L'environnement de Smashings ne donnait pas véritablement envie de profiter d'un air frais inexistant. La vue des immeubles aux façades fissurées et à la peinture craquelée, des câbles électriques pendant de leurs poteaux, des détritus empilés sur les balcons et du smog assombrissant l'air, n'était pas le spectacle le plus réjouissant ni le plus apaisant. Pourtant, Stegan aimait sortir sur son balcon de trois mètres carrés, sur lequel il avait disposé un vieux fauteuil en cuir élimé, et un guéridon en fer rouillé aux soudures, encombré d'un cendrier en verre jauni. Sur les coups de vingt heures, après avoir avalé un repas spartiate, il s'emparait de sa fidèle bouteille de whisky bon marché et de sa boîte à cigares, déposait le tout sur son guéridon, et s'effondrait dans son fauteuil aux ressorts grinçants pour une généreuse demie-heure. Là, il buvait le whisky à même le goulot, se déléctant de la sensation de brûlure acide qui lui prenait l'oesophage. Il allumait un cigare qu'il dégustait par longues bouffées, gardant la fumée bien trop longtemps dans ses poumons. Il découvrait son œil crevé, laissant son cache-oeil pendre autour de son cou, et se laissait aller en arrière, fixant le carré de ciel noir opaque que lui laissaient paraître les immeubles qui entouraient son balcon.

Parfois, son voisin d'en face sortait en même temps que lui. Un vieil homme aux traits tirés, à l'œil fatigué, qui s'accoudait à la rambarde de son balcon. En tendant le bras, il atteignait celle de Stegan, ce qui le rendait difficile à ignorer. Fort heureusement pour la misanthropie de Stegan, le vieil homme ne parlait pour ainsi dire jamais. Il se contentait de fixer la ruelle en contrebas, les poubelles qui s'entassaient depuis trop longtemps pour prétendre à une hygiène décente, les quelques passants qui la traversaient, la tête baissée. L'un fixait le ciel, l'autre fixait la terre, en silence, dans une cohabitation tacite. Avant que l'un ou l'autre ne décide de mettre un terme à sa méditation silencieuse, un simple signe de tête, en guise de salutation cordiale. Une marque de respect de voisinage, un semblant de bonne entente, pour ne pas donner l'impression de s'ignorer, comme tous les gens qui se croisent sans jamais se voir. Une relation qui convenait parfaitement à Stegan, et qui venait à lui manquer lorsque l'interaction n'avait pas lieu.

Un soir, Le rituel connut une variante. Stegan était enfoncé dans son vieux fauteuil au cuir brun élimé, percé et raccommodé au gros scotch, tirant sur son cigare. La porte-fenêtre du balcon d'en face grinça, et le vieil homme en sortit. Il observa Stegan le temps des quelques pas qui le séparaient de la rambarde, s'y accouda, et baissa les yeux. mais alors que le silence caractérisait d'ordinaire son apparition, un long et profond soupir se fit entendre. Stegan baissa le regard. Le visage du vieil homme reflétait toujours une passivité certaine, mais cette fois, une grande lassitude y apparaissait.

D'un simple geste de menton, interrogatif à sa manière, une question fut posée en silence. Le vieil homme observa Stegan sans répondre. Il haussa les épaules, prononçant mille mots sans ouvrir la bouche. Stegan récupéra un cigare dans sa boîte en inox rayée, et le jeta au vieil homme comme une pièce que l'on lance pour parier. D'un geste étonamment expert, l'homme récupéra le cigare au vol en le coinçant entre ses doigts, et le leva brièvement à la manière d'un verre que l'on présente pour trinquer. Il en arracha l'extrémité d'un coup de dents, le coinça à la commissure de ses lèvres, et plongea sa main dans sa poche arrière pour en sortir un briquet. Stegan en déduisit qu'il devait s'agir d'un fumeur, bien qu'il ne l'aie jamais vu fumer sur son balcon. Une flamme éclaira brièvement le visage du vieil homme d'une lumière orange et vacillante, soulignant les rides qui entouraient sa bouche et qui coulaient le long de ses joues. Et bientôt, un volute de fumée blanche masqua son visage, à nouveau plongé dans la pénombre.

- Alolien. Pas mal.

Stegan n'étais pas un gourmet ni un connaisseur, dans quelque domaine que ce soit. Il avait pris les cigares qui lui semblaient présenter le meilleur rapport qualité prix, et n'en avait pas changé en trois ans. Ne sachant quoi répondre, il se contenta d'un discret hochement de tête.

