POV : Philéas (enfant)

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Je me demande quelles sont les différences de l’eau. Ou plutôt, les différences qui existent entre les différentes formes de l’eau. En général, j’ai tendance à dire que je n’aime pas l’eau, sauf que ce n’est pas vrai. Ce n’est pas que je ne l’aime pas. Je suis la plupart du temps plutôt neutre par rapport à cet élément et j’apprécie les douches bien chaudes après une froide journée d’hiver. Ce qui me fait dire que je n’aime pas l’eau, c’est en fait une mauvaise expérience par rapport à elle. Elle me fait détester les grandes masses d’eau, et encore plus l’idée d’être immergé. Il y a plusieurs raisons à ça, et la principale n’est pas que je ne sache pas nager. Il paraît que je devrais, à mon âge, mais à cause de la mauvaise expérience, je n’arrive plus à laisser les plus grands que moi m’apprendre. C’est problématique. Car, pour le moment, ma mère se contente d’en soupirer, mais j’envisage les conséquences lorsque nous serons en vacances au bord de la mer. Si je ne sais pas nager, je ne peux pas être indépendant dans cet environnement. En conséquence, mes parents devront s’occuper de moi. Ils n’aiment pas faire ça. Alors la seconde conséquence sera de me faire crier dessus ou laissé à la location toute la journée. Voir même ne pas m’emmener en vacances du tout. Cela ne me dérangerait pas, je préfère être seul de toute façon, mais il y aurait, là-dedans, quelque chose de douloureux. Et puis, d’autres conséquences. On me reprocherait d’avoir dû justifier mon absence auprès de nos amis de vacances.
Il faudrait donc que j’apprenne à nager, mais je ne comprends pas les différences entre les formes de l’eau. Si je comprenais, quelque chose me dit que j’y arriverais. Ca aide à délier les problèmes, ce genre de connaissances. J’en ai déjà fait l’expérience. Si je sais, je peux me détacher et activer plus facilement le pilote automatique. Être comme un spectateur de ma vie n’est jamais agréable, mais au moins, quand je suis comme ça, je suis plus inclus que d’habitude.

J’observe l’eau de la douche qui ruisselle le long de mon corps. En un sens, elle m’enveloppe. Comme l’eau de la piscine. La différence est peut-être qu’elle ne m’engloutit pas tout entier, que je peux encore respirer et que personne n’est là pour m’empêcher d’en sortir. J’imagine qu’il faudrait que je me laisse absorber à nouveau pour avoir la réponse à mes questions. Seulement, maintenant, quand je regarde la piscine, ou tout autre grande étendue d’eau.. Je ne suis pas à l’aise.
Ce n’est pas que cette eau m’effraie, non. C’est ce que j’ai ressenti, là-dessous, qui me fait peur.

POV : Philéas (pré-adolescence)

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Aujourd’hui, ma gouvernante a eu un comportement étrange. Cela fait quelque temps que je suis persuadé qu’elle ne m’apprécie pas, comme tant d’autres. Comme c’est une attitude à laquelle je suis habitué, je ne m’en formalise plus. C’est à peine si je fais attention à elle, en fait, à part quand j’ai un besoin que je ne peux satisfaire sans qu’elle y contribue. Par exemple, dans les moments où je souhaite me rendre dans un lieu qui nécessite d’y aller en voiture. Je n’ai pas accès à notre chauffeur familial, mes parents me l’ont interdit. Je n’ai pas vraiment compris pourquoi, surtout que je ne me déplace pas souvent. Je vois peu d’intérêt à sortir, n’ayant jamais l’impression qu’il y a quoi que ce soit de si bien à découvrir à l’extérieur de la propriété. C’est la même chose qu’à l’intérieur et je n’ai pas envie de toute cette indifférence. Enfin, tout ceci pour prouver que ma gouvernante ne m’apprécie pas, ne cherche pas à me faire plaisir, et serait sûrement bien contente si je ne faisais plus jamais appel à elle.
Seulement aujourd’hui elle m’a abordé, alors qu’elle ne le fait jamais. Je suis toujours celui qui vient la solliciter. J’ai été surpris, tellement qu’au départ je n’ai pas compris que quelqu’un me parlait. J’étais plongé dans un livre, et habituellement on m’y laisse tranquille à moins que l’on ait quelque chose à me reprocher. Ce n’était pas un ton de reproche. J’ai donc levé la tête de mon récit et ai essayé de la regarder avec perplexité. Il paraît que je ne dois pas essayer de regarder les gens en face, car comme je ne vois pas leurs visages ils trouvent mon regard étrange, mais j’étais assez surpris pour ne pas m’en soucier.

