___La moitié du chemin.
___Tu l’avais dépassée.
___C’était encore difficile à croire, à admettre, mais tu étais désormais bien loin de tes premiers pas, dans l’arène de Violette. Loin de Nevartault, loin du badge coléoptère. Comme pour t’assurer que ce n’était pas qu’une illusion, que tu ne venais pas de faire un rêve de plusieurs mois, tu ouvres l’écrin qui contenait tes badges. Ils sont bien là, tous les quatre. Obtenus à la sueur de ton front et à celle de tes pokémons.
___Tes pokémons.
___Tu jetas un regard circulaire autour de toi. Ils étaient tous là. Absol, Ekhi, Nymée, Krital, Olun et, le dernier venu, Ryuko. Absol, Galifeu, Elecsprint, Vibraninf, Chevroum et Croâporal. Depuis ton dernier badge, à Port-Tempère, Nymée et Olun avaient évolué. Nymée était alors devenue plus que jamais un pokémon maman avec tous les autres, et Olun t’avait laissée monter sur son dos. Tu n’avais plus payé de taxi depuis plus de deux semaines grâce à elle, et votre symbiose te remplissait de joie.
___Vous occupiez la chambre d’hôtel d’Illumis que tu avais réservé juste après un appel à Cassandre. « Je suis prête pour mon cinquième badge Cassy. » Pas un « allo », pas un « salut », juste cette phrase. Et ton cousin qui t’a demandé quand, toi qui a répondu la semaine prochaine. Et te voilà. A l’heure qu’il était, il devait sans doute encore dormir, d’un sommeil bien plus reposant que celui qui t’avait réveillée toutes les heures.
___Etais-tu réellement prête ?
___Les relents du doutes s’étaient insinués en toi la veille, lorsque tu étais arrivée à l’hôtel. Après tout, ta victoire à Port-Tempère avait été plutôt serrée, bien plus que les précédentes. Bien sûr, le challenge était en train de se complexifier ; mais n’était-ce pas également toi qui n’étais plus au niveau ? Tu serras les draps sous tes doigts. La chambre était luxueuse, le tissu soyeux, mais tu ne ressentais que le froid hivernal de l’incertitude sous ta peau. Tes certitudes menaçaient de se fêler légèrement.
___Absol se glissa jusqu’à toi et appuya son visage sur ta main. Ses yeux vairons braqués sur les tiens, elle respirait un calme doux si authentique qu’il en était presque palpable. Tu étais encore en pyjama, les cheveux ébouriffés, ta lentille dans son produit. L’or et le saphir de ton regard, ce naturel brut que tu cachais constamment rencontra le rubis et l’émeraude taillés dans celui d’Absol.
___L’ombre du doute s’écarta peu à peu.
___Sans avertissement, tu te laissas tomber sur ton pokémon. Si elle sursauta légèrement, elle se laissa faire avec plaisir lorsque tu commenças à la dorloter avec amour. Tout autour de vous, les autres se hissèrent eux aussi sur le lit, même ton Vibraninf pourtant souvent réservé. Seule Olun dut se contenter de monter deux sabots, bien trop imposante et lourde, même pour un lit d’une telle envergure. Tu pris le temps de les cajoler les uns après les autres, puis tous à la fois. Ekhi s’assit à côté de toi en tailleur, la tête appuyée contre ton épaule, Nymée se lova entre tes jambes après y avoir tourné sur place plusieurs fois, Absol s’appuya contre la partie de cuisse qu’il te restait, Ryuko grimpa de ton dos sur tes épaules et Krital s’accrocha de ses pattes à ton bras encore inoccupé. Tu n’eus plus qu’à poser ta main contre la tête contre le matelas d’Olun pour que tous soit contre toi, dans un étrange mélange bien plus réconfortant que lourd. Ton cœur tambourine à tes oreilles.
___Tes pokémons venaient de te rappeler que tu n’étais pas seule. Tu le savais bien, et s’il y a bien une chose que tu n’avais jamais ressenti depuis ton départ du manoir, c’était la solitude. Mais ils te rappelaient aussi que tu n’étais pas seule dans le doute. Et une autre chose ; que tant que vous étiez ensemble, tout irait bien. Pas que la victoire était assurée, non, loin de là. Que quoi qu’il arrive, victoire ou défaite, ils étaient toujours là. Tant qu’ils l’étaient, tu pourrais recommencer, réessayer. Ne pas réussir n’était pas la fin du chemin.
___De ce chemin que tu avais eu tant de mal à atteindre et que tu ne quitterais aujourd’hui pour rien au monde.

