Amyra Richards
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| Je soupire doucement tout en poussant le battant de la porte menant à la salle de conference. Autour de la table ovale, les voix s’éteignent et le silence s’installe. Dix paires d’yeux se tournent vers moi, pour m’observer, pour examiner mon visage de marbre. Je sais qu'ils cherchent une faille pour déterminer mes humeurs. Il n’y a parmi le groupe présent qu’une seule tête que je ne reconnais pas ; celle d’un jeune homme en costard, la cravate bien ajustée au col de sa chemise et les cheveux plaqués vers l’arrière, maintenus par une quantité astronomique de gel bon marché. Il n’a pourtant pas l’air nerveux de se retrouver ici, dans la fosse aux lions. La cour des grands. Je le toise quelques secondes avant de me diriger vers mon fauteuil, qui siège à l’extrémité la plus éloignée de la table. Malgré moi, je ne peux réprimer un petit sourire. Alors que je m’installe, croisant mes jambes de fer sous la table et adoptant une posture droite, la réunion débute. J’ai personnellement toujours detester ces rassemblements hebdomadaires, je les trouve ennuyeux et impertinent, car ils répètent ce que je sais déjà. Pourtant, ma position au sein de l’entreprise ne m’a jamais permis de les abdiquer ni de les ajourner prématurément (sauf en cas d'urgence majeure), mon père ayant fait en sorte que lors du lègue de son empire technologique, certaines obligations soient maintenues et impossibles à virer des agendas.
J’écoute donc, d’un air faussement intéressé, les résultats de la semaine qui, pour la plupart, ne sonnent ni engageant ni révolutionaires. Nous passons ensuite en revue les marges budgétaires, les campagnes de publicité pour attirer davantage l'attention de nos clients les plus précieux : les hôpitaux et les cliniques. On me mentionne que l'une des mines de Galar avec laquelle nous faisons régulièrement affaire a découvert une concentration d'un métal rare qu'il me faudra négocier férocement afin d'en obtenir une part. Nos avancées ne peuvent être ralenties par faute d'un manque de ressource ou parce que je refuse d'en tester de nouvelles. Cependant, lorsque le nouveau prend finalement la parole, je ne peux m’empêcher de le dévisager avec attention. Malgré les apparences, il s’exprime avec une verve et un engouement extraordinaire, vomissant un flot continu et maîtrisé d’information que ma conscience emmagasine sans effort. Son tour se termine par la presentation de quelques idées, supportées par des tableaux et des schémas complexes qui piquent fortement ma curiosité. Il y a là des esquisses de prothèses qui me paraissent novatrices, jamais considérées auparavant.
Sa surprise est aussi sincère que la mienne lorsque je me rends compte que je suis en train de l’applaudir. Par réflexe ou par politesse, ses pairs m’imitent. Ils répondent à l’appel de la hiérarchie, désireux de rester dans mes bonnes grâces. Je les connais, aucun ne tenterait de me contrarier, surtout en ces temps-ci où le couperet de la mise à pied s’abat sans vergogne sur le cou des salariés les moins compétent. Comme mon père, je ne tolère ni la paresse ni la médiocrité, et accorder une seconde chance n’en génère jamais une troisième. Mes limites sont connues et inscrites noires sur blanc sur un beau contrat signé par chacun des partis lors de l’embauche.
- Impressionnant. Que je lâche du bout des lèvres, sans cesser de fixer le jeune homme. Vous déposerez le tout sur mon bureau à dix-sept heures tapante, avant que je ne quitte pour la journée. Cela vous donne amplement de temps pour monter votre dossier.
- B-Bien madame Richards.
Son bégaiement n’échappe à personne, mais je fais comme si je ne l’avais pas remarqué et je fais signe à l'un de mes employés sénior de poursuivre la réunion. | | | | Amyra Richards
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| Me voilà de retour dans mon vaste bureau. Je range quelques papiers qui traînent, jète un coup d'oeil à ma tasse de café refroidi en me disant que j'aurais dû l'emmener avec moi plutôt que d'en gaspiller négligemment la moitié, et m'installe ensuite dans mon fauteuil coussiné. Je repense au jeune homme et à ses croquis.
J'ouvre pensivement un tiroir pour en sortir un carnet et une boîte contenant une dizaine de fusains de tailles variées. Le carnet contient des modèles de prothèses dessinées par mon père, mais également les miennes. Bien que je ne sois pas la plus douée en la matière, mes traits sont fluides et correspondent à mes visions, à ce que mon cerveau conçoit lors de mes séances d'intense réflexion. Jusqu'à maintenant, nos experts sont parvenus à les suivre, certains avec plus d'exactitude que d'autres puisque mon imagination ne suit pas toujours les règles de la physique et de la faisabilité. Avant de me lancer dans l'art de la conception graphique, j'attrape une petite manette qui se trouve à portée de main et j'augmente l'éclairage de la pièce. Ma vision a beau être excellente, je ne souhaite pas fatiguer inutilement mes yeux. J'ouvre également la radio et presse le bouton qui active le lecteur cd. Je suis peut-être branchée technologie, mais je ne me départirais jamais des classiques ni ne déprendrais uniquement des lecteurs usb. Pendant près d'une demie-heure, je dessine paisiblement sur fond de Mozart et de Bethoveen, deux sources de calme et d'inspiration. J'en oublie presque que je suis encore enfermée au dix-septième étage de la Metalex Corp et que la journée est loin d'être terminée. Un toquement à ma porte me fait sursauter, puis lever les yeux de mon oeuvre. D'une voix ferme, j'autorise mon invité mystère à entrer. Il s'agit de la remplaçante de ma secrétaire, Brigitte, qui transporte dans ses bras un bouquet de fleurs ainsi qu'une bouteille de vin rouge. J'hausse un sourcil en la voyant ainsi affublée de cadeaux et mes doigts se crispent involontairement sur le bâtonnet de fusain qu'ils tiennent.
- Qu'est-ce que tout ceci ? Que je lui demande d'une voix sèche, agacée par l'idée qu'il pourrait s'agir d'une tentative désespérée pour gagner mes faveurs. - Un cadeau, de la part de... hem... En fait, la personne qui l'a déposé à l'accueil ne m'a pas donné son nom. Vous avez un admirateur secret, on dirait bien.