- Votre œil ?

C'était la première fois que Stegan entendait la voix de son voisin. Une voix grave, profonde, éraillée, râpeuse. Charismatique, mais épuisée. A la fois puissante, mais maintenue bas, presque soufflée. Stegan se contenta de le fixer de son oeil valide. Non pas qu'il se sentait si dérangé que cela par la question du vieil homme. Ils avaient passé bien assez de temps à se côtoyer en silence pour qu'il ne s'indigne d'une interaction qui tenait en deux mots. Mais il n'était pas certain de savoir quoi répondre.

- Pardon.

Le temps qu'il avait mis à répondre semblait avoir fait comprendre au vieil homme qu'il ne voulait pas parler. Il ne lui avait pas fallu longtemps, le silence de Stegan n'ayant duré qu'une paire de secondes, au plus. Il était plaisant qu'un homme s'inquiétât aussi promptement de sa capacité à déranger autrui. Pour autant, si ce fait mettait Stegan dans de bonnes dispositions, il n'avait rien contre l'idée de lui répondre.

- Pétage de plomb. PTSD.

Une franchise qu'il s'étonna lui-même de laisser échapper. Il ressentait une forme de honte à s'être infligé une blessure aussi handicapante lui-même. Mais à quoi bon mentir, après tout. Il savait ce qu'il valait. Le vieil homme hocha la tête en silence. Son soupir revint en tête de Stegan. Si cet homme avait brisé le silence, peut-être avait-il besoin d'un peu plus que d'un échange muet. Après tout, Stegan se battait sur les pires champs de batailles que l'humanité aie jamais créé, pour protéger des innocents. Même si la guerre était bien plus sa spécialité que la psychologie, il pouvait bien s'y essayer.

- Dure journée ?

Le vieil homme parut surpris. Puis, reprenant son air résigné, il répéta son haussement d'épaules. Mais un nouveau soupir s'échappa de sa gorge.

- Un vieil ami qui s'est foutu en l'air. Je l'avais pas vu depuis des années. Je regrette un peu de l'avoir laissé dans son coin, il avait contracté un sale truc à ce qu'on m'a dit.

Difficile de garder ça pour soi. Stegan se sentait à la fois gêné et honoré qu'il soit celui sur lequel le vieil homme avait jeté son dévoulu pour se confier. Mais c'était un rôle qu'il se sentait prêt à tenir.

- On s'en rend toujours compte trop tard. D'ailleurs, quoi qu'on fasse, on se dira qu'on l'a fait trop tard.

L'homme pencha la tête sur le côté, dans une approbation peu convaincue.

- J'ai pas fait grand-chose. Mais bon. J'ai plus que des regrets à avoir.

Il était rare que Stegan entende ces mots prononcés autrement qu'avec des pleurs au fond de la voix, ou portés par une tristesse palpable. Mais chez cet homme, rien d'autre que de la lassitude. De la résignation. Une neutralité rare.

- On peut vivre avec le regret d'avoir rien fait. Moins avec celui d'avoir échoué. S'il était condamné, vous auriez échoué dans tous les cas.
- Pas faux.

Le silence retomba. Stegan vit le vieil homme recommencer à fixer la ruelle. La conversation était terminée. Il laissa sa tête se poser contre le dossier du fauteuil, et leva le regard vers les étoiles, cachées derrière le voile de pollution lumineuse et chimique du ciel de Smashings.

Il n'avait pas dormi. Sa poignée rituelle de somnifères n'y avait rien fait, ce qui devenait de plus en plus fréquent. Il devait être trois heures du matin lorsque son téléphone se mit à sonner. Il se redressa dans son lit, torse nu, et regarda le numéro qui l'appelait. Bareblade. Il décrocha.

- Colonel.
- Opérationnel ?
- Dix minutes.
- Dans trente minutes au central. Prends Double-Sept.

Clic. Stegan ne réfléchit pas davantage, posa le téléphone sur sa table de chevet, et se leva pour aller rassembler ses affaires.
Dix minutes plus tard, il enfourchait sa moto, son gilet de combat sous sa veste, son équipement et armes dans un sac à dos, et ses pokeballs à la ceinture. Le vrombissement brutal de sa moto le mena en à peine plus d'un quart d'heure jusqu'au central militaire de Winscor. Bareblade l'attendait dans la salle de briefing de l'unité de Stanford, derrière son ordinateur.