___Le soleil était encore en train de se lever lorsque tu quittais finalement la chambre d’hôtel. Absol était la seule à te suivre, tes autres pokémons retournés dans leur pokéball pour se reposer encore jusqu’au le moment de vérité. Le vent frais de l’automne refroidit tes joues et tu resserras l’écharpe contre ton cou. D’un bon pas, tu t’engageas dans la rue en direction du café le plus proche.
___Du moins, c’est ce que tu t’apprêtais à faire, mais tu te figeas aussitôt, coupée dans ton élan. Ses cheveux châtains clairs éternellement en bataille malmenés par le vent, son regard mordoré éclatant, Cassandre t’observait d’un air tranquille. Il était appuyé contre un lampadaire tout juste éteint avec l’aube qui avait percé l’obscurité matinale pendant que tu t’habillais, et, cela ne faisait pas le moindre doute, il t’attendait.
___Un sourire en coin t’accueillit.
___Absol, visiblement moins décontenancée que toi, ne tarda pas à se précipiter vers ton cousin pour le saluer. Il flatta son pelage avec affection et chaleur mais son regard ne te quittait pas. Tu finis enfin par retrouver l’utilisation de tes jambes, suffisamment pour marcher à ton tour jusqu’à lui et ton pokémon, un air éberlué toujours accroché à ton visage.

« Qu’est-ce que tu fais ici ? »

___Le rire qu’il laissa échapper sans chercher à le retenir résonna avec force dans la ruelle. La situation l’amusait visiblement au plus haut point ; si une chose ne t’étonnait pas, c’était bien cela. Il était toujours fidèle à lui-même.

« Mais je suis là pour t’encourager princesse, tu devrais le savoir depuis le temps. Et je comprends que ton voyage te tient assez loin du monde aristocratique pour que tu en sois soulagée, mais est-ce au point d’en oublier même la politesse de dire bonjour ?
-Bonjour Cassy. Je parlais de là, là, ici, maintenant. Comment as-tu trouvé l’hôtel ? »

___Nouveau rire. Chaud et plein de joie, empli de vie. Ce rire de Cassandre que tu aimes tant. Unique.

« Tu as donné notre nom à l’hôtel, sans compter que je connais tes goûts et tes habitudes. Ce n’était guère difficile de te retrouver. »

___Cette fois-ci, c’est toi qui laissa échapper un petit rire amusé, bien plus retenu que le sien. Décidément, ton cousin était doué pour être là aux meilleurs moments. Presque comme un ange gardien qui saurait exactement quand tu aurais besoin de lui. Preuve en était que la pression sur tes épaules se faisait déjà plus légère.
___Tu lui souris enfin d’une expression lumineuse et ouvre tes bras en grand pour réclamer une embrassade.

« Tu as de la chance que je te connaisse si bien, j’aurais peur de tant d’effort pour me retrouver sinon. Et arrête de faire comme si tu étais réellement cet être plein de beau parler et de manière, Monsieur Je-Corrige-Tes-Mauvaises-Manières. »

___Son expression se fit plus chaude encore, alors même qu’elle ne semblait pas pouvoir l’être davantage, et il laissa enfin retomber le masque de sa blague. Son sourire en coin se fendit en un éclat de rire tandis qu’il te prit dans ses bras, te soulevant du sol grâce à sa seule taille. La scène ne tarda pas à dégénérer en un fou rire général quand Absol décida de s’en mêler pour réclamer elle aussi sa part, à moins qu’elle ne tentait faussement de te défendre ou de jouer, ou un peu des trois à la fois. Quand enfin ton cousin te lâcha, tu te sentais revigorée, poussée par le soutien sans faille qu’était Cassandre. S’il était à Illumis aujourd’hui, c’était sans doute pour toi, pour t’encourager. Comme à chacun de tes matchs d’arène. Il le faisait depuis le début, après avoir insisté pour que tu l’appelles chaque veille de match pour le tenir informé. Si tu avais été surprise lorsque tu l’avais vu dans les gradins de l’arène pour ton premier badge, sa présence était devenue une plaisante habitude. Peut-être même trop, mais tu étais alors trop jeune et trop insouciante pour le comprendre. Trop dépendante de trop de chose, aussi.