Elle paraît gênée par son oubli de collecter cette importante information. Je la rassure cependant d'un mouvement de main et lui fait signe d'approcher, après avoir ranger mon matériel et essuyé mes mains sur une serviette. Je favorise la propreté et je déteste manipuler des objets avec des doigts sales. Elle vient déposer le bouquet et la bouteille avec précaution.
- Qu'y a-t-il à mon agenda pour cet après-midi déjà ? - Aucun rendez-vous prévus, madame. Vous l'aviez demandé vous-mêmes. Nous sommes vendredi. - Ah oui, c'est vrai. Je me croyais jeudi.
Lorsqu'il s'agit de me souvenir des jours de la semaine et des dates, je m'emmêle souvent les pinceaux. Heureusement que Brigitte est là en l'absence d'Aimee. Je secoue la tête, puis me lève de mon fauteuil pour venir humer le parfum des fleurs. L'arrangement est simple, mais beau, et il s'en dégage une aura particulière. Je me sens étrangement sereine. Mon regard se pose ensuite sur le vin et je note avec une pointe d'étonnement qu'il s'agit d'un excellent cru, du genre goûteux et coûteux. Il provient d'un vignoble réputé dans le sud de la région, le Fermont. Une coîncidence que je choisis d'ignorer pour le moment.
- Va chercher deux verres. Faisons honneur à ce donateur anonyme et goûtons à ce nectar.
| | | | Amyra Richards
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| La première gorgée me soutire une grimace partagée entre la surprise et l'incertitude. L'amertume me saisit, avant d'être doucement remplacée par une note fruitée que mes papilles apprécient davantage. Assise en face de moi, Brigitte esquisse une expression similaire ; elle abandonne cependant sa coupe sur mon bureau, incapable de s'adonner plus longuement à cette séance de dégustation. Je ne lui en tient pas rigueur, car les arômes et saveurs de ce vin sont inhabituels.
- Je commence à comprendre pourquoi votre admirateur tenait à maintenir l'anonymat.
La remarque me fait éclater d'un rire que je m'empresse de noyer dans une nouvelle rasade, moins modérée que la précédente. Je célèbre la fin d'une nouvelle journée à la tête de la Metalex Corp et la venue d'un flot d'idées que je suis parvenue à coucher sur papier. Un soupir m'échappe ensuite tandis que je saisis de ma main libre la télécommande permettant l'ajustement du volume de la musique. Brigitte n'a émis aucune protestation vis-à-vis de l'orchestre qui nous agresse les oreilles d'une énième symphonie, mais je sens que si je continue à boire, il vaudra mieux que ma voix puisse l'atteindre sans que je n'ai à la hausser.
- Je me demande bien pourquoi avoir choisi le Fermont.
Mes yeux se dardent sur la bouteille portant le symbole du vignoble et je laisse mes pensées vagabonder librement à ce sujet. Une référence directe à ma personne ? Je trempe derechef mes lèvres dans le sombre nectar, d'un grenat qui me rappelle celui du sang.
- Décris-moi l'apparence de celui qui m'a offert ces cadeaux.
Brigitte remue légèrement sur sa chaise, ses doigts triturant le col de son chemisier fleuri. Je sens que les rouages de sa mémoire visuelle s'activent à plein régime.
- Grand, élégant. Cheveux blonds mi-longs, yeux bleus. Très bel homme si vous voulez mon avis.
Le regard aigu que je lui décoche la remet gentiment à l'ordre.
- Je ne me souviens pas de ce qu'il portait exactement, mais ses souliers vernis avaient des lacets violet. Un peu surprenant, alors que le reste me semblait impeccable et soigné. - Hm, c'est une description un peu trop vague pour que je l'associe à quelqu'un de ma connaissance. Je demanderais à la sécurité de trouver la séquence vidéo de son passage, pour que je puisse l'étudier moi-même.
Il faut bien que les abondantes caméras de surveillance, disséminées un peu partout sur tous les étages de l'édifice, puissent enfin servir à quelque chose d'utile.
- Je sais que la fin de la journée approche, mais pourrais-tu me rendre un service ? - Bien sûr, madame. - Appelle le fleuriste qui a vendu ce bouquet et demande-lui s'il a un nom. - Sans problème. Espérons que ce ne soit pas un faux numéro inscrit sur cette carte. - Merci.
Brigitte jette un dernier regard sur sa coupe encore pleine, puis se lève de sa chaise afin de se mettre au travail. Elle tend les doigts vers le bouquet de fleurs odorantes et détache d'un coup sec l'étiquette qui accompagne la petite carte de vœux. Sa dernière tâche n'est pas la plus difficile qui soit et elle sait que sitôt accomplie, elle pourra quitter son poste.
Je lui adresse un sourire avant de la regarder s'éloigner de sa démarche cadencée, presque dansante. Je me souviens qu'à son âge, j'appréciais tout autant de pouvoir devancer l'heure de ma libération vis-à-vis de mes responsabilités journalières. Maintenant je suis moins pressée. Le boulot est ma passion, ma passion est ma vie.
Une fois seule, je me penche légèrement pour attraper la coupe délaissée. Ce serait dommage de gaspiller. | | | | Amyra Richards
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| Trente minutes passent, puis une heure. Puis une autre. Les boules de papier froissées commencent à s'accumuler sur mon bureau alors que la bouteille de vin, elle, est presque entièrement vidée de son contenu. Ma main tachée de fusain remue frénétiquement sur la page de mon carnet de croquis ; la douce ivresse qui embrume mes sens m'empêche d'obtenir des résultats satisfaisants et je me retrouve à recommencer encore et encore. Un cercle vicieux.
Les traits de mon visage sont tirés en une expression contrariée. Mes joues sont roses et mon regard, fiévreux. Boire autant n'est définitivement pas l'idée la plus brillante que j'ai pu concevoir au courant des dernières semaines. Pourtant, il y a quelque chose dans la boisson que l'on m'a offerte qui m'empêche de m'arrêter. Une addiction camouflée.
Je m'apprête à tirer un dernier trait sur mon ultime œuvre de la soirée lorsque je suis dérangée par un bruit à ma porte. Quelqu'un toque. Presque agacée, je me tourne vers l'horloge accrochée au mur. Seize heures cinquante-huit.
- Entrez !
Ma voix transperce le silence comme une flèche. J'ai depuis longtemps arrêté d'écouter la musique, les notes harmonieuses jurant avec mes pensées chaotiques et désordonnées. J'entends le déclic de la poignée qui se tourne, suivis du discret grincement des gonds. Le battant s'ouvre et révèle mon nouvel employé, qui, en vue de mon état actuel, risque fortement de se faire renommer.