- Tu te souviens de ce que t'as fait de son tyranocif après la ligue ?

Question pour le moins surprenante.

- Je l'ai libéré. Personne n'était apte à le récupérer.
- Tu m'étonnes.

Bareblade fit quelques clics sur son ordinateur, et une image apparut sur l'écran de briefing. Une image prise au drone, montrant une silhouette verte hérissée de pointes que Stegan ne connaissait que trop bien.

- Images prise aux alentours de Paddoxtown.
- Addy ?
- Elle-même.
- Mais qu'est-ce qu'elle fout ici ? Je l'ai relâchée à Eternara.
- Faut croire que les tyranocifs ça sait nager.

Les images, qui la montraient jusqu'ici en train de se déplacer dans une plaine, s'agitèrent d'un coup. Un rayon d'énergie jaillit de la gueule du pokemon et souleva un panache de poussière. Puis la tyranocif se jeta en arrière, griffes vers le ciel, poussant un hurlement rendu muet par les images dépourvues de bande son. Mais lorsque son oeil blanc aux pupilles révulsées se braqua en direction de la caméra, Stegan ne put réprimer un frémissement. Cela faisait bien longtemps qu'il n'avait pas affronté ce regard.
Un éclair blanc illumina l'écranqui se figea sur un "signal lost".

- Un drone à un quart de million. Je t'envoie la facture ?
- Elle est plus à moi.
- Les rangers locaux pensent autrement. Selon eux, tu l'as pas relâchée dans les règles. T'as mis des gens en danger. Sur ce dernier point, je peux pas leur donner tort.
- Des victimes ?
- Pas pour l'instant.
- Alors elle est calme.
- Calme ?
- Elle veut pas détruire des trucs au hasard. Si c'était le cas Paddoxtown serait déjà rayée de la carte.
- Tu l'as bien vu balancer un rayon.
- Elle visait quelque chose. Repassez les images.

Bareblade ne se fit pas prier. Stegan sentait que ses propos le laissaient dubitatif, mais malgré tout, il lui faisait confiance. Ses questions n'étaient pas rhétoriques, il voulait simplement les explications du seul dresseur qui ait été capable de dompter ce tyranocif enragé.

La vidéo redémarra du début. Stegan observa attentivement les images. Les pas lourds de la tyranocif, son rayon, sans doute un ultralaser ; son hurlement.

- Stop.

Bareblade figea l'image.

- Retour arrière. Lentement.

Bareblade lança le rembobinage, à vitesse réduite. Stegan ne quitta pas l'écran des yeux. Soudain, une forme capta son attention.

- Là.

Bareblade fit pause. A l'écran, à l'endroit précis ou le rayon frappait quelques secondes plus tard, une silhouette imposante, bien que plus réduite. Bareblade zooma. L'image était pixellisée, mais la forme d'une créature typique de Hoenn sauta aux yeux de Stegan.

- Un métalosse. Qu'est-ce qu'il fout là.
- Tu le sauras bien assez vite. Si c'est bien ce métalosse que combat Addy, il la maintient en position. Alors tu vas me l'arrêter et fissa, avant qu'elle tire sur des maisons.

Stegan n'en attendit pas davantage. Il ouvrit son sac, enfila son casque, sa plaque de cuisse, et fixa son fusil d'assaut à la sangle de son gilet.

- Vous avez un hélico ?
- Est-ce que l'eau ça mouille ?

Etonnament, Addy n'avait effectivement pas bougé. Elle se trouvait sur un haut plateau des collines aux alentours de Paddoxtown, mais le terrain autour d'elle était en ruines. Des rochers éclatés, des cratères d'impact, de la terre retournée. Les hurlements de la tyranocif étaient ponctués de tirs d'ultralaser, dirigés sur une forme qui se déplaçait à grande vitesse en lévitant au-dessus du sol. C'était effectivement un métalosse. Mais la pénombre empêchait Stegan de le distinguer clairement. Le soldat activa son laryngophone, et s'adressa au pilote de l'éhlicoptère qui le transportait.

- Approchez-moi le plus possible du tyranocif. Je descends en rappel.
- Bien pris.

L'apparition de l'hélicoptère attira l'attention d'Addy, qui tourna son regard rageur vers lui. Elle poussa un hurlement, auquel Stegan répondit aussitôt.

- ADDY ! C'EST MOI !

Baissant son masque pour que la tyranocif reconnaisse son visage, il constata trop tard que sa venue n'était pas nécessairement ce qui serait le plus à même de calmer son ancien pokemon. Il le comprit à l'instant ou une sphère d'anergie se forma dans la gueule du pokemon, braquée dans la direction de l'hélicoptère.