Elle m’a appris qu’elle avait une soeur qui avait un méganium femelle, et que cette dernière avait pondu plusieurs oeufs. A la suite, elle m’a demandé si j’appréciais les germignons. Pour être tout à fait honnête, je ne m’étais jamais posé la question et lui ai communiqué mon absence d’avis sur ces pokémons. Ma gouvernante eu l’air embarrassée car elle se triturait les doigts. Soit ça, soit je l’agaçais. Toujours est-il qu’elle a poursuivi, me disant que sa soeur était dans une mauvaise situation financière et qu’elle essayait de vendre les bébés de sa meganium pour se faire un peu d’argent. Etant donné que j’étais le seul enfant de ma famille à ne pas encore avoir de pokémon, elle se demandait si je pouvais être intéressé.
Je savais que le manque d’annonce du prix signifiait qu’elle espérait tirer de mon achat potentiel une valeur supérieure à celle du marché. J’aurais pu mal le prendre, mais y était à vrai dire totalement indifférent. Je comprenais les problématiques monétaires de ceux qui n’étaient pas nés dans des familles aussi aisées que la mienne et ne faisais pas grand chose de mes économies. Je n’avais ni besoin, ni envie.

Alors, me disant qu’une bonne action pouvait m’être en règle générale favorable, j’ai acheté un oeuf de germignon.

POV : Philéas (adulte)

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Un jour, je me suis pris à réfléchir à ce que pouvais bien être la première chose dont je me souvenais. J’étais adolescent, quand c’est arrivé pour la première fois. Puis, c’est devenu un questionnement récurrent. A chaque fois, j’avais l’impression de pouvoir remonter plus loin. Au départ, c’était un souvenir datant de mes quatre ans, puis trois et demi, puis trois et ensuite… Ensuite, je n’ai plus su quel âge j’avais, mais je suis parvenu à saisir un fragment de ce que je considère être mon premier souvenir. D’abord, c’était un artefact flou, composé de taches de couleur indistinctes et d’un son que je ne reconnaissais pas, mais que je savais avoir entendu.
Les images ne parvenaient pas à se préciser. Je me demandais si c’était car il s’agissait d’un visage et que je ne pouvais donc pas m’en souvenir car je ne l’avais jamais vraiment vu. Alors je me concentrais sur le son inconnu. C’était comme un carillon sur lequel aurait chanté une voix distordue. J’essayais de donner un sens à ce bruit, à en faire des paroles, dans de nombreuses langues. Peut-être même toutes les langues, vu le temps que j’y avais consacré. Cependant, peu importe laquelle, même des langues anciennes, le son ne s’approchait d’aucun mot que je pouvais apprendre à reconnaître. J’en ai donc conclu que ce son avait été produit par un pokémon. J’avais déjà envisagé cette hypothèse, bien sûr, et avait consacré une partie de mon temps de recherche à écouter les cris de centaines de créatures différentes. Rien ne s’en était jamais approché. J’avais eu de l’espoir quand j’en étais venu aux éokos, puisqu’ils sont les pokémons desquelles les humains se sont inspirés pour créer les carillons, mais ce n’était pas eux non plus.