Il arbore un air air anxieux, mais il tient entre ses mains son dossier ; une pochette en cuir noir, moins volumineuse à ce à quoi je m'attendais. Mes sourcils se froncent, mais je ne passe aucun commentaire, lui intimant simplement d'approcher d'un mouvement vague de la main.
- Vous pouvez le déposer ici. J'indique la seule place de mon bureau qui ne soit pas encombré par mes esquisses et mes propres dossiers. J'apprécie votre ponctualité. C'est une qualité qui se perd de nos jours.
Mes iris dorés le toisent avec contentement et respect. Ce jeune homme, s'il parvient à combler mes attentes et à poursuivre ses efforts, pourrait très bien gravir rapidement les échelons dans la compagnie. Le sang neuf, les talents bruts ; voilà ce qu'il me faut. Les vieux croulants qui radotent des concepts désuets et arriérés n'ont plus leur place à mes côtés. L'ère de mon père est révolue et la mienne ne fait que débuter.
- Nous en reparlerons lundi matin, dix heures quinze. - Bien, madame. - Il faudra aussi trouver un moment pour faire votre évaluation mensuelle. Mercredi ou jeudi. Je demanderais à Brigitte de nous réserver un peu de temps pour passer en revue vos progrès et les attentes de la compagnie à cet égard. Vous êtes toujours heureux de travailler pour la Metalex Corp ? - Je... Euh... Oui, madame. - Vous êtes sûr ?
Mes questions le prennent visiblement au dépourvu. Pourtant, elles sont tout à fait normales, sans arrière-pensées. Un employé motivé et passionné est cent fois plus rentable, en plus d'aider au maintient d'une atmosphère saine et équilibrée. Mon interlocuteur bredouille derechef et baisse légèrement les yeux, avant de se redresser fièrement la tête.
- Oui, madame. - Parfait. Si jamais il y a quoi que ce soit, n'hésitez pas à contacter Brigitte. Nous ne sommes pas fermés aux suggestions ni aux commentaires.
Son expression, son attitude se transforment. Son langage corporel aussi. Il est plus détendu, moins inquiet. Plus alerte. Je crois que mes paroles résonnent positivement à ses oreilles et viennent étouffer les doutes qui le grugeaient quant à ses compétences et sa capabilité.
- Passez un bon weekend. - De même, madame.
C'est le signal universel pour lui demander de quitter gentiment la pièce et de retourner vaquer à ses occupations, et de me laisser vaquer aux miennes. Car je crois que si j'entends encore une fois le mot madame, je risque de perdre le peu de patience que m'accorde ma consommation excessive d'alcool.
Lorsque la porte se referme sur ma solitude, je soupire doucement et commence à me masser les tempes. Devrais-je rentrer ? | | | | Amyra Richards
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| Trois heures plus tard, me voilà à l'intérieur de la cabine de l'ascenseur, l'esprit brumeux mais satisfait des progrès accomplis au courant de la soirée. Ils sont minimes, certes, et n'occupent qu'une infime partie d'un plan à plus grande échelle, mais ils alimentent ma motivation et empêchent mes neurones de s'enfoncer dans la lassitude et la paresse. Mes joues sont rosies par la consommation abusive du vin qui, contre toute attente, s'est révélé être un véritable catalyseur pour mon imagination et ma créativité. Le cadavre de la bouteille traîne encore sur mon bureau, abandonnée à son sort jusqu'au passage du concierge.
Avant de presser la série de chiffres qui me mèneront au sous-sol secret de l'édifice, je m'assure de n'avoir rien oublié. Mes clés, mon portefeuille, ma serviette de cuir contenant mon ordinateur et quelques dossiers, dont mes esquisses et le rapport de mon nouvel employé. Mon téléphone portable vibre dans la poche arrière de mon pantalon, me rappelant son existence. Et la venue d'un message ou d'un email tardif que je consulterais le lendemain. Je soupire doucement, le énième de la soirée, puis entre le code.
L'ascenseur se met en branle et le chatouillis familier saisit mes entrailles. Le tintement retentit après une ou deux minutes de déplacement vertical, puis les portes d'acier s'ouvrent sans un bruit sur le long couloir menant jusqu'au stationnement souterrain voisin. Je le traverse sans me presser, le claquement de mes talons résonnant sur le plancher vieillis par les ans - et qui, selon moi, mériterait une remise à neuf. Il n'y a cependant pas de place pour ce type de réfection majeure dans mon budget actuel.
Lorsque j'émerge de l'autre côté de l'unique porte qui mène à mon passage secret, je constate que le stationnement est presque entièrement vide. Il ne reste qu'une poignée de voitures, dispersées au quatre coins.
L'ambiance est naturellement glauque dans ce genre d'endroits et je me fais toujours un point d'honneur à ne pas traîner excessivement. Illumis est une métropole relativement sécuritaire, avec un taux de criminalité contrôlé, peu élevé en comparaison de villes de densité démographique similaire que l'on retrouve dans les régions voisines. Elle n'est toutefois pas exempt de dérangés et de psychopathes. De tueurs malhabiles qui comblent leurs pulsions animales en frappant au hasard leurs victimes.
À cette pensée, je ne peux m'empêcher de jeter un coup d'oeil par-dessus mon épaule. Mais il n'y a évidemment personne.
Je regagne l'air libre en accélérant légèrement l'allure. Le trottoir est animé, bondé de jeunes fêtards en quête de bars où dépenser leur paie du mois, de travailleurs épuisés et affamés, de familles heureuses de pouvoir se balader et profiter de la vie mondaine kalosienne. Des pokémons en tout genre les accompagnent, du minuscule mystherbe au cupcanaille rondelet.
Je me mêle à la foule, sans remarquer la silhouette qui se détache d'un mur et qui me prend en filature.
Je change ma serviette de main, sa lourdeur commençant à engourdir mes doigts. Puisque nous sommes vendredi soir, j'ai octroyé un gracieux congé à mes chauffeurs, en récompense pour leurs services de la semaine.
Mon hôtel n'est pas très loin, de toute manière. À quelques avenues de la Metalex Corp. J'ai décidé de rester au centre-ville pour le weekend plutôt que de me taper d'incessant aller-retour entre mon domaine et ma compagnie. En vue de la charge de travail qui m'attend, c'était la décision la plus logique.
