Alors comme ça t'es une boxeuse ? fut la première chose que Ripley lui dit en la voyant passer le pas de sa porte ce matin-là.
Sae prit quelques secondes pour l'observer à sa table de travail. Il y avait un tabouret à roulettes juste quelques pas derrière elle, comme si elle s'était assise puis relevée sans y penser, le tabouret oublié depuis un moment. Elle portait un débardeur beaucoup trop grand pour elle, comme cela avait été la mode quelques anénes plus tôt, ses larges bretelles tombant bas et ne laissant rien à l'imagination tant elles révélaient ses côtes. Le blanc passé du tissu rendait magnifiquement bien sur sa carnation naturellement hâlée. Son pantalon était tout aussi large, sans doute de sécurité, avec plein de poches qui étaient bien garnies pour la plupart.
Sae traça du regard les courbes de ses épaules avec admiration. C'est qu'il y avait à admirer. Sae, qui passait beaucoup de temps à se battre, s'entraîner, ou simplement faire du sport par préférence personnelle, savait admirer une musculature bien définie. Ripley tenait entre les mains un énorme terrarrium qui devait pesait une demi-tonne au bas mot, et les muscles de ses bras et avant-bras étaient tendues comme s'il ne pesait rien. Lorsqu'elle posa le terrarrium sur son plan de travail, le mouvement des muscles sous sa peau fit onduler les tatouages qui parraient ses bras et le haut de son dos. Peut-être descendaient-ils plus bas, mais en l'état elle ne pouvait rien en savoir.

En quelques pas, Sae vint se percher de l'autre côté de son plan de travail pour regarder avec curiosité ce qu'elle faisait en début de journée. Sans relever la tête, Ripley leva son poing fermé en direction de Sae. Sa première réaction fut une stupeur muette, regardant le poing sans comprendre. Ah ! Elle claqua son propre poing fermé contre celui de Ripley avant de se sentir légitimement bête. Comment quelqu'un de plutôt intelligent comme elle pouvait parfois être aussi stupide ? Axou et elle passait leur temps à se faire des checks. Charlie aussi, même s'ils étaient tous plus ridicules les uns que les autres (mais le check meu-meuh !).
Je boxe pas vraiment. Enfin si mais pas que, quoi. En ce moment j'apprends le kung-fu.
Ripley ne leva toujours pas les yeux, mais fit un « mmhm-mhm » d'assentiment. Puis sans crier gare, elle poussa le terrarrium dans sa direction au travers du plan de travail.
Est-ce que tu vois le cheniti ? Il s'est planqué cette nuit et j'arrive pas à le trouver, ce p'tit con.
Surprise devant une telle franchise, Sae fit un bruit disgracieux qui ressemblait salement à un reniflement. Si n'improte qui demandait, elle avait juste éclaté de rire.

Axou ne déconnait pas quand il disait qu'il allait falloir se mettre à niveau. Plusieurs fois dans la journée elle avait dû se rappeler qu'elle n'était pas plus bête qu'une autre. Qu'ils avaient tous plusieurs années de bouteille derrière eux. Qu'ils avaient aussi commencé, un jour. Même Ripley lui avait dit, à un moment. T'inquiète mini-lui, quand Axou m'a proposé cet angle d'attaque pour cette thèse j'ai rien compris pendant une semaine.
« Mini-lui » était devenu un surnom qui ne lui plaisait qu'à moitié. Il faisait clairement référence à Axou, et même si elle voyait bien d'où elle venait... Bah. Elle haussa ses épaules métaphoriques. Elle essaya de se dire que c'était avant tout flatteur.
La fin de la journée la trouva erreintée. Alors, qu'est-ce que t'en penses ? Sae fit rouler ses épaules en arrière, cherchant comment répondre. Franchement ? C'est trop intéressant mais je comprends que dalle. J'ai envie d'aller me défouler tellement je suis frustrée mais je suis à ça du claquage neuronal donc vaut peut-être mieux pas. Ripley dégagea ses cheveux de devant son visage, une moue compatissante au coin de sa bouche.
Tu veux qu'on aille courir ? Ou tu préfères qu'on se mette sur la tronche ?
Personne ne met rien sur la tronche de personne. La voix traînante d'Axou, juste de passage dans le couloir, en disait long sur son état de fatigue à lui aussi. Comme quoi, tout le monde avait ses journées de boulot ; c'était un petit peu rassurant, pour elle qui n'avait jamais vu Axou que lorsqu'il était débordant de curiosité ou d'éxubérance. Oh allez ! lâcha-t-elle plus fort, pour qu'il l'entende du bout du couloir. Elle n'était pas sûre d'accepter l'offre de Ripley, mais ça lui était venue naturellement, le chamaillement comme une seconde nature. Ou la première.
Alors, ça te dit ? J'avais rien prévu mais...
Sae sursauta de la proximité soudaine. À quelques centimètres sur sa droite, Ripley s'était penchée vers elle, un sourire plein de promesse sur son visage. La surprise fit faire quelques soubresauts à son estomacs et elle se sentit rougir d'étonnement. Oh, courir peut-être ? J'me sens trop fatiguée pour autre chose... La vérité, c'était qu'elle était fière et ne savait rien de ce dont était capable Ripley. Et puis, surtout, sans se l'avouer, courir était surtout un terrain sûr.