« Bon, dis-tu finalement une fois l’agitation retombée, tu peux m’expliquer maintenant ce que tu fais si tôt ici ? Même si tu as trouvé mon hôtel, pourquoi est-ce que tu es déjà là ? Je t’ai dit que je n’irai pas avant la fin de matinée à l’arène… Tu n’as quand même pas pris un train de nuit, non ? »

___Etonnamment, le visage de ton cousin se referma au fil de tes questions. C’était quelque chose dont tu avais si peu l’habitude que ton non ? se termina sur un filet de voix. Que lui arrivait-il soudainement ? Prise au dépourvu, tu le fixas sans comprendre et incertaine. Il finit par détendre les traits de son visage sous ton inquisition et poussa un soupir. L’ombre d’un sourire revint sur ses lèvres.

« Viens, allons manger quelque chose. »

___Il avait mis de l’enthousiasme dans sa voix et te tendait le bras pour que tu prennes son coude, mais tu sentis l’inquiétude ronger tes entrailles.
___Cassandre n’était pas quelqu’un qui se cachait derrière l’ombre d’un sourire.

___Absol se collait entre ton cousin et toi, heureuse de le revoir. Elle a toujours été extrêmement attachée à lui, et tu te demandais parfois pourquoi ; avait-elle conscience du rôle qu’il avait joué dans son lien avec toi ? Sans lui, jamais tu n’aurais réussi à convaincre tes parents, du haut de tes neuf ans, que tu pouvais t’occuper d’un pokémon. Ou même simplement les convaincre de laisser l’un d’entre eux fouler de ses pattes le sol du manoir familial. Les habitudes maniaques de ton père n’ont cédé que face au charme que lui a fait ton cousin et la promesse qu’il s’occuperait d’Absol s’il venait à ne plus la supporter. Heureusement, il n’a jamais eu à respecter cette promesse. Une chambre au rez-de-chaussée était libre, et tu l’avais prise pour qu’Absol puisse passer de l’extérieur à l’intérieur comme elle le souhaitait depuis cette pièce, sans avoir à circuler dans le manoir. Ainsi, tu avais évité de nombreux problèmes ; faire le ménage dans ta chambre suffisait. Sans compter qu’Absol était, comme beaucoup de sa race, extrêmement soignée, ce qui ramenait la propreté à n’être qu’une affaire d’aspirateur la plupart du temps. Les Absol détestent avoir la moindre saleté pour tâcher leur poil immaculé, c’est Cassandre qui l’avait su et qui l’avait présenté comme l’un des arguments donnés à tes parents. Tu l’entendais encore le dire : Si déjà prendre un pokémon, autant en prendre un qui déteste être sale. Pas de saleté, pas de problème. Vous ne le remarquerez même pas ! Tu te souvenais encore du tapis que tu avais acheté pour l’étendre sous ta fenêtre afin qu’elle puisse se nettoyer les pattes ou qu’elle t’y attende pour que tu l'y aides.
___Accepter un pokémon au manoir n’avait pas été une mince affaire, mais grâce à Cassandre, tu y étais parvenu. Comme beaucoup d’autres choses, en réalité. Tu n’aurais jamais réussi à grandir épanouie malgré le monde aristocratique dans lequel tu ne te sentais plus à l’aise depuis que tu étais pré-adolescente, jamais, sans Cassandre. C’était lui qui t’avait aidé à garder le sourire dans les pires moments, à ne pas te laisser écraser par l’oppressant monde dans lequel tu avais évoluée et quel tu étais destinée malgré toi.
___Cassandre t’avais sauvée. En retour, tu le connaissais sans doute mieux que n’importe qui, mieux que sa sœur, mieux que son père. C’était quelque chose qui, dans ton esprit encore adolescent et solitaire, t’importait, sans doute un peu trop. Cependant, c’était aussi une bonne chose. Savoir que quelqu’un comptait autant pour toi et que tu comptais tant pour lui te rendait plus sûre de toi, plus aventurière. Tu serais sans doute rester dans la routine et tu aurais abandonné ton rêve de partir à la conquête des badges, sans lui. Ce point aussi, tu le devais à ton cousin.
___Alors il t’aurait fallu être aveugle pour ne pas voir que quelque chose le tracassais. Alors qu’Absol trottinait joyeusement à côté de lui, tu jetas plusieurs coups d’œil vers ton cousin. Des coups d’œil silencieux. Parce qu’il marchait sans un mot. Quelque chose n’allait pas. Au moment où tu ouvris la bouche pour dire quelque chose, il te devança.