- Les fleurs vous ont plu ?
Je me fige brusquement et un long frisson remonte le long de mon échine, électrisant ma peau. La voix mystérieuse est grave et veloutée, et n'appartient à aucun membre de mon entourage. Je me retourne lentement tout en évitant de me faire bousculer par un couple rieur, et je darde un regard froid, intensifié par un vague sentiment de malaise et par mon ivresse légère, sur l'homme qui se trouve derrière moi.
Grand, élégant. Cheveux blonds mi-longs, yeux bleus. Instinctivement, mes yeux se baissent vers le sol. Il porte des souliers vernis, serrés par un entrelac de lacets violets. | | | | Amyra Richards
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| - Nous nous connaissons ?
J'élude sa question et lui en revoie une, ma curiosité et ma méfiance toutes deux aux aguets. S'il ne me répond pas, je compte bien faire volte face et le planter là, au milieu du trottoir. Mon regard acéré remonte jusqu'à son visage, que j'étudie longuement. Ses traits sont harmonieux, dénués d'imperfections.
Je ne me laisse donc pas berner par son apparence, suivant un vieil adage que mon grand-père répétait constamment avant son décès tragique aux mains de l'un de ses meilleurs amis. Même les serpents les plus dangereux se cachent parmi les fleurs. L'homme ne bronche pas. Je note la lueur amusée qui traverse ses prunelles claires ainsi que sa moue espiègle.
- Allons Amyra, ne me dit pas que tu m'as oublié.
Je tressaille, puis mes yeux s'écarquillent de stupéfaction. Cette manière de prononcer mon prénom ne m'est pas inconnue. L'accentuation de la dernière syllabe, le roulement du R sur sa langue. Son passage brutal du vouvoiement au tutoiement me déstabilise. Sommes-nous si proches ? Si familiers ?
- Josh. Josh Farmers. Tu ne te souviens pas ? Les camps d'été à Unys, au ranch d'Amaillide ?
Ma bouche s'ouvre sur une exclamation muette. Je le vois s'approcher en riant et en écartant les bras, comme pour se préparer à me cueillir dans une chaleureuse accolade. Mon corps, lui, ne réagit pas. Mes muscles refusent d'obéir aux signaux lâchés par ma conscience et ma volonté. Ce n'est que lorsque je le vois se pencher légèrement vers moi pour m'enlacer que je finis par tiquer et reculer d'un pas, en le repoussant gentiment de mes mains. Celles-ci demeurent cependant posées sur les manches de son impeccable veston, et je me sers honteusement de mon interlocuteur comme appui pour m'aider à digérer la réalité.
- Josh ? Vraiment, c'est toi ? Mon Josh, que j'ai envie de dire, éprise d'un mélange d'excitation et de confusion presque enfantine. Mes défenses se sont abaissées. Je ne t'aurais jamais reconnu, tu as tellement...
- Changé ? Il rit, amusé par mon étonnement. Oui, je sais.
Je me souviens de lui comme un garçon bedonnant, au visage rond mais sympathique, avec ses yeux rieurs et ses cheveux mi-longs aussi raides que de la paille. Comme un bon vin, il a vieillit merveilleusement bien. Combien d'années se sont écoulées depuis notre séparation ?
- Tu as cette façon de dire mon nom que personne n'a. Sans cela, je ne t'aurais jamais reconnu. J'en suis désolée. - Oh, ne t'en fais pas. - Mais qu'est-ce que tu fais ici ?
La question me brûlait les lèvres. Après tout ce temps, pourquoi réintégrer maintenant mon monde. Je croyais cette amitié perdue dans les limbes, brisée par la distance et par le passage à la vie adulte. Par l'oubli involontaire.
- On m'a offert un poste de chef de la sécurité au Musée d'Histoire Naturelle d'Illumis et j'ai accepté le transfert à Kalos. Quand j'ai découvert que tu résidais ici et que tu travaillais à quelques avenues seulement... Je pense que j'ai eu envie de voir ce que tu étais devenue. Je dois avouer que je ne le regrette pas.
Il s'esclaffe à nouveau et je me joins à lui. Toujours aussi charmeur, celui-là.
- Je suppose que je ne suis pas non plus difficile à reconnaître ni à retrouver. Depuis que j'ai hérité de la compagnie, je m'assure d'être représentée partout dans la région.
Son sourire se dissipe, remplacée par une moue d'une infinie tristesse. Je me souviens des nuits passées à évacuer mon trop plein d'émotions en sa compagnie, tous deux couchés sur des bottes de foin ou étendus dans l'herbe fraîche, à contempler les constellations qui parsemaient le ciel campagnard. Josh m'a connu et supporté dans la pire phase de ma vie. La lumière du phare qui guide et qui rassure même les navires à la dérive.
Mes mains glissent lentement sur ses bras jusqu'à atteindre les siennes, que je serre une micro seconde avant de les relâcher. Je n'ai jamais été douée pour les contacts humains, intimes ou personnels. Cela ne m'empêche pas d'accepter cette étreinte, ce câlin de retrouvailles trop longtemps mis de côté.
- Les fleurs sont magnifiques. Que je finis par dire, après une minute de silence gênant durant laquelle les passants nous contournent en soupirant ou nous dévisagent car nous nous trouvons au milieu de la zone de circulation. Le vin, par contre, particulier comme cru. Tu voulais me donner un indice avec le choix du vignoble ?
- Je trouvais ça amusant. - Je te reconnais bien là. J'esquisse un sourire, mes yeux dorés miroitant sous la lumière des lampadaires. Tu veux aller prendre un verre pour discuter ou tu as d'autres plans ? - Malheureusement, je dois décliner oui. Mais si demain, tu es libre... ? - Absolument. - Alors... On se rejoint devant l'entrée sud du parc au coin de la 5e et de la 11e ? À treize heures ? - Ça me convient parfaitement.
Nous nous étreignons une dernière fois et je prends le temps de l'observer et de le détailler derechef. J'ai peine à croire que cet homme est l'un de mes rares amis d'enfance. Le fait qu'il m'ait retrouvé après tout ce temps est merveilleux. Tandis que je le regarde traverser la rue, au grand dam des chauffeurs de taxi dont il force subitement l'arrêt, je me demande si le destin est réellement aussi clément. Je pose une main sur mon ventre, au niveau de mon estomac, pour tenter d'apaiser la volée de papillons qui s'y agitent.