Bonjour Sae !
Marnie avait vraiment le plus beau sourire du labo, et c'était beaucoup dire tant il était rempli de bien belles personnes. Sae avait à peine posé pied dans la petite salle où Marnie réalisait ses tests qu'elle était déjà assaillie par la fraîcheur de sa voix et la gentillesse de ses mots et l'éclat de son visage. Elle avait déjà remarqué son sourire la veille, mais c'était autre chose de le voir en passant et d'y accorder toute son importance, lorsqu'il était le centre de son interaction. Son sourire prenait toute la largeur de sa mâchoire carrée, et sa langue venait se coincer entre ses dents, juste sous une canine. C'était inhabituel et carrément magnifique.
Bonjour Marnie, Elle avait l'impression d'avoir la voix un peu faiblarde, mais elle ne s'était pas attendue à tant d'affirmation dès le matin. Elle-même n'avait pas particulièrement besoin de caféine pour commencer une journée, mais Marine avait encore été là à travailler hier soir lorsque Ripley et elle avaient plié boutique. Elle s'était attendue à un petit peu plus de fatigue.
Comme si elle lisait dans ses pensées, Marnie releva la tête de sa prise de note. Je te cache pas que je suis encore prise dans mon élan mais cet après-midi je vais sans doute avoir un coup de barre, il faudra peut-être que je te laisse avec Axou ou quelqu'un d'autre, je suis désolée.
Aucun souci. Si je peux aider, dis-moi, c'est avec plaisir. Bon, j'suis là pour ça aussi, mais avec plaisir quand même.
À cela, Marnie rit de bon cœur. Puis d'un petit geste de la main et d'un petit sourire, elle l'enjoignit à la rejoindre à côté d'lele pour lui présenter son travail.
Alors, ça c'est une couveuse, ce sont des œufs de ptiravis. En fait, ce que j'essaye de montrer, c'(est que l'hérédite passe par le...

Il allait définitivement qu'elle aille à la bibliothèque emprunter des livres (ou peut-être qu'ils en avaient spécifiquement au labo) ; mais au moins avoir travaillé hier avec Ripley lui avait donné une partie du vocabulaire spécifique qu'ils utilisaient au labo d'Axou. C'était comme tout : il y avait les termes scientifiques, et puis il y avait le jargon de chacun, qui souvent se retrouvait au sein d'une même équipe.
Marnie semblait porter un soin incroyable à tout ce qu'elle faisait. Avec les œufs des ptiravis bien entendu, bien que d'autres eussent pu les traiter différemment, avec moins de douceur, mais avec tout ce qu'elle entreprenait. Même autour de Sae : elle était directe et efficace, mais tout en même temps extrêmement prévenante et décidément d'une incroyable douceur.
Sae l'adorait un tout petit peu.
Non pas qu'elle n'ait pas adoré Ripley, bien au contraire. Mais elle adorait Ripley comme on adore son copain de classe : elle était drôle et caustique et on pouvait être mal dégrossie autour d'elle. Avec Marnie, cela relevait un petit peu plus de la vraie adoration. Un petit peu. Il y avait quelque chose dans son aura qui la rendait captivante. À deux reprises, elle dû se refocaliser sur ce qui lui était présenté plutôt que seulement sur sa voix et la manière dont elle maniait ses sujet d'expérience.
Au demeurant, ses recherches étaient passionanntes. Le soin n'avait jamais était quelque chose qui attisait sa curiosité, mais Marnie savait le rendre passionnant. Ses postulats étaient également très proches de ceux d'Axou, mais avec une visée très différente. Elle comprenait très bien la place qu'elle n'avait dû avoir aucun mal à se faire au sein de son équipe.