« Alors, qu’est-ce que tu veux manger ? Plutôt petit-déjeuner Kalossien ou Kantôien ? On trouve de tout à Illumis. »

___Son sourire était pâle. Que te cachait-il ?

« S’il y a de tout… Hoennien, t’en pense quoi ? »

___Tu eus toutes les peines du monde à ne pas montrer ton inquiétude. Tu savais que Cassandre était capable de lire en toi comme en un livre ouvert, et ce malgré ton éducation dans la haute société qui t’avait apprise à rester de marbre. Il savait lire dans le moindre changement d’intonation, connaissait bien trop la mélodie habituelle de ta voix pour rater toute inflexion. Tu te mordis l’intérieur de la joue. S’il remarqua quelque chose, il ne dit rien et se contenta de sourire.
___Toujours ce sourire chancelante.
___Il sortit son portable de sa poche et s’occupa de rechercher un restaurant faisant des spécialités d’Hoenn ouvert ce matin. Celui-ci trouvé, vous vous mîtes en route. Le silence se brisa et, le poids sur tes épaules se fit plus léger. Il ne s’effaça pas pour autant. Il y avait définitivement quelque chose d’étrange avec Cassandre ce matin, et tu comptais bien comprendre quoi.
___Une fois arrivés, quelques dizaines de minutes plus tard, un serveur vous indiqua une place tranquille dans le restaurant peu bondé. Tu t’assis face à Cassandre, prête à l’interroger sans trop savoir exactement comment tu comptais t’y prendre.
___Aussi te prit-il de court en prenant lui-même la parole, à peine votre petit déjeuner commandé.

« Tu sais, ma mère… Ça fait dix ans aujourd’hui. »

___Les traits de ton visage se decomposèrent en quelques secondes tandis que les mots de ton cousin firent perdre à ton visage toute couleur. L’anniversaire du décès de la mère de Cassandre et Diane. Tu connaissais cette date, pourtant, mais cela faisait bien longtemps que tu avais perdu le compte des jours, que tu n’y faisais guère plus attention. De là à ne pas remarquer que cela faisait dix ans aujourd’hui…
___Tu pinças les lèvres, offrant à ton cousin un bien piètre tableau.

« Pardon Cassy, je… »

___Il t’interrompit d’un geste de la main.

« Tout va bien princesse. Je ne suis pas là pour te blâmer. Tu l’as à peine connue. »

___Tu secouas la tête, peu convaincue et indignée par ta propre tête de passerouge. Il est vrai que tu n’avais pas encore six ans quand elle avait quitté ce monde, et tu ne l’avais pas vu à beaucoup de reprise, occupée que tu étais avec l’éducation déjà stricte imposée par ta famille. Le seul souvenir qu’elle t’avait laissé était celui d’une belle et grande femme, bien que tu ne pourrais jamais savoir s’il ne s’agissait que d’une impression dû à ta jeunesse ou d’un fait, et d’une aura de gentillesse. Tu savais cependant depuis qu’en réalité c’était une personne capable de s’enflammer très facilement, surtout pour protéger ceux qu’elle aimait, et que sa bienveillance n’avait d’égal que son tempérament de feu. Cassandre avait, parait-il, beaucoup hérité d’elle dans son caractère. Et il avait son nez et ses yeux.

« Peu importe, tu sais bien que je tiens à être avec toi pour ce jour ! Et nous avions dit que nous irions la voir… »

___La culpabilité te tordit le ventre, si fort que, alors que votre petit déjeuner était déposé devant vous, tu te sentais incapable d’avaler quoi que ce soit. Tu regrettais qu’Absol soit de retour dans sa pokéball selon la politique du restaurant ; tu aurais aimé pouvoir perdre ta main dans son long pelage de neige pour te rassurer. Même si le sentiment qui t’étouffe serait impossible à effacer.
___Comme s’il sentait ton malaise, et sûrement bien parce qu’il le ressentait, ton cousin posa ses longs doigts fins sur le dos de ta main. Tu serras les dents. Ce n’était pas lui qui était censé être là pour toi !