Mes recherches ne menaient à rien et j’en suis venu à me demander ce qu’il pouvait bien y avoir, comme son, au-delà de ceux des humains et des pokémons. Je ne pouvais pas croire qu’il s’agisse d’un bruit de la nature, même si je me suis aussi mis, plus par dépit qu’autre chose, à chercher de ce côté également. Rien. Rien qui corresponde à mon souvenir. Je me suis alors demandé si je n’avais pas inventé ce premier souvenir et le bruit qui l’accompagne. Après tout, dans un effort de recherche mémorielle, je pouvais bien avoir fait appel à mon imagination sans m’en rendre compte. Il s’agit d’un phénomène très commun lorsque l’on repense à ses souvenirs. Je sais que le cerveau n’en garde jamais une image parfaite, et pourtant nous sommes capables de nous les rappeler avec précision. Nous comblons par nous-même les morceaux qui nous échappent, en inventant des choses qui doivent ressembler à ce qu’elles étaient dans la réalité. C’est un phénomène fascinant. Je me rappelle d’avoir ri du visage d’Illia lorsqu’il a compris de quoi je lui parlais alors que je lui exposais cette réalité. Il avait été confus, avant de réfléchir intensément, et réaliser que c’était vrai. Il en était certain, car il se voyait arriver dans son premier cours au collège, mais ne se souvenait pas la scène en vision à la première personne. Il se voyait. Or, on ne peut pas se voir. C’était une manière comme une autre de comprendre.

POV : Philéas (adulte)

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Bien sûr, j’avais parlé plusieurs fois à Illia de ce premier souvenir. C’était la seule personne à qui j’avais pu en parler. Je lui avais décrit les couleurs, la forme des taches quand j’arrivais à la percevoir, celles que je n’arrivais pas à saisir, et j’avais aussi parlé longuement du son, élement sur lequel j’avais le plus de détails et de résultats de recherche, même s’ils n’aboutissaient à rien. Il m’avais écouté, même si je voyais bien qu’il ne comprenais pas certains mots que j’utilisais. Il n’avait pas encore le réflexe de me demander sans avoir honte et je n’avais pas celui de faire très attention à mon vocabulaire. Je n’avais jamais été entouré que par des personnes ayant le même niveau de langage que moi, et je n’avais jamais eu beaucoup d’intéractions avec autrui. Il était difficile, pour moi, de m’extraire de mon niveau linguistique. Malgré tout, Illia avait fini par dire :

- C’est peut-être un pokémon qu’on connaît pas encore.

Une possibilité très simple, trop simple, tellement simple que je ne crois pas que je l’avais envisagée. Cependant, j’avais du mal à y croire, car je n’avais jamais été, dans mon enfance, dans des lieux exotiques et je ne croyais pas aux créatures légendaires dont sont peuplées les histoires.

- J’y crois pas non plus, mais t’sé ça peut juste être des pokémons qu’on connaît pas, ou auxquels les gens croient pas. T’as déjà vu Le Pacte des Lougarocs ? Avec la bête de Kalos dedans ?, évidemment, je n’avais pas vu ce film et, après qu’il me l’ait montré, je le regretterai, trouvant les scènes de combat ridicules. Y est avéré qu’il y a eu un pokémon qui bouffait des gens à Kalos dans une campagne particulière, mais on est pas sûrs de ce que c’était. Y en a qui disent lougaroc, d’autres un nemelios femelle, ou encore d’autres trucs. Au final, ce serait pas déconnant que ce soit un pokémon inconnu, ou hybride des deux espèces, qu’a fini par crever dans un coin et qu’on a jamais retrouvé.

Cette possibilité m’avait laissé songeur, mais surtout désappointé, car s’il avait raison, sûrement que je ne découvrirais jamais quelle était la nature de mon premier souvenir. Comme il avait capté mon trouble, Illia s’était mis à énumérer les choses positives de ce fragment de mémoire, comme par exemple le fait que quelque chose était venu me jouer de la musique, ce qui était quand même très “sympa” selon ses mots. Il n’avait pas tort, même si j’avais du mal à ne pas me concentrer sur la nature du souvenir. Je cherchais une réponse que je n’aurais jamais, à propos d’un fait qui avait eu lieu, et qui n’avait rien à voir avec des choses subjectives incompréhensibles.