Finallement, Marnie avait trouvé un peu de classement à faire faire à Sae lorsque son coup de barre lui était fatalement tombé dessus. Attends, je reviens. Quelques minutes plus tard, elle revenait un petit peu essoufflée, poussant devant elle un fauteuil qu'elle avait vu dans le hall du labo. Comme ça je peux rester avec toi. Désolée d'avance si je me mets à somnoler. Elle avait dans la main une tasse de thé qui avait l'air brûlant. Aucun problème pour moi, repose-toi.
Marnie s'installa, à moitié dans le passage de la porte, mais personne n'était particulièrement attendu. Elle s'assit en travers du fauteuil, les pieds par-dessus l'accoudoir, prête à siroter son thé. Alors comme ça, t'as laissé Ripley boire toute seule hier ? L'air soudainement effrayé de Sae dû avoir quelque chose de profondément comique, vu comme Marnie se mit à rire. T'inquiète, t'inquiète ! C'est une grande fille, si elle veut boire des bières toute seule, elle fait ce qu'elle veut ; et puis elle n'est pas mauvaise pour trouver de la compagnie. Je disais ça pour faire la conversation. Et puis c'est bien que tu saches dire non, ici tu verras, on est tous un peu des forts caractères. Sauf Kaidan, c'est un amour. Bon, il sait ce qu'il veut aussi, mais c'est le plus calme d'entre nous. Isley est calme aussi, mais avec beaucoup plus de potentiel à monter en puissance.
Là encore, Sae était abasourdie par le ton de sa voix, sa manière de porter à chacun de l'attention. Il y avait quelque chose dans son regard, même alors qu'elle bâillait à s'en décrocher la mâchoire, qui en disait long sur l'affection qu'elle portait à ses collègues. Ben, euh, d'ac. Une fois de plus, Marnie rigola. Sae devait passer pour une jeunette un peu simplette.
Marnie se tortilla un peu dans le fauteuil, comme pour se rendre plus confortable, et déposa sa tasse à présent vide sur le sol. Non mais... tu vas être bien ici, je le sens. Un bâillement. Désolée je... je m'endors. Mais tu vas être bien, t'inquiète. Incertaine quant à la réponse à donner, Sae se contenta de sourire un peu, secrètement ravie, et continua de classer les fiches qu'elle avait dans les mains.

Sae halète en s'extirpant de la porte tambour. Elle est un petit peu en retard, mais elle ne pense pas qu'Alec lui en voudra. Il pousse l'attitude de rockeur assez loin, et ça a l'air de passer aussi par le côté "c'est pas très grave les règles". En même temps, au labo, il n'y a que peu de règles qui sont inscrites dans le marbre. Y a les règles de sécurité ; celles-là tout le monde est catégorique dessus (et c'est tant mieux). Y a aussi la règle que, grosso modo, on écoute Axou et qu'on se fait confiance (grosso modo, c'est pour la partie avec Axou, Sae est très forte pour faire comme tout le monde est ne pas vraiment suivre les règles). Le reste, c'est globalement tranquille, tant que tout le monde respecte sa part du contrat. En gros, de son contrat.
Ah te v'là. Cool, je t'attendais presque plus. Choppe-moi le tank juste ici, c'est pour les guérilandes qui vont arriver du refuge demain. Non, l'autre, le plus gros.
Sae s'exécute, sans trop savoir où donner de la tête entre le fait qu'elle a couru, la soudaineté de la demande, l'incompréhension un peu, et puis le ton sarcastique. Heureusement que ce n'est pas leur première rencontre parce qu'elle serait déjà mi-morte de honte mi-un peu énervée, en vraie.
Mais non, le ton cassant d'Alec était toujours contrebalancé d'un petit sourire un peu narquois, et ses reproches étaient très, très souvent des compliments bien déguisés. Ou pas assumés. Clairement, pas les plus sympas. On apprenait à s'y faire ; il n'était jamais réellement blessant.
Merci p'tite tête, fit-il en lui tapotant la tête. Puis, voyant son air outré : Quoi, tu préfères mini-lui ? R'marque, ça m'va aussi bien. Il ricana, mais sans méchanceté.
Pfff, ni l'un ni l'autre, sérieux. C'est pour quoi, les guérilandes ?
Grosse tactique de diversion, elle était au courant. Mais écoutez, elle faisait de son mieux après une panne de réveil et une course au milieu d'Illumis. Ce qui, rappelons-le, veut également dire une course au milieu des cabriolaines.