J'ai l'impression d'être une jeune fille qui retrouve un amour perdu. Et pourtant... Au fond de moi, une petite voix me souffle que cette rencontre impromptue est beaucoup trop belle pour être vraie. | | | | Amyra Richards
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| Au lendemain d'une nuit courte et agitée, passée à remuer dans tous les sens dans mon lit jusqu'à ce que le sommeil se montre clément et me noie dans ses abysses oniriques, me voilà attablée au restaurant de l'hôtel, à siroter une tasse de café et à grignoter deux tartines beurrées.
Mon estomac est noué par un trac inhabituel, la nourriture peine à passer. Le brouhaha matinal m'enveloppe et je décortique les discussions anodines et banales. Ici on discute du rapport qualité-prix de son séjour et là-bas on jacasse à propos du jeu des acteurs du dernier blockbuster pokéwoodien.
Je me perds dans la contemplation de la demie tranche de pain grillée qui trône au centre de mon assiette. Mes doigts jouent avec les miettes, les rassemblent en un petit tas ordonné ; celles qui collent à ma peau finissent par atterrir sur ma langue, dans un geste las pourtant destiné à raviver ma faim. Mais rien y fait.
Je repousse avec dédain mes restes, avale une dernière gorgée tiède, puis me lève de ma chaise après avoir déposé ma serviette sur un coin de table. Il me reste une poignée d'heures à tuer avant de partir en quête de ce rendez-vous inattendu en compagnie de Josh.
Délaissant l'atmosphère huppé de mon lieu d'hébergement, je regagne l'extérieur et profite de l'étrange quiétude qui règne en ce samedi matin. La métropole s'est calmée. Je croise une adolescente qui peine à contenir l'énergie de trois couafarel qu'elle tient en laisse ; cela me rappelle mes premiers boulots d'été, lorsque je proposais mes services pour garder ou promener des pokémons car mes parents refusaient de m'allouer de l'argent de poche sans que je n'ai d'abord salie mes mains et suer à grosses gouttes.
Au coin d'un boulevard, deux électriciens portant les brassards de la ville profitent d'une circulation fantôme pour réparer un panneau de signalisation défectueux ; aidé d'un élektek, ils effectuent des tests avant de pouvoir confirmer la fin de ces travaux mineurs et réactiver l'alimentation du secteur impacté.
Je reprends ma promenade, ne m'arrêtant qu'une fois devant les lourds battants de l'une des bibliothèques municipales. L'architecture du bâtiment a de quoi faire baver les amateurs de la Renaissance kalosienne. Elle détonne du design moderne et ennuyeux des gratte-ciel. Je grimpe la volée de marche avec un regain d'entrain. Me poser avec un livre, dans la sérénité et le silence, m'aidera à dissiper l'anxiété et les doutes qui me rongent.
- Bon matin Amyra !
La jeune bibliothécaire, fidèle à son poste, m'accueille avec un large sourire. Une pile de bouquins s'entassent déjà sur son aire de travail, aux côtés de ses deux écrans d'ordinateur. Nous en sommes venues à nous apprécier et à nous connaître, d'où la familiarité de nos échanges. Ici, madame Richards n'existe pas ; je ne suis qu'Amyra, la passionnée de lecture. Celles qui dévorent les fictions et les polars, les encyclopédies et les livrets de prose.
- Bon matin Mathilde. Ce sont de nouveaux titres ? - Oh, non. Juste les retours que je n'ai pas pu classer la veille avant la fermeture. Est-ce que l'un d'entre eux t'intéresse ? - Je ne sais pas, je vais regarder.
Je m'approche et attrape le premier livre perché au sommet de la pile.
- Ôde aux Rois Oubliés, par Archibald D. Avesth. De la poésie ? - Un recueil récemment publié. Il regroupe des poèmes inédits, retrouvés il y a peu. Apparemment, Avesth aimait bien cacher ses oeuvres. - Je vois. Tu peux me le mettre de côté s'il-te-plaît ? - Avec plaisir. - Les autres, je crois les avoir déjà lu. Que j'ajoute en lui adressant un sourire. Je vais aller faire un tour dans les rayons, je reviens. - Pas de problèmes. Fait attention aux cartons qui traînent, c'est le bazar du samedi. J'essaie de réorganiser les nouveautés du mois.
J'acquiesce, puis m'éloigne d'un pas léger. Je me sens déjà mieux, dans mon élément. | | | | Amyra Richards
C-GEAR Inscrit le : 27/12/2021 Messages : 691
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| Je parcours la bibliothèque, marchant entre les allées d'étagères à la recherche de livres sur lesquels jeter mon dévolu. Par habitude, je traîne dans les rangées des M-N-O, puisqu'elles contiennent les essais d'un astrophysicien que j'aime bien ; Conrad O'Neil, un kantonien de naissance marié à la lune et aux mystères de notre galaxie. Il étudie depuis sa jeunesse l'influence de l'astre lunaire sur le cycle évolutif de certaines espèces, notamment celles qui ne présentent en apparence aucune affinité avec l'espace stellaire.
Il a également écrit un volumineux ouvrage sur les métaux inconnus découverts courant des dernières décennies. J'ai longtemps pensé que la source du metallum pouvait provenir des confins galactiques, déposé sur la terre de mes ancêtres par la chute de météorites, mais après l'avoir étudié et extrait, cette théorie est devenue obsolète et irréaliste.
Tandis que je m'empare du précieux et fascinant volume, j'entends les cris stridents des deux capumains qui servent d'aide à Mathilde. Je passe la tête en dehors de l'allée et les repère en hauteur, un peu plus loin, en train de se chamailler. Ils passent davantage de temps à se courir l'un après l'autre et à escalader les tablettes surchargées qu'à respecter les ordres de leur dresseuse. Je soupire doucement avant de mordiller ma lèvre inférieure d'un air contrarié. Un de ces jours, ils finiront par causer de sérieux dommages. Je finis par me perdre à nouveau parmi ce dédale de couloirs, m'arrêtant dans la section des fictions et des romans policiers. Les histoires révolvant autour d'un crime insolvable gardent mes neurones éveillées, surtout lorsque je ne parviens pas moi-même à trouver le sommeil. Je me complais à tenter de résoudre les énigmes entourant la mort des personnages, pointant les coupables potentiels et formulant mon verdict final avant de poursuivre ma lecture jusqu'au fatidique moment des révélations.