- ON BOUGE !

L'hélicoptère fit aussitôt une embardée. Stegan fut projeté au fond de l'habitacle, avant que celui-ci ne soit illuminé par le rayon d'énergie qui le frôla.

- On fait quoi ? Je peux pas m'approche, on va se faire cramer !
- Descendez le plus bas possible, je saute et vous dégagez ! Je demanderai une évac plus tard !
- Bien pris !

Stegan sentit l'hélicoptère perdre de l'altitude. Il se pencha à travers le haillon, et vit le sol se rapprocher. Une fois parvenu à une hauteur qui ne risquait pas de lui briser les chevilles, il bondit, et se réceptionna avec une roulade.

- Décrochez !
- Reçu, bonne chance !

L'hélicoptère s'éloigna. Lorsque Stegan leva son regard vers Addy, la tyranocif le fixait de ses yeux blancs, les crocs serrés à en grincer. Lorsqu'elle leva une jambe, Stegan comprit qu'il était déjà engagé dans un combat qu'il ne pouvait pas gagner, mais qu'il avait intérêt à ne pas perdre.
Alors qu'un séisme puissant éclatait et faisait trembler le sol de toute la zone, Stegan se mit à courir. Il n'irait pas plus vite que l'onde de choc, mais plus il s'éloignerait de l'épicentre, plus il aurait de chances de s'en sortir. A l'instant ou le sol se déroba sous ses pieds, il manqua de trébucher, et se rattrapa tant bien que mal dans les branches basses d'un arbre.
Là, il vit un faible rayon d'énergie blanche s'élever des bosquets, manquant Addy de peut. Ce qui ne sembla pas la détourner un seul instant.
Stegan se redressa, et sprinta en direction de là d'où venait ce rayon, qui ressemblait à une tentative faiblarde d'attaquer la tyranocif. Arrivé dans les bosquets, ce qu'il vit confirma ses craintes.

Le métalosse. Celui qu'il avait vu sur la vidéo. Sa carapace d'acier cabossée, entaillée, brûlée. Un oeil crevé par un profond coup de griffe. Des articulations broyées. Et partout, des impacts brûlés encore fumants, cicatrices fraîches du combat qu'il avait engagé contre le pokemon enragé. Stegan s'approcha, lentement, alors qu'il entendait Addy marcher d'un pas lourd dans sa direction. L'oeil valide du métalosse se braqua sur lui, et un grondement profond et étouffé se fit entendre à travers les crocs entrouverts du pokemon.

- Là, ça va, mon gros. Je suis de ton côté.

Un faible halo rosâtre enveloppa le métalosse, et Stegan ressentit une étrange sensation, comme une migraine sans douleur. Lorsque la sensation disparut, en même temps que le halo sur le métalosse, une pensée résonnait dans son esprit.

Il faut qu'on l'arrête.

La réputation qui entourait la puissance des pouvoirs psychiques de métalosse n'était plus à faire.

- C'est le plan, mon pote. Mais avant faut que je te sorte de là, sinon tu vas pas survivre.

Stegan sortit une hyperball de sa sacoche, et la présenta au métalosse, qui la scruta un instant. Puis son regard se posa à nouveau sur Stegan.

- J'ai de quoi l'arrêter. Rentre là-dedans, juste le temps que je puisse te soigner quand ça sera fini. Ensuite tu iras où tu veux.

Le métalosse sembla ne pas hésiter. Avait-il sondé les intentions de Stegan, ou bien lui faisait-il seulement confiance ? En tous cas leva-t-il faiblement une de ses énormes pattes, et appuya du bout de la griffe sur le bouton d'activation de la ball avant d'y être aspiré. Celle-ci ne vibra qu'une seule fois avant de se verrouiller.

Stegan rangea l'hyperball dans sa sacoche, et s'empara à son ceinturon de la ball renforcée qui contenait Double-sept. Il fixa un instant la tyranocif qui s'avançait toujours vers lui en grognant, et lança la pokeball devant lui.
Le genesect apparut, tombant lourdement au sol. D'un mouvement mécanique, il tourna la tête vers Stegan, demandant des instructions.

- Technobuster. Pleine puissance. Plein torse. Maintenant.