Finalement, je m’étais de moins en moins interrogé sur ce premier souvenir. Je l’avais accepté tel qu’il était, comme si Illia, avec le temps, avait réussi à faire disparaître ma frustration. Peut-être était-ce à cause des souvenirs agréables que je créais en sa présence, ce qui ne me faisait plus chercher le positif de ma vie dans des choses du passé inatteignables où il n’existaient même peut-être pas.

POV : Philéas (adulte)

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Objectivement, je ne suis pas une bonne personne.
Cette constatation ne me chagrine pas, je la prends comme un fait, presque une donnée scientifique pour analyser une situation. A travers le regard des autres, toujours. Il y a beaucoup d’éléments qui font que je ne suis pas une bonne personne selon la société dans laquelle je vis.

La première, et peut-être la moins grave, est que je ne suis pas capable d’acquérir et me conformer, d’instinct, aux codes sociaux qui la régissent. Parfois car je n’en comprends pas la pertinence, parfois pas pure incompréhension, d’autres car je n’en suis simplement pas capable. Par exemple, regarder mon interlocuteur dans les yeux. J’essaye de me schématiser, grâce à mon imagination, le visage de la personne à qui je m’adresse afin de situer ses yeux, mais cette méthode reste imprécise. Il paraît qu’il y a toujours quelque chose qui met mal à l’aise, dans la manière dont je regarde les gens lorsque je leur parle, et c’est ce léger décalage entre leurs réels yeux et ceux que j’imagine. Cet handicap suffit à me mettre à l’écart et j’ai la malchance d’être né dans un milieu où l’on ne m’emmènera jamais voir des spécialistes pour ça. Je ne suis pas malade, je n’ai pas de problème, je ne suis simplement pas une bonne personne. Je l’ai longtemps mal vécu, maintenant j’y suis habitué. Le quotidien a des effets fascinants.
Enfin, si ce n’était que ça, peut-être aurais-je des chances de devenir une bonne personne un jour. Le problème, c’est que j’ai aussi provoqué la mort de plusieurs personnes.

Le mot juste est sûrement “tué”. J’ai tué des gens. Seulement, je ne l’ai jamais vu comme tel car le verbe “tué” à tendance à donner une grande importance à un acte qui n’est que la conséquence, volontaire ou non, de plusieurs autres faits qui ne sont pas de mon ressort. Je ne pouvais pas prévoir que mon aîné perdrait la vie dans l’incendie de la maison, ni qu’Illia se ferait attaquer alors que je l’attendais pour nous rendre au cinéma. Ni qu’une jeune femme m’indiquerait où il se trouve, ni que j’arriverai sur les lieux alors que les hommes qui le retenaient étaient armés, qu’ils l’avaient déjà gravement blessé, et qu’ils étaient sur le point de finir le travail. Toutes ces morts sont de ma faute, certes, mais je pense qu’il faut garder une certaine mesure. Dans le premier cas, c’était un accident. Dans le second, il n’était pas justifié en premier lieu d’attenter à la vie d’Illia. Ce n’était, de ma part, qu’une démarche de protection.
Je garde cependant conscience que tuer est mal, et qu’il est normal qu’en conséquence je ne sois pas considéré comme une bonne personne. Cette causalité ne me dérange pas, car les effets de mes actes ne m’inspirent pas de regret. Je n’avais aucune affection pour mon grand-frère et beaucoup d’aspects de la vie m’ont semblé plus simple une fois qu’il n’était plus là. Quant aux hommes qui menaçaient la vie d’Illia, si je n’avais pas agit comme je l’ai fait, je n’aurais jamais pu vivre les plus belles années de ma vie.

Je suis une mauvaise personne, et ça me va.