Le lit portait toutes les traces d'une nuit d'insomnie avec ses draps partant dans tous les sens. Sous un coup de colère, un oreiller avait été utilisé comme projectile contre un mur, entraînant avec lui un poster mal accroché qui gisait désormais sur le sol. Un autre avait perdu sa taie et le dernier, le plus chanceux, se trouvait toujours sous la tête de Sandro. Au milieu de la nuit, celui-ci s'était levé pour aller ouvrir les rideaux car il en avait assez de l'obscurité ambiante. Ils dansaient un peu grâce à la brise marine alors que, dehors, l'aube arrivait enfin. Avant l'accident, le brun n'avait jamais eu l'âme d'un noctowl. Il ne pouvait pas non plus se le permettre si il voulait respecter ses engagements sportifs. Entre les cours, les deux entraînements avec l'équipe, et le temps passé à la salle de sport, il n'était pas question de manquer de sommeil ou de perdre la moindre minute. Comme les choses avaient changées... Désormais, il suffisait d'un rien pour qu'il ne trouve pas le sommeil et passe une nuit comme celle-ci, pleine de nervosité et de pensées bourdonnantes. Une chose avait néanmoins changé cette fois-ci : ses idées n'avaient pas été sombres. Si le sommeil n'était pas venu, c'était parce qu'il réfléchissait sérieusement à cette idée offerte par Jack dont il avait ensuite parlé avec Emy. Depuis son retour de la clinique, leurs mots flottaient dans sa tête et il s'était résolu à prendre un semblant de contrôle. Il le savait, une décision devait être prise ou il ne retrouverait jamais sa tranquillité toute relative.

Et cette décision avait belle et bien été prise, presque deux heures plus tôt. Depuis, il n'avait fait qu'attendre de voir le ciel se parer de quelques touches orangées pour passer à la suite. Se retenir jusqu'ici avait déjà été compliqué, il avait dû lutter contre l'envie de dégainer son téléphone à plus d'une reprise pour partager l'information. Il ne pouvait tout simplement pas rester seul avec ce grand projet.

Rah et puis merde.

Sandro se redressa brusquement et tâtonna les draps jusqu'à dénicher son portable. Il trouva rapidement le nom de Jack dans le répertoire et écouta les premières tonalités. L'appel faillit presque basculer sur la messagerie, mais, heureusement, son ami décrocha.
Il lui ne lui laissa pas l'occasion d'en placer une.

Ce serait quoi la première étape ?
Uh ? Sandro ?

Jack avait la voix rauque et il traînait ses mots, son cerveau encore dans les brumes. Il y eut un peu de bruit à l'autre bout du fil, ainsi qu'une autre voix, plus plaintive (Tiana sans doute), avant qu'il n'enchaîne.

Vieux, il est 5h du mat'.

Il s'agaçait un peu, mais Sandro le devina en train de bouger pour quitter la chambre et éviter de déranger sa petite amie plus longtemps. Jack était comme ça, toujours présent pour les potes, mais il restait soucieux de sa chère et tendre.

Je veux t'appeler depuis 3h.
Wah, merci pour ta sollicitude.

Il avait raillé un peu, à juste titre grognon d'avoir été arraché au sommeil si tôt. Sandro espéra tout de même qu'il ne devait pas bosser aujourd'hui. Dans tous les cas, il s'en voudrait plus tard, lorsque l'adrénaline serait retombée. Sans doute après qu'il ait dormi quelques heures aussi.

Donc, étape une ?
De quoi tu parles ?
Le Tour des Îles.

Sandro l'avait déclaré comme si il s'agissait d'une évidence et que deux semaines ne s'étaient pas écoulées depuis cette fameuse conversation. Entre temps, Jack avait eu le temps de se faire virer et de déménager. Le sujet n'avait jamais été remis sur le tapis.

Il y eut un long silence.

J'pensais pas que t'y réfléchirais vraiment.

Dans le fond, une machine à café s'était mise en route. Le brun décida de s'en inspirer et quitta enfin sa chambre, parcourant le chemin jusqu'à la cuisine sur la pointe des pieds pour s'assurer de ne réveiller personne. La dernière chose qu'il souhaitait était bien que son petit projet soit découvert trop tôt par sa mère. Avec sa sœur, il pourrait négocier, mais elle avait le sommeil lourd si typique d'une adolescente de toute façon. A moins qu'elle n'ait des oreilles bioniques dès qu'il s'agissait de lui créer des emmerdes, ça, il aurait pu le croire.

Appuyé au comptoir, il se lança à son tour dans la préparation d'un café et chercha ses mots. C'était con à dire mais, malgré ses heures d'attente, il n'avait pas réfléchi aux détails.