La journée passa beaucoup plus tranquillement qu'avec Ripley. Ce qui étonna relativement Sae : elle s'attendait à ce qu'Alec soit du genre un peu rockstar, à toujours faire du bruit, à se plaindre, à être un peu insupportable. Et Sae en connaissait un rayon, sur le côté insupportable. Elle avait d'ailleurs été un peu inquiète que leurs insupportables à chacun ne matchent pas. Ça aurait vite été compliqué hélas ; heureusement qu'elle ne comptait vraiment pas particulièrement travailler dans le champ de connaissances d'Alec.
Non, en fait, ce fut aussi calme que la veille, quoi que beaucoup plus stimulant. Non pas que Marnie soit plus bête ou moins intéressante ; simplement, après avoir passé la matinée à lui expliquer tout ce qu'elle faisait, Sae était passée au classement. Là, Alec l'impliquait dans tout ce qu'il faisait. Il lui posait des questions sur absolument tout ce qu'ils faisaient, même quand il était évident qu'elle n'avait pas le niveau requis. Cela mettait en exergue tout ce qu'elle ne savait pas. C'était un petit peu gênant, mais c'était un peu cool, d'une certaine manière, de ne pas se sentir maternée. Alec fronçait les sourcils ou grognait un peu quand elle ne savait pas, mais il passait ensuite beaucoup de temps à lui expliquer, en détail. Il l'enjoignait à poser beaucoup, beaucoup de question. Et Sae, qui n'avait jamais été particulièrement douée pour tenir sa langue, avait arrêté de se retenir. Elle posait toutes les questions (toutes les questions).
Pour le reste, par contre, il ne parlait, ne bavardait vraiment pas. Quand on parlait de toutes les questions, Sae avait essayé de discuter, d'échanger sur d'autres choses que le boulot. Il répondait, un petit peu comme pour le reste, par le strict nécessaire tant que c'était assez pour qu'elle comprenne. Ce n'était même pas fait méchamment, ça semblait juste être son mode de fonctionnement. Sae était sûre qu'elle allait vite trouver cela réconfortant, cette certitude trouvée dans la simplicité de l'échange.
Allez mini-lui, tu peux remballer et rentrer chez toi si tu veux. T'es avec qui demain ?
Il n'avait pas levé les yeux du spododo qui avait pris racine dans la serre sous ses yeux. Euh, Zineb je crois.
Ah, la sorcière. Tu m'diras c'que tu penses de ses recherches tiens. J'trouve que c'qu'on fait dans la serre ça tient bien plus à la magie que c'qu'elle fait, mais quand j'lui dis elle me tape, et alors j'suis obligée de la taper aussi. Bref, après c'est compliqué. Elle est top, tu verras.
C'était la plus longue réplique qui ne parlait pas de thigmonastie ou de mimétisme qu'il lui ait adressé. Sae se redressa de là où elle s'était penchée pour refermer son sac, prête à quitter l'atmosphère douce mais un petit peu étouffante de la serre.
Elle dû mettre un instant trop longtemps à répondre car Alec se passa une main sur la nuque et dans les cheveux, l'air presque nerveux. Bon ben. J'espère que t'as passé une bonne journée en tout cas, qu'tu t'es pas trop ennuyée. Est-ce que t'as besoin que je te raccompagne ou t'es grande assez ?
Autant elle avait pu cerner Ripley sans trop de mal, et Marnie encore plus aisément, autant Alec était encore un petit peu une énigme, dont elle ne faisait que l'ébauche. Heureusement qu'Axou l'avait embauchée comme stagiaire, et pas comme psychologue de bord. En tout cas, il vérifia qu'elle n'avait pas besoin de passer par les ruelles foireuses de la capitale ou bien d'user d'une ligne de métro craignos. En se séparant, à la porte du labo, elle lui fit un grand sourire. Il était difficile à déchiffrer, sans doute encore plus de se rapprocher de lui mais... Il respirait la personne fiable. Oui, c'était étrange, venant d'une personne qui faisait tout pour se faire passer pour un bad boy. C'est juste que, voyez-vous, il le faisait plutôt mal.