L'oeil de Double-sept s'illumina d'une lueur rouge menaçante. Il se tourna vers sa cible, campa ses jambes pour solidifier son appui, et dans un cliquetis métallique, sa carapace dorsale s'ouvrit, laissant apparaître son canon. Un vrombissement puissant se fit entendre, alors que de l'énergie s'accumulait à l'intérieur.

Addy semblait ne pas avoir perdu ses instincts, car à la seconde ou le Genesect apparut face à elle, elle s'immobilisa, son grognement de colère laissant place à un grondement inquiet. Double-Sept n'était pas grand, mais sa puissance devait se ressentir sans difficulté. Addy ouvrit la gueule, et se mit à son tour à charger un ultralaser. Mais son moment d'hésitation ne la pardonna pas.

Une détonation puissante retentit, accompagnée d'un blast qui força Stegan à se protéger derrière ses avant-bras. Le sol aux pieds du Genesect fut soufflé, l'herbe arrachée, et le panache de poussière qui apparut instantanément ne fut percé que par le rayon d'énergie pure qui s'échappait de son canon. Une explosion d'énergie percuta la tyranocif en plein thorax, faisant s'évaporer sa propre attaque dans sa gueule, et la renversant pour la faire s'effondrer au sol.

Alors que la poussière retombait, le vrombissement du technobuster résonnait encore. Double-sept chargeait un second tir.

- Stand-by.

Le genesect ne réagit pas, mais un clignotement de son oeil rouge suffit à faire comprendre à Stegan que l'ordre avait bien été enregistré. Le soldat s'élança en direction d'Addy, qui gisait au sol, la carapace de son torse méchamment brûlée, et entamée au point d'impact. Elle était mal en point, les yeux mi-clos, et tentait sans succès de se redresser, les membres tremblants. Quand on connaissait Addy, sa résistance et son acharnement, la puissance de ce Genesect faisait peur à voir. Cela dit, la tyranocif arborait également des plaies et brûlures qui ne semblaient pas dues au technobuster, sur les membres, le crâne et la queue. Stegan ne s'y attarda pas au vu de l'urgence de la situation.

- Désolé pour ça, mais on dirait que t'as oublié tout ce que je t'ai appris.

Stegan sortit une nouvelle hyperball de son sac, et la posa sur la carapace d'Addy. La tyranocif fut aspirée, et après trois longues vibrations, la ball cliqua. Il était encore plus étonnant de constater que ce pokemon si enragé et si farouche était assez faible pour ne pas résister à la capture.
Stegan rangea la pokeball d'Addy avec celle du métalosse, et rappela son Genesect sans un mot. La mission était un succès, grâce à son arme ultime. C'avait même été trop facile. Toutefois, Stegan repensa à ces marques sur le corps d'Addy. Ses blessures étaient fraîches, et à bien y repenser, correspondaient bien aux coups qu'auraient pu lui porter ce métalosse. Il s'était bien battu, et pour cause, il était toujours en train de combattre de ses dernières forces, bien qu'il soit déjà apparu à l'écran du colonel Bareblade près d'une demie-heure plus tôt. Et qui savait depuis quand ce combat faisait rage. Ce métalosse avait, non seulement survécu à Addy, mais lui avait également tenu tête et l'avait même amochée. Finalement, peut-être lui avait-il mâché le travail, et le technobuster de Double-sept n'avait-il été que le coup de marteau final.

Stegan rappela l'hélicoptère, qui le récupéra et l'emmena jusqu'au central. Bareblade l'attendait sur le tarmac, comme à son habitude.

- Bizarrement, j'ai pas beaucoup de regrets de t'avoir confié ce genesect.
- Il est surpuissant. Mais on en parlera plus tard, j'ai deux pokemons qui ont besoin de soins, et vite.
- Deux ?
- J'ai récupéré le métalosse. Il est dans un sale état.

Bareblade l'observa un court instant en silence, avant d'empoigner son talkie.

- Je veux une équipe médicale prête à reçevoir deux specimens en état critique dans deux minutes.

Puis il guida Stegan jusqu'au poste médical. Là, le tyranocif et le métalosse furent pris en charge. Sous les lumières des néons blancs, Stegan put mieux distinguer les blessures des deux pokemons, encore inconscients. Addy présentait des griffures sur tout le corps, ainsi que de larges brûlures. Mais le plus grave était l'impact sur son torse, qui avait arraché des plaques d'armure et mettait ses muscles à vif. Du sang s'en écoulait, et une odeur de chair brûlée s'en échappait. Le métalosse, lui aussi, était en mauvais état. Sa carapace était encore plus cabossée que ce qu'avait cru voir Stegan mais le pire, c'était son oeil griffé jusqu'au sang, et une de ses pattes dont l'articulation ne tenait plus que par quelques tendons et lambeaux de chair. Même en sachant que le corps de ce pokemon était fait de métal, Stegan fut surpris lorsqu'un médecin apporta un poste à souder et se mit à rafistolet le métalosse à grands coups d'arc de soudure.