Je retourne auprès de la jeune femme, les mains pleines. Au total, quatre livres rentreront avec moi pour les semaines à venir. En vue de mes horaires, je tourne les pages à la vitesse d'un compte-gouttes.
- J'ai une question à te poser.
Puisque j'écoute souvent ses histoires d'amour à sens unique - elle est incapable de se caser ou d'entreprendre une relation sérieuse, ce que je comprends parfaitement à son âge -, je me dis qu'elle pourra peut-être me conseiller.
- Il semblerait qu'un vieil ami a ressurgi dans ma vie et... - Tu veux savoir si tu as tes chances ?
Malgré moi, mes joues rosissent.
- Mathilde ! Pas du tout. Je lève les yeux au plafond, découragée. Ce n'est pas ce que j'envisageais. Disons que je ne l'ai pas vu depuis des années, que nous avions perdu contact et que soudainement, il débarque et me surprend avec des fleurs et du vin. Est-ce que c'est normal ?
Mon désarroi et ma confusion l'amuse.
- Peut-être qu'il t'observe de loin depuis un moment et qu'il s'est enfin décidé à aller vers toi ? Des cadeaux comme ça, moi je le vois comme une tentative pour te charmer. - Ne dit pas de sottises. - Et tu penses que ça veut dire quoi, alors ? - Oh, euh, je ne sais pas. Renouer notre amitié en douceur ? Me féliciter pour mes récents succès ? - Amyra. - Oui ? - Apprend à lire entre les lignes.
Je secoue la tête en soupirant, tandis que Mathilde éclate d'un rire bon enfant. Mettez-moi dans un laboratoire ou derrière un bureau, aucun problème. Mais face à un homme qui semble m'envoyer des signaux - que je suis sensée décoder -, c'est la panique générale.
- Je trouve illogique qu'il ait attendu aussi longtemps. - Il a peut-être ses raisons. Puis, tu dégages souvent cette aura de femme froide et inaccessible. Un peu condescendante sur les bords. - Je te demande pardon ?! - Ah non, non, ne le prend pas mal. Je dis juste que, sans connaître réellement la personne sous cette carapace, on pourrait se méprendre.
Je pince mes lèvres, à nouveau contrariée, voire un peu blessée par la remarque. Je ne suis ni hautaine ni mijaurée, et je ne me pense pas supérieure aux autres. Mais si c'est l'aura que je projette... J'apprécie l'honnêteté de Mathilde, même si elle vient titiller une émotivité cachée.
- Je dois le rencontrer cet après-midi. - Oh, un rencart ? - Non, oui, je n'en sais rien. Je veux juste discuter et rattraper les années que j'ai pu manquer.
Elle me toise un instant, avant de commencer à scanner le code barre de mes livres. Son silence m'embête moins que le sourire espiègle qui étire sa bouche malicieuse. | | | | Amyra Richards
C-GEAR Inscrit le : 27/12/2021 Messages : 691
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| Incapable de supporter l'humeur taquine de Mathilde, j'ai décidé de me poser sur l'un des bancs libres du parc - celui-là même qui nous servira de lieu de rendez-vous, à Josh et moi. Une halte prématurée, puisque ma montre affiche à peine dix heures et des poussières.
Je soupire doucement tout en retirant ma veste, avant de croiser les jambes et de plonger la main dans mon sac pour en extirper un livre. De quoi occuper mon esprit en attendant les retrouvailles fatidiques.
Pourtant, malgré ma concentration, je ne parviens à me détacher entièrement de mon environnement. Le bruit des klaxons se mêle au chant des oiseaux et les éclats de rires des piétons s'ajoutent aux vociférations des chauffards du dimanche. La mélodie discordante du centre-ville dans toute sa splendeur. Le coeur de mon quotidien.
Une brise agréable se lève, me faisant perdre le fil de ma lecture ; je m'empresse de bloquer les pages avant de me retrouver propulsée dans un chapitre que je ne suis pas encore prête à entamer. J'attends que le vent s'apaise avant de poursuivre, mais il semble décider à souffler quelques minutes encore.
J'adapte alors ma position, brisant ma confortable immobilité pour lui tourner le dos et ainsi protéger le roman posé à plat sur mes cuisses. Je suis me suis transformée en bouclier humain, en femme-forteresse. Les éléments ne me feront pas broncher aujourd'hui, qu'importe combien d'entre eux se mettront de la partie. La bourrasque diminue d'intensité, puis disparaît.
- Il semble que nous avons eu la même idée.
Je sursaute si brusquement au son de la voix de mon vieil ami que je perds le contrôle de mes réflexes ; j'échappe mon livre, celui-ci retombant à mes pieds dans les brins d'herbe encore perlés de rosée matinale, alors que ma bouche s'ouvre sur une exclamation de surprise terrifiée.
S'il y a bien quelque chose que je déteste, c'est d'être ainsi prise au dépourvu. Pourtant, je me sens capable de pardonner immédiatement l'offense. Parce que c'est Josh et qu'il m'a incroyablement manqué.
Je recouvre mon sang-froid en me penchant pour récupérer mon bouquin, puis me redresse pour lui faire face.
- Je viens souvent ici lorsque je passe un weekend en ville. C'est la vérité. Ce petit havre de paix me procure une sensation de sérénité que je ne retrouve pas ailleurs. Et avec mes semaines chargées, ces précieux moments sont une réelle bénédiction. Tu veux t'asseoir ?
Je lui indique le banc et il obtempère, se laissant retomber mollement avec l'appréciation de celui qui a marché longtemps et qui peut enfin reposer ses jambes.
- J'avais peur d'être en retard. Je ne fais pas confiance à mon sens de l'orientation, surtout que je ne connais pas encore tous les racoins d'Illumis. - Et demander à un chauffeur de bus ou de taxi ? - Les transports en commun, c'est pour les citadins.
Je souris face à son commentaire. Visiblement, il est et restera toujours une âme campagnarde. À voir s'il changera d'avis lorsqu'il réalisera à quel point le système en place est efficace et abordable.
