Un pâle sourire étalé sur les lèvres, Armand observe l’incompréhension naître dans le regard de Lara, sa cheffe. Son ancienne cheffe, puis qu’il vient de lui annoncer son départ. Les sourcils légèrement froncés, elle ne s’explique pas une telle décision.

— Tout se passait bien pourtant, non ?
— Absolument, oui.
— Alors… Pourquoi ?
Yolène le lui a demandé.
— Une parente est récemment tombée malade. Il sourit un peu plus, se frotte l’arrière du crâne, visiblement gêné. C’est plutôt grave. Il ment. Alors je préfère m’occuper d’elle et m’assurer qu’elle ne manque de rien.

Lara, petite dame grisonnante, se masse la mâchoire et soupire, visiblement résignée. Comment lui en vouloir, après tout ? Elle ferait tout pour sa famille, elle aussi. Le silence s’étire quelque peu et Armand observe le bureau autour de lui. Des étagères surchargées de dossiers et factures, un bureau trop étroit, de vieux sièges peu confortables. La boutique va mal. Elle allait déjà mal avant qu’il n’arrive, quelques mois auparavant... Mais il sait que son départ n’aidera pas, et qu’elle aurait exigé qu’il fasse son préavis s’il n’avait pas brandi l’étendard de la raison familiale. Petite par la taille, mais grande par le cœur, disent ses clients et employés.
Si ça n’était pas Yolène qui lui avait demandé, il serait resté ici.

— Je comprends… Écoute, ça ne nous aide pas, mais je comprends. C’est normal. Elle fronce les yeux pour s’en convaincre un peu plus, puis sourit. Fonce Armand, occupe-toi de ta…
— Cousine.
— Voilà. Occupe-toi bien de ta cousine et reviens me voir quand elle ira mieux ou que tu auras besoin de travailler. Je ne peux rien te promettre, mais on pourra toujours essayer de te trouver quelque chose le moment venu.
Elle lui tend la main et il l’empoigne. Elle a la poignée de main vigoureuse, ce qui n’étonne finalement que peu Armand. Il lui demande de lui faire parvenir les derniers documents à une nouvelle adresse, ce sera plus simple. Il se lève, se dirige vers la porte.
— Bonne continuation, Armand.
Il se tourne et dans la pointe de tristesse qu’il perçoit dans le regard de Lara, il sait qu’elle a compris. Il ne reviendra pas, ils ne se reverront jamais.
— Merci, à vous aussi.
Elle hoche la tête et il sort du bureau. Il traverse la boutique sans un mot pour ses collègues, récupère simplement sa veste et sa mallette dans les vestiaires, puis s’en va.

C’est le ciel froid de l’hiver qui l’accueille à l’extérieur. Il est 13h34, la journée n’est pas perdue. Il sort son téléphone, un vieux smartphone, ouvre son application à To-do list et clique sur Démissionner. Une pop-up lui annonce qu’il a gagné un niveau en productivité. Tant mieux. L’animation, un machopeur contractant ses muscles, terminée, ses prochaines taches réapparaissent : Librairie, Café, Maison.
Juste en dessous, en rouge, une quatrième ligne : !! Agent ou ranger ? !!

Modération:

Peu de monde dans les rues. Les travailleurs sont de retour à leurs tâches. C’est tant mieux : Armand n’aime pas la foule. Il ne l’a jamais appréciée. Alors s’il peut choisir entre l’air « pur » — cela reste une ville — et les réseaux de déplacement souterrain, son cœur ne balance pas. Enfin si, mais si vite que le calcul en paraîtrait presque instantané.
Il marche donc, perdu dans ses pensées. Agent ou ranger ?
En agent, il pourra servir très directement Yolène et rester près d’elle. Il pourra jouer d’une infinité de cordes pour s’assurer qu’il ne lui arrive rien, que les agents les plus problématiques soient éliminés ou discrédités, tout en ayant une force de frappe non négligeable contre le Club. L’Agent Armand Korenjak pourrait être le bras armé et protecteur de Mlle Yolène Bizjac…
Mais devenir ranger, de ce qu’il en sait, pourrait aussi avoir ses avantages — quoique différents. Il pourrait par le jeu des accréditations et zones d’accès, pourvoir le Club de pokémons toujours plus rares et puissants. Le Ranger Armand Korenjak serait donc à la fois l’armurier, mais aussi l’un des poumons économiques du Club. Après tout, à quoi bon ne pas vendre certains pokémons illégalement capturés pour ensuite… Il sourit : l’idée qui s’érige en lui l’amuse. Ces pokémons capturés illégalement pourraient être vendus à certains ennemis du Club… qui seraient dénoncés et capturés par Armand lui-même.
Oui, ce serait beau. Et ça plairait à Yolène. D’autant plus qu’il lui faut encore asseoir son autorité sur les quelques salopards qui vénéraient son père et ne cherchent aujourd’hui plus qu’à récupérer un maximum d’influence dans le Club pour se l’approprier, au mieux, ou le détruire, au pire.

Tsssk. Bande de charognards… Le Club les a pourtant toutes et tous sortis de la merde, comme cela a été fait avec Armand. Comment peuvent-ils…
Il sent alors une petite douleur dans sa main et baisse les yeux. À trop serrer le poing, il s’est légèrement abîmé l’intérieur de la paume. Roule des yeux en pensant aux réprimandes futures de Yolène et soupire, puis sort des gants de cuir noir de la poche intérieure gauche de sa veste. Les enfile et continue sa route.