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La discussion avait rapidement été déplacée vers l'extérieur. Une fois l'amertume du café un peu cassée par un cube de sucre, Sandro s'était emparé de sa tasse avant de faire coulisser la baie vitrée pour profiter des premiers rayons du soleil. Il pourrait aussi parler plus librement de cette façon. Les pieds nus, il avait traversé quelques mètres de palmiers pour déboucher sur la plage où il s'installa. Le sol était encore frais et mouillé de rosée mais il n'allait pas se plaindre pour si peu. Il prit une lente gorgée, s'efforçant de ne pas trop faire attention à la morsure du liquide brûlant. Il aurait été plus intelligent d'attendre un peu, de laisser le temps et la fraîcheur matinale faire son œuvre, mais il aimait cette impression. C'était un plaisir un peu masochiste sur les bords. Beaucoup de choses avaient une limite très fine entre douleur et plaisir, si on réfléchissait deux minutes.

J'ai pas eu trop le choix, souffla-t-il, un peu de lassitude teintant sa voix. Je le voulais pas au début. J'avais peur du changement que ça apporterait, t'sais. Mais ça revenait, encore et encore. Je me suis dit que la seule façon de pas péter un câble, c'était de lui donner une chance, à cette réflexion. On en est là. J'crois que je veux tenter.

Maintenant qu'il avait offert au monde ses pensées, il ne serait plus question de reculer. La pression des paires pouvait avoir de bons côtés si on ne lui laissait pas prendre trop de place. Heureusement, ce n'était que Jack. L'idée n'était pas de diminuer son importance, bien au contraire. L'autre jeune homme avait toute sa confiance et il avait cette façon de voir les choses qui n'effrayaient pas Sandro. Elle ne lui donnait pas envie de fuir à l'autre bout de l'île ou de raser les murs dès qu'il allait à certains endroits, de peur de croiser une connaissance plus problématique.

A l'autre bout du fil, Jack resta silencieux quelques instants. Le premier son qui brouilla le calme de la communication fut une sorte de soupir amusé. Malgré les kilomètres qui les séparaient, Sandro pouvait sans mal imaginer son ami, attablé dans une cuisine qu'il n'avait jamais vu, les cheveux encore tout ébouriffés par le sommeil, la gueule pas très bien réveillée, et un sourire qu'il devait caché derrière la paume de sa main sur laquelle il s'était appuyé.

J'suis content pour toi, mec.

Il y avait une tendresse particulière dans sa voix, aussi le brun n'eut aucun mal à le croire. Il se sentit sourire à son tour avant qu'une grimace ne prenne le dessus lorsqu'il porta à nouveau le mug à ses lèvres.

T'emballe pas trop.

Parfois, il avait encore cette pudeur lorsqu'il s'agissait d'exprimer ses émotions, surtout lorsqu'elles étaient liées de près ou de loin à l'accident.

Il se racla la gorge un peu bruyamment, comme pour se débarrasser de la gêne qui prenait un peu trop de place là. Donc, étape une ? Jack laissa échapper un son de gorge, pensif. Faut que tu t'inscrives. C'est un peu officiel, mais pas vraiment de la paperasse. Puis, tu vas avoir besoin de pokémons. T'as que Nana, c'est ça ? Sandro acquiesa avant de se souvenir qu'il était un peu con à hocher la tête quand son ami ne pouvait pas le voir. Ouais. C'est même pas vraiment mon pokémon. Ca c'est plus fait comme ça ? Je suppose qu'elle est au nom de ma mère. Je sais même pas si ça la tenterait de se battre vu qu'elle traîne pas avec sa meute pour faire le boulot avec eux. Maintenant qu'il y pensait, il n'avait jamais vu la petite chienne utiliser une attaque. Pourtant, cette race était connue pour son amour du combat et une volonté de se dépasser.

Tu peux demander un starter alors. C'est toujours le mieux quand tu débutes dans le dressage. C'est pas que pour les gamins ? Nah, tout le monde y a droit. Y a pas d'âge pour commencer, faut que tu te retires tes préjugés de la tête. Cela n'allait pas être de toute repos vu que tout ce qu'il connaissait du monde du dressage venait de racontars ou séries narrant les aventures de dresseurs sur fond de messages d'espoirs et d'amitié. Sandro ne connaissait pas beaucoup de gens de son âge qui aurait simplement envisagé cette reconversion.

Encore une fois, il fut confronté à son absence de connaissances sur le sujet. Il aurait été bien incapable de définir comment un starter se récupérait. Faire une demande sur internet et attendre un transfert paraissait un peu trivial mais est-ce que ça aurait été si étonnant que ça, dans le monde dans lequel il vivait ? Encore qu'ils étaient à Alola, pas à Unys. Beaucoup de choses restaient vieux jeu si on omettait le domaine touristique.

A ton silence, je te devine paumé. Sandro ignora la pointe de moquerie qui accompagnait la déclaration. La Doyenne aura toutes les réponses à tes questions. Tu devrais lui rendre une petite visite.

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