Involontairement, un silence commence à s'installer, et nous le partageons sans chercher à l'interrompre. Mes doigts tambourinent doucement la couverture de mon livre, tandis que mes iris dorés se braquent droit devant moi, vers la lisière du parc. J'ai l'impression d'effectuer un retour dans le passé, comme lorsque nous étions jeunes. Assis côte à côte, à savourer simplement notre existence. | | | | Amyra Richards
C-GEAR Inscrit le : 27/12/2021 Messages : 691
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| Une bande d'enfants arrive en courant, semant la pagaille au sein des rangs d'un groupe de poichigeons ; résultat,les pauvres oiseaux prennent la fuite à tire d'ailes, dans un froissement de plumes désordonné, provoquant rires et cris de victoire. Je grimace. Comment ruiner un moment de paix et de tranquillité en l'espace d'une poignée de secondes. À côté de moi, j'entends Josh glousser. Vis-à-vis ces agents miniatures du chaos et de la destruction, nous partageons des avis diamétralement opposés.
- Il faut bien que jeunesse se passe. - Ils pourraient le faire ailleurs, oui. - Myra, c'est un parc, un lieu public. - Eh bien, j'aurai deux mots à dire à monsieur le maire à ce sujet.
Je lorgne en direction de mon vieil ami et je dicerne un vague découragement s'immiscer sur son expression jusqu'alors joviale. Cela dit, même si je suis sérieuse dans mes propos et que j'aime mieux voir les gamins jouer et se chamailler le plus loin possible de ma personne - ce qu'il sait pertinnement -, jamais je ne m'abaisserai à leur retirer un droit tout à fait légitime. Ce serait de l'acharnement, un caprice de femme acariâtre et malveillante. Josh a raison ; il faut que jeunesse se passe et ce, même si certaines attitudes et réactions m'agacent au plus haut point.
- Tu as beaucoup changé depuis la dernière fois que nous nous sommes vu. - Visiblement, ce genre de choses forge un caractère.
Je me penche légèrement et masse l'une de mes jambes, au niveau du tibia ; mon pantalon recouvre mes prothèses, mais mon interlocuteur connaît depuis belle lurette la sombre histoire ayant engendré leur création.
- Non, je veux dire... Même à cette époque, tu prenais la vie moins sérieusement. Avec un grain de sel et de folie. - Je n'étais pas accablée par le poids d'autant de responsabilités. La succession de mon père, la montée de mes propres projets, tailler ma place dans ce monde de requins et d'hypocrites ; cela fait vieillir prématurément l'âme, tu sais. Le changement, c'est bien. - Pas toujours.
Je le sens se tendre un tantinet. Ai-je dis quelque chose qui lui déplaît ? Pourtant, c'est lui qui critique ouvertement la femme que je suis devenue au fil des ans. S'il avait été le moindrement présent lors de mes avancées, de mes échecs et de mes progrès, il aurait compris. Les paroles de Mathilde ressurgissent dans mon esprit.
- Je vais faire un effort en ta présence, mais uniquement parce que c'est toi. Et parce que tu m'as énormément manqué.
J'ai le sentiment d'avoir récupéré une partie de moi-même que j'avais égaré contre mon gré. Mon visage se fend d'un sourire. L'ambiance perd un cran de froideur et de tension ; Josh me rend un sourire, plus doux encore que le mien. Au fond de ses yeux brille une étincelle réconfortante. Je retrouve un complice que je croyais à jamais perdu, évanoui dans la nature.
- C'est une bonne chose que le poste que l'on m'a offert soit permanent. - C'est vrai ? - Au départ, ils m'offraient deux ans. Une franche discussion et une révision de mon curriculum a fait changé les avis. - Audacieux. Tes employeurs auraient pu se tourner vers un candidat plus docile et malléable, qui aurait accepté le côté provisoire de l'emploi. Il faudra fêter cela comme il se doit !
Non loin de nous, un couafarel à la coupe standard - et naturelle - s'élance sur le sol herbeux du parc ; il accélère et bondit pour attraper la balle lancée par son dresseur, avant de retourner vers ce dernier en battant joyeusement de la queue. Les lieux s'animent davantage, maintenant que nous approchons de la mi après-midi.
- Je ne suis pas un grand fêtard. Tu me connais, je suis plutôt du genre tranquille. - Ce n'est pas une raison. Fait-moi plaisir, et laisse-moi célébrer nos retrouvailles et ta réussite professionnelle. Tu pourras retrouver tes habitudes et ton humilité ensuite. | | | | Amyra Richards
C-GEAR Inscrit le : 27/12/2021 Messages : 691
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| - Que penses-tu d'une réception au palais Chaydeuvre ?
Son air désemparé me fait sourire. Mon index glisse sur l'écran de mon portable, passant de l'image d'une demeure sophistiquée à celle du domaine de l'un des célèbres monarques ayant gouverné la région plusieurs siècles auparavant. Je pointe les jardins, lieu par excellence pour organiser une fête. Josh secoue la tête, contrarié par tant d'ostentation. C'est la quatrième option que je lui présente et qu'il refuse catégoriquement. Je le reconnais bien là, imprégné par les moeurs d'une famille qui abhorre la notion matérialiste établie par notre société.
- C'est une obligation de célébrer en grandes pompes, comme ça ? Pourquoi ne pas simplifier la chose : toi et moi, dans un restaurant, avec une bonne bouteille de vin et des souvenirs à raconter ? Je n'ai pas envie de passer ma soirée à serrer des mains inconnues ni à me montrer poli avec des gens qui ne me connaissent pas et qui ne viennent que pour te faire plaisir. Je suis certain, d'ailleurs, qu'ils ne me regarderaient même pas si je m'écroulais à leurs pieds.
Je soupire doucement tout en rangeant mon téléphone, incapable de réfléchir au moindre argument pouvant le faire changer d'avis. Dans sa franchise désarmante, mon vieil ami soulève un point auquel je ne pensais absolument pas, trop éprise par mes idées grandioses et déraisonnables. C'est une triste réalité, mais il a raison.
- Je suis désolée, je me suis emportée. Je lève vers lui un regard sincère, la mine assombrie par le sentiment d'avoir ignoré son souhait de tranquillité et d'intimité. Mais oui, je veux bien pour le dîner au restaurant, à condition de me laisser régler l'addition. Hors de question que tu débourses le moindre sous. Ceci est non négociable.
Je vois l'amusement reprendre d'assaut les traits de son visage, chassant toute trace d'embêtement ; je le considère comme une acceptation silencieuse des modalités de cette entente à l'amiable.
- Je crois qu'il me reste une bouteille provenant du Fermont... Je l'apporte ? - Quelle question !