Le calme revenu et les mains lâches, il revient à ses fantasmes. Le problème, avec eux, c’est qu’il ne sait leur plausibilité. Il n’est ni agent ni ranger, n’en connaît aucun. De toutes les peaux que Yolène lui a demandé de porter, la plus proche était celle de vigile dans un musée dont la concurrence se servait pour stocker de la drogue avant de l’envoyer vers Kanto par Safrania.
Et il sait que ça n’a strictement rien à voir.
D’où la librairie, vous vous en doutez. Il faut qu’il consomme des médias sur la question : films, séries, documentaires, livres, témoignages et tout ce qu’il est possible de bouffer. Yolène lui a donné carte blanche dans ses recherches… Et il compte bien en profiter : lui aussi a conscience que ce choix changera sa vie et l’orientera pendant de longues années.
D’autant que si Yolène ne lui a rien imposé, c’est qu’elle le croit plus à même de prendre la bonne décision. Il ne peut pas la laisser tomber, c’est hors de question.

Fuite:

Peu de librairies indépendantes survivent encore en plein cœur de Doublonville. Armand le sait, mais il aimerait de préférence éviter la Fnap. Oh non, n’y voyait aucune forme de considération ou d’engagement politique pour la survie des petites anciennes. Enfin, c’est un peu plus compliqué que ça.
Sauver les petites gens pour éviter que les cartels et autres conglomérats à la tête des gigaenseignes n’essaient de prendre le contrôle de la ville et donc, par extension, s’en prennent au Club ? Oui, avec grand plaisir. Sauf qu’en l’état, Armand veut surtout éviter le fichier client, les vidéos de surveillance dont les images le montreront dévalisant des rayons entiers et toute éventuelle déconvenue qui, en réalité, ne lui arrivera pas.
Il est précautionneux, notre petit Armand. Définitivement trop dans la situation actuelle, puisqu’il ne va qu’acheter des livres, qu’il n’a aucun casier judiciaire — rien de plus qu’un honnête citoyen —, et que, finalement, se documenter n’est pas un crime… Mais le Club, et donc Yolène, est impliqués dans cette démarche, alors il fait tout ce qu’il faut selon lui.
D’autant que, de vous à moi, mais ne le disons pas Armand, il est si mignon lorsqu’il est sûr de lui : un libraire indépendant se souviendra beaucoup plus volontiers de ce jeune homme en costume venu lui acheté une trentaine de livres. Qu’il ancrera cette histoire dans sa mémoire et qu’il la transmettra à ses employés, à ses stagiaires, peut-être même à ses enfants. Alors que l’étudiant de la FnaP, qu’en aura-t-il à foutre ?
M’enfin, laissons Armand à ses considérations, vous voulez bien ?

Il arrive finalement devant une petite librairie nommée « le Monorplume ». Deux grandes baies vitrées, derrière lesquelles sont agencées élégamment de nombreuses étagères. Ici ils sont agencés pour nuancer le spectre lumineux, là un regroupement de couvertures noires à dorures… Armand se penche, remarque qu’il s’agit d’une collection d’œuvres encyclopédiques sur les contes horrifiques des différentes régions du pokémonde.
Il sourit : ça plairait à Yolène.

Il inspire, expire, finit par entrer. Peu de clients, un seul libraire. Il a les cheveux couleur de feu et une fine ligne de taches de rousseur constelle sa peau de nacre. Armand rougit, d’autant plus lorsque le marchand lève les yeux sur lui, comprend et lui sourit.
Par réflexe, notre Armand se détache de l’attention du libraire — à vue de nez, ils ont le même âge — et se dirige vers les rayonnages. Il s’arrête pour une simple question :
— Vous avez des ouvrages sur les agents et les rangers ?
— Bien sûr. Son sourire est d’une beauté presque indécente. Troisième rayon, à droite. Je vous accompag…

Mais il ne termine pas sa phrase : Armand est déjà parti. C’est que notre gangster, sans être toujours au placard — Yolène l’a compris à force qu’il refuse ses avances, puis l’a aidé à comprendre —, n’est jamais à l’aise lorsqu’il lui semble percevoir de la convoitise dans le regard d’un autre homme.
Il n’a pas honte, il ne se sent pas contre nature. C’est simplement… étrange. Comme légèrement malaisant. Certains vous diront qu’il manque d’expérience, et ils auront tout à fait raison. Mais revenons-en à notre librairie.
Notre Armand, quelque peu bousculé dans ses émotions, ne finit par trouver que cinq livres réellement intéressants : « Moi, Agente », « Limites et limitations de la fonction de police. » & « Guide des agents pour les petits et grands. », « Sept années dans les bottes d’un Ranger. » & « Walker Unys Ranger, la controverse des rangers-braconniers ». Soit, ils feront l’affaire.

Retour en caisse et nouvelle confrontation avec le vendeur, qui a remonté ses manches et penche légèrement la tête en souriant au retour d’Armand. Aaaah. Inspire, expire. Tout va bien Armand, tout va bien. Le roux scan un premier livre. *bip*
— C’est pour vous ou pour offrir ? *bip*
— Pour moi.
*bip* Pourquoi n’a-t-il pas dit que c’était pour offrir ? Le vendeur fronce les sourcils et, comme il le peut, Armand rassemble sa contenance.
— Reconversion *bip* professionnelle ?
— Pas vraiment, une nièