivé bien plus en avance que cela – de plusieurs heures – mais il ne fait pas bon arriver trop en avance, ou arriver en retard. La ponctualité est une chose importante pour moi, un gage de respect pour la personne ou l’organisme qui prend la peine de nous recevoir. Avoir cinq minutes d’avance est une expression de ce respect, pour montrer sa volonté d’être là de manière mesurée. En attendant, je reste devant leurs bureaux, devant leur bâtiment, à vérifier une dernière fois mon curriculum vitae, ma lettre de motivation, ainsi que les quelques articles que j’ai pu écrire dans le cadre de certains cours et qui ont été publiés dans la revue de l’université, et même dans d’autres petites revues indépendantes à faible tirage.

Je me rappelle ce que Valentin me répétait encore ce matin, que je demandais un stage, donc que je me rendais là dans le but d’apprendre, de devenir réellement journaliste. Je n’ai pas à avoir honte de ce que j’ai su réaliser jusque-là. Mes professeurs ont toujours été satisfaits de mon travail, même lorsque je ne l’étais pas forcément. Je dois simplement respirer un bon coup et rassembler tout mon courage pour me lancer. Je devrais être bien plus confiant, bien plus fier de ce que j’ai à apporter, mais cela me semble encore particulièrement difficile de me mettre dans un tel état d’esprit. Je n’aime pas ça, le fait de devoir se mettre en avant, de se vendre. C’est un exercice qui me met mal à l’aise, bien que je perçoive pour quelles raisons il est indispensable. Et ce d’autant plus dans le milieu du journalisme. Il ne faut pas se mentir, il s’agit d’un univers particulièrement concurrentiel, et par conséquent cruel pour ceux qui n’ont pas le cuir suffisamment dur. Je ne me suis jamais inscrit là-dedans, je n’ai jamais cherché à battre les autres, simplement à donner le meilleur de moi pour réaliser mon rêve. C’est ce que je dois garder en tête en entrant dans le bâtiment.

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