Je roule des yeux, faussement exaspérée par l'audace de cette question. J'ai tellement aimé son cadeau de retrouvailles que je serais folle de refuser d'en boire à nouveau.
Cela dit, même s'il a fait la proposition du repas, je compte avoir mon mot à dire sur l'établissement où nous irons ; j'ai envie de lui faire découvrir la haute gastronomie Illumisoise, de le plonger dans un univers de saveurs excentriques et incroyablement complexes. Quelques noms me viennent à l'esprit, mais je ne les partage pas immédiatement avec Josh. Je lui enverrai les adresses et les menus par textos plus tard, lorsque nos chemins se sépareront.
- Tu résides en ville ou tu t'es acheté une maison en banlieue ?
La question m'est venue naturellement, poussée par la curiosité. Il m'a bien dit avoir obtenu son poste permanent au centre-ville, mais cela ne résout pas le mystère entourant l'endroit où il résidera pour les années à venir. Josh ne se départie pas de son sourire, celui-ci s'agrandissant même un tantinet. Le voilà qui dégage derechef cette aura charmante, presque charmeuse.
- C'est pour pouvoir me rendre visite ? - Bien sûr.
Mon esprit est heureusement à l'abri des double-sens et des sous-entendus douteux. Je ne relève donc pas l'espièglerie dans sa voix. Il poursuit, sans pour autant se montrer déçu de ne pas me voir mordre à l'hameçon.
- Illumis est très chère, mais j'ai réussi à me trouver un appartement à quelques avenues de la tour, dans le secteur nord-ouest, pour un prix abordable. Bon, la superficie des pièces est égale à celle d'un placard à balais, mais le logement est propre et déjà meublé. En plus d'avoir une jolie vue et un accès à tous les magasins essentiels. Ça me convient pour l'instant, puisque je suis seul.
Il appuie sur ses derniers mots avec une émotion que je ne parviens à déchiffrer, mais qui renferme une étonnante impression de solitude et de tristesse. Nous ne sommes pas vu depuis plus d'une décennie. J'ai déjà noté l'absence de jonc de fiançailles ou de bague de mariage à l'annulaire de sa main gauche, et puisqu'il est venu s'installer dans une région éloignée de celle où sa famille résidait autrefois...
Je ne crois toutefois pas qu'il soit comme moi, davantage attaché à son travail qu'à ses relations sociales. Possible qu'il soit tout simplement malchanceux en amours ou qu'il ait dû renoncer à un être cher pour pouvoir vivre un rêve ou relancer sa carrière. Qui sait.
- Tu me donneras ton adresse, je passerais à l'occasion.
Cela semble lui faire immensément plaisir et, à quelque part, cela m'enchante aussi. | | | | Amyra Richards
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| Il tend une main vers moi et l'ouvre comme s'il demandait l'aumône. Je l'examine, incertaine de ce que son geste signifie, avant d'appuyer de l'index cette peau chaude et légèrement moite, que de rigoureux travaux manuels ont rendu calleuse. Je peux imaginer cette même main maîtriser savamment un vandale. Ou caresser de son revers une joue familière.
Je bats bêtement des cils lorsque j'entends sa voix mettre fin à ma contemplation.
- Tu me passes ton téléphone ? Qu'il répète, sans faire montre de la moindre impatience. Là-dessus, nous n'avons pas changé.
Je me perds toujours autant dans mes songes et mes idées, et lui, comme l'ancre d'un navire, s'assure de me rattacher à la réalité, de m'empêcher de partir à la dérive.
- Oh, je suis désolée. Oui. Tiens.
Je sors derechef mon téléphone, mais cette fois-ci, ce n'est pas pour lui montrer les propriétés grandioses de la région. Je compose mon code de sécurité et lui donne accès ; il ne perd pas une seconde et ouvre ma boîte de contacts, à laquelle il n'hésite pas à ajouter son nom et ses coordonnées. Numéro personnel, téléphone de travail, adresse de son domicile, courriel. La totale. Au plus profond de moi-même, je ressens un pincement. A-t-il peur que nous nous perdions à nouveau de vue, pour une autre décennie ou plus longtemps encore ? Il sauvegarde le tout, puis me rend l'appareil avec un sourire que sa barbe fournie dissimule à peine.
- Tu peux m'appeler ou m'écrire n'importe quand. - Je prends note. Je regarde un court moment ses informations, essayant déjà de les mémoriser. J'abandonne après une brève tentative, ma concentration n'étant pas à son meilleur. Tu veux qu'on bouge un peu ? Je commence à avoir des fourmis dans les jambes.
Je vois la confusion et la surprise s'étaler successivement sur son visage. Puis il se met à rire, un rire riche et contagieux, qu'il me transmet instantanément. L'humour n'a jamais été mon point fort, mais j'essaie de poser une blague ici et là, lorsque je suis confiante envers mon public.
- L'idiot que je suis a cru qu'elles avaient magiquement repoussé. - Non, malheureusement. Mais je suis loin de me plaindre de ma condition maintenant. Je me sens bien.
Accomplie et en paix avec moi-même. Nous retrouvons un semblant de sérieux et nous nous levons du banc. Josh s'étire paresseusement les bras, puis le bas du dos en grognant, tandis que j'esquisse quelques pas sur la pelouse.
- Tu veux faire un tour du parc avant de rentrer ? - Pourquoi pas. Je l'aime bien, je sens que je vais passer beaucoup de temps ici. - C'est un petit coin de paradis. Enfin, tant qu'il n'y a pas trop d'enfants dans les parages, sinon cela devient infernal. - Amyra. - Josh. - Tu ne peux pas t'en empêcher ? - Coupable. Désolée de ne pas avoir la fibre maternelle.
J'évite le regard qu'il me coule, préférant regarder droit devant moi. Ma mère n'a jamais été un modèle dans l'art d'aimer et de s'occuper de sa progéniture. Une raison pour laquelle je suis fille unique, sans soeur ni frère. Je soupire doucement, tout en pressant mes livres contre ma poitrine. Ai-je gâché le moment ?
- Pour le restaurant... Que je tente, d'une voix détachée. Demain soir te convient ? - Oui, c'est parfait.
Je sens son bras m'enserrer les épaules. Ne sachant comment y réagir, j'agis comme si nous ne nous touchions pas. Je laisse mon vieil ami me guider durant ce début de promenade silencieux. | | | | Contenu sponsorisé
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