Les signes vitaux d'Addy se stabilisèrent rapidement. Les assauts du métalosse ne l'avaient pas blessée outre mesure, mais le coup de technobuster avait été bien plus destructeur. Le métalosse, lui, présentait de nombreuses lésions graves de plusieurs types et en plusieurs endroits. Une articulation au bord de l'amputation, une carapace prête à céder en de nombreux endroits, des hémorragies internes nombreuses, un oeil crevé, et surtout, une grave concussion qui avait forcé les médecins à le plonger dans un profond coma. Il était sur une plateforme de mécanicien, bardé de capteurs, des tubes enfoncés dans sa gueule en acier, ses yeux noirs comme des phares éteints. Stegan restait à son chevet, car dans son esprit, ce métalosse lui avait mâché le travail, et surtout, avait tenu la ligne jusqu'à son arrivée. Pourquoi, il n'en savait rien. Mais il lui était redevable.

- Capitaine ?

Le médecin en chef s'approcha de Stegan, un calepin à la main, accompagné de Bareblade.

- Votre tyranocif s'en est sortie.
- Tant mieux, mais c'est plus ma tyranocif.

Le médecin parut confus, et se tourna vers Bareblade.

- Bien sûr que si. Comme je te l'ai dit, tu ne t'en es pas séparée en bonne et dûe forme.
- Eh bah je remplirai le formulaire dans l'heure. Sa place est dans une réserve naturelle, très loin de toute infrastructure humaine.
- Evidemment. Parce qu'elle ne sera pas capable de s'en échapper et de recommencer son petit manège.

Stegan se tut. Le colonel savait frapper là ou ça faisait mal.

- Reprenez, docteur.
- Merci. Je disais, elle s'en est sortie, mais l'attaque qu'elle a subie a bien failli lui être fatale. Les parois pulmonaires ont été brûlées au troisième degré, le coeur a subi un choc qui lui a causé une arythmie, et la quasi-totalité des côtes sont fêlées. C'est un miracle qu'elle s'en soit sortie, même avec sa résistance naturelle.

Stegan resta sans voix. Il savait que le technobuster était puissant, mais à ce point... dire qu'il avait envisagé l'idée d'en envoyer un deuxième si le premier ne calmait pas Addy.

- Voilà. Donc, d'une part, tu vas la récupérer dès qu'elle sera sur pied, et tu achèveras son entraînement. Il faut la rendre docile, vite et bien. Et en parallèle, tu vas me faire le plaisir d'apprendre à viser avec ce genesect. J'ai assisté à la scène en direct. Tu lui as ordonné de frapper en plein torse. Je sais que tu aimes régler les problèmes de façon radicale, mais il va falloir apprendre à se servir de cette attaque avec plus de parcimonie, et t'assurer qu'il en soit capable. Si tu ne l'avais pas arrêté, il aurait enchaîné, et notre discussion serait très différente.
- Compris.

Un mot, sec, claquant comme un coup de fouet. Stegan détestait ces séances de remontrances plus que tout, car elles lui rappelaient qu'il n'était pas infaillible. Ce qui n'était pas toujours une évidence dans son subconscient.

- Bien. Retourne te reposer, je t'envoie Addy dès qu'elle est sur pieds.
- Colonel.
- Hm ?
- Vous allez faire quoi du métalosse ?
- Le relâcher où on l'a trouvé.
- J'aimerais m'en charger.

Le colonel eut un instant d'arrêt. Stegan aurait juré qu'un bref sourire avait animé le coin de ses lèvres.

- Très bien, je te ferai un colis groupé. Maintenant décolle.
- Bien, colonel.

Le chemin du retour profitait d'une circulation inexistante. Il devait être cinq heures du matin au plus tard, aussi la fraîcheur de la nuit s'accompagnait avantageusement d'un silence uniquement percé par le vrombissement de la moto de Stegan. La conduite était à son goût, surtout lorsqu'il s'agissait de réfléchir. Et la présence d'Addy ne pouvait susciter d'autre réaction.