« Je suis vraiment désolée Cassandre, je… »

___Tu t’interrompis, sans vraiment savoir ce que tu pouvais bien trouver de suffisant à dire pour exprimer ton malaise. Tu aurais presque envie qu’il te coupe cette fois pour ne pas chercher en vain des mots qui ne venaient pas. Mais il te laissait parler. Quand tu compris que c’était parce qu’il ressentait ton besoin de le faire, ton besoin de te confondre en excuses, ce fut trop. Trop de gentillesse, trop de présence de la part de ton cousin, trop d’air conciliant, trop d’attention. Tu as oublié combien ce jour était important pour lui et te voilà à recevoir toute sa bienveillance.

« On va y aller. »

___Cassandre haussa un sourcil.

« Au cimetierre. Aujourd’hui. »

___A ces mots, son expression prit un air incertain. Et tu l’aperçus. Il était extrêmement fugace, si rapide que tu l’aurais raté si tu avais cligné des yeux à cet exact moment. Mais une lueur s’était allumée dans son regard d’or, et tu aurais pu jurer qu’il s’agissait d’un éclat d’espérance. Ou, du moins, d’intérêt. Et d’amour.

« Mais… C’est à Romant-sous-Bois. Et ton match ? »

___D’un haussement d’épaule, tu rejettes la question.

« Il attendra. Le champion ne va pas s’envoler, et tu es le seul à savoir que je comptais me rendre à l’arène aujourd’hui, parce que je t’ai prévenu. Rien ne me retient. »

___Pause.

« Cassandre… Je veux vraiment y aller. »

___Heureusement, il n’insista pas. D’un hochement de tête, il accepta ; cela n’en disait que davantage sur son état émotionnel réel. Le connaissant, s’il avait été réellement serein que tu te rendes au match d’arène aujourd’hui, il aurait bien plus insisté, il se serait presque battu pour que tu y ailles quoi qu’il en soit. Il n’aurait peut-être même pas évoqué le triste anniversaire, même si cela ne t’aurait que davantage culpabilisée. Non, pour qu’il consente ainsi, c’est bien que dans le fond, il en avait besoin. Une vague de compassion et de chagrin s’écrasa sur toi. Tu passas ta main par-dessus la sienne pour, cette fois, lui serrer la sienne avec force.

« Comment est-ce que tu te sens ? »

___Cassandre ne montrait jamais ses faiblesses devant toi. Il ne les montre jamais, aujourd’hui encore. Il se cache derrière un sourire, esquive les questions, masque ses émotions, les enterre sous son assurance et son éternel détachement.
___A ta question, ses yeux brillèrent. Il cligna des paupières, plusieurs fois.
___Instinctivement, tu te levas, et deux pas plus tard, tu serrais ton cousin dans tes bras, de toutes tes forces.

« Elle me manque… »

___La voix, si étouffée que ce n’était qu’un douloureux murmure, fit perler des larmes au bord de tes paupières. Cassandre vulnérable, Cassandre en deuil, Cassandre désespéré ; ce n’était pas quelque chose que tu connaissais. Même lors des autres anniversaires du décès de sa mère. Peut-être était-ce là l’effet que dix ans d’absences faisait ; peut-être était-ce là la profondeur d’un manque qui jamais ne pourrait être comblé.

« On va aller la voir Cassandre. Tous les deux. »

___Vous êtes restés ainsi un moment, sans en avoir que faire du regard interrogateur des autres personnes autour de vous. Tu ne lâchas Cassandre qu’après l’avoir senti se détendre, et sa respiration redevenir lente et régulière. Une fois de retour à ta place, tu regardas vers lui. L’amour et la reconnaissance que tu pus lire dans ses yeux furent tel que tu eus du mal à ne pas fondre en larmes. Tu serras une dernière fois la main de ton cousin, que tu avais gardé dans la tienne, avant de la relâcher.

« Par contre, repris-tu avec moins d’assurance et la voix plus cassée que tu n’espérais, il va falloir manger d’abord. Je ne pense pas que ta mère apprécie que tu arrives le ventre vide, et moi non plus je n’apprécierais pas. »

___Un sourire te répondit, mince, humide, mais sincère. Tu inspiras profondément. Tu t’occuperais de ton badge plus tard. A cet instant, tout ce qui comptait, c’était Cassandre. Tu avais sacrifié et risqué beaucoup en te lançant dans ta quête des badges ; mais pour Cassandre, même à mi-chemin sur le sentier vers la réussite, il n’y avait pas d’entre-deux.

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