Que devait-il en faire ? Lui qui avait pris la ferme résolution de ne conserver que Double-Sept, dont le comportement machinal lui ôtait tout scrupule quant à son emploi au combat, il avait déjà récupére Ka'bar, et recueilli un hexadron solitaire. Et voilà qu'il allait devoir également reprendre sa tyranocif, celle avec qui il s'était battu pendant de longues années ? Le passé le rattrapait et ce constat ne lui plaisait pas, d'autant qu'il n'y avait pas qu'Addy. Ce métalosse avait quelque chose, et lui inspirait un sentiment comparable à celui qui avait accompagné sa découverte d'Ares, son hexadron survivant. Il s'empêchait d'y penser, mais l'idée de le recueillir, lui aussi, lui hantait l'esprit.

Lorsqu'il parvint à Smashings, Stegan monta quatre à quatre les marches montant jusqu'à son appartement, et s'effondra sur son lit, sans même retirer son treillis ni ses rangers. Il s'endormit aussitôt.

Au matin, il ne s'était écoulé que trois heures pendant lesquelles il n'avait pas rouvert l'oeil. Le soleil passant à travers les volets le tira de son sommeil, et il se redressa aussitôt pour aller se préparer un café plus que bienvenu. Il constata dans un soupir l'empilement de matériel qu'il avait laissé en vrac dans son couloir. Il le rangerait plus tard.

Sa tasse de café était entamée aux deux tiers lorsque la sonnette retentit. Tout en se dirigeant vers la porte d'entrée, Stegan récupéra le Glock engoncé dans le holster du gilet qui gisait au sol, et entrouvrit la porte, dissimulant son arme derrière lui.

- Je peux entrer ?

Le colonel n'attendit aucune réponse et fit un pas en avant, alors que Stegan lui ouvrait instinctivement le chemin en s'écartant du passage. Il referma la porte derrière lui, et replaça son arme dans son étui.

Le colonel avança jusqu'à la pièce à vivre, où il tourna les talons vers son hôte. Il fit basculer sur son épaule une sacoche, dont il tira deux hyperballs.

- Addy, et sa victime. Je sais pas ce que tu comptes faire avec lui, mais n'oublie pas qu'ils se sont battus à mort. Ca risque de te demander du boulot.

Bareblade aimait feindre l'ignorance, pour finalement montrer qu'il avait compris tous les non-dits. Rien ne lui avait échappé de la situation.

- Je sais. Je lui demanderai son avis avant.
- Ca te ressemble pas, ça.
- J'ai appris des choses. Je les ai payées au prix fort.

Il leva devant lui son poignet sectionné. Si une main y avait encore été attachée, elle aurait pointé vers son oeil crevé.

- Tu m'en diras tant.

Stegan récupéra les hyperballs, et les déposa sur la table.

- Je m'occupe d'Addy. Elle me quittera pas tant qu'elle se tiendra pas à carreau.
- Je pense qu'on sait tous les deux ce que ça veut dire.
- S'il le faut.

Oui, s'il le faut, il la garderait auprès de lui. C'était effectivement une possibilité non négligeable, et il en était conscient. Contrairement à son "lui" du passé qui avait lâché un tyranocif enragé sur une île au large d'Hoenn, pensant que le monde en serait ainsi protégé.

- Bien. Dans ce cas, je te laisse tranquille. T'as du boulot devant toi, je laisse le commandement des Wardogs à Lansky pour une semaine. D'ici là t'auras bien le temps d'avoir obtenu des résultats.
- J'en demande pas tant.
- Mais je te le donne. Allez, bon vent.

Bareblade se dirigea droit vers la porte d'entrée et sortit de l'appartement en claquant la porte derrière lui. Stegan, lui, fixait les hyperballs posées sur la table, jusqu'à ce que le vrombissement du Land Rover du colonel retentisse dans la rue. Là, il les fixa à son ceinturon, engloutit le restant tiède de sa tasse de café, et se prépara à sortir.

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Modération:

Une dizaine de kilomètres dans les highlands aux alentours de Smashings l'éloignèrent suffisemment de la civilisation à son goût. Il posa pied à terre, pendit sonc asque au guidon de sa moto, et s'éloigna de la route, marchant sur plusieurs dizaines de mètres. Là, parvenu au sommet d'une petite colline, au beau milieu d'une végétation sauvage, il dégaina une première hyperball. Lorsqu'il l'activa, le métalosse apparut. Une large trace de griffure lui zébrait l'oeil droit, lequel était intégralement blanc. L'une de ses pattes avait été rafistolée en plusieurs endroits par des soudures grossières, des morceaux de métal entier lui ayant été arrachés. L'une de ses pattes arrières tenait grâce à une articulation prosthétique en métal. Les éraflures et les impacts sur la carapace du métalosse étaient nombreux. Le pokemon fixa Stegan un long moment, impassible.

- Désolé pour ce qui t'es arrivé. J'espère que les soins qu'on t'a donné te suffiront à garder une vie normale.

Pour toute réponse. le métalosse leva sa patte arrière et lui fit faire quelques cercles. Elle bougeait lentement, mais elle bougeait. Les métalosse n'étaient pas connus pour leur vitesse, dans tous les cas.

- Bon. Comme promis, si tu veux partir, tu peux le faire. Mais j'ai une question à te poser.

Le métalosse gardait son œil jaune braqué sur Stegan, sans laisser échapper le moindre grognement.

- Pourquoi t'as combattu ce tyranocif ?

Le métalosse ne bougea pas d'un pouce, continuant de scruter Stegan comme s'il essayait de lire en lui. Puis un halo rosâtre lui enveloppa la tête. Des idées, des pensées, des images apparurent soudain dans l'esprit de Stegan. Des scènes de vie sauvage. Des pokemons en famille, en troupeau. Des maisons humaines animées d'activités familiales. Des routes parcourues par des voitures, des vélos. Et soudain, l'impact d'un ultralaser, retournant la terre, enflammant les arbres. Si cette succession d'images pouvait ne pas avoir de sens au premier abord, le métalosse avait en réalité été très clair. Addy avait mis en danger la quiétude de ces collines. Il fallait l'arrêter.

- Un défenseur désinteressé, hein.

Le halo rosâtre disparut, ainsi que les images. Le métalosse laissa échapper un faible, léger mais profond grondement, en guise de réponse.

- C'est mon boulot. Dans le monde entier. Et j'ai besoin d'éléments solides pour m'y aider. Ca t'intéresse ?

Le regard du métalosse se figea à nouveau sur lui. L'oeil jaune encerclé d'un noir profond de ce pokemon avait quelque chose d'impressionnant, presque d'inquiétant. Pourtant, il ne se dégageait de lui aucune hostilité. Puis, une patte après l'autre, il s'avança en direction de Stegan, jusqu'à se poster juste devant lui. Stegan avait beau être grand, le haut des pattes du métalosse lui arrivait aisément au menton. Il leva la tête, comme pour inviter Stegan à la toucher. Celui-ci posa sa main sur la carapace du pokemon, sentant le contact froid et dur de l'acier.
Soudain, une voix résonna dans sa tête.

- J'ai vu qui tu es. Tu es un grand guerrier, mais aussi un tueur.

Stegan comprenait bien que c'était là la voix du métalosse. Pourtant, il peinait à assimiler cette information. Néanmoins, il comptait bien répondre. Le dialogue serait plus simple ainsi.

- Je m'efforce de ne tuer que ceux qui le méritent.
- Qui mérite de mourir, selon toi ?
- Ceux qui tueront sans discernement, si on ne les tue pas avant.
- Radical, mais juste.

La voix qui résonnait dans sa tête était profonde, mais pas aussi caverneuse que l'apparence massive et bestiale d'un métalosse aurait pu laisser présager.

- Pourquoi me vouloir auprès de toi, toi qui as abandonné tes coéquipiers ?
- Une erreur de ma part. J'ai toujours eu tendance à être excessif.
- Et ma piètre performance face à ce tyranocif mérite-t-elle ton intérêt ?
- Tu l'as retenu assez longtemps pour me permettre d'intervenir. Et surtout, tu t'es battu jusqu'au bout, alors que tu aurais eu tous les droits d'abandonner mille fois. C'est des pokemons de ta trempe dont j'ai besoin. Des tenaces.
- Comme ton hachécateur, hm. Et ce pokemon qui a gagné ton respect par son malheur... Arès. Le dieu de la guerre, rien que cela.
- Il était seul. Au bord de la mort. Et pourtant il s'est battu. Il est ce que j'ai toujours aspiré à être, comme toi.

Le métalosse resta silencieux un bref instant, continuant de jauger Stegan du regard.

- Alors, soit. Mais si un jour tu envisages de te servir de moi pour une cause que je juge injuste, je n'hésiterai pas à me retourner contre toi.
- Je ne demande pas mieux.

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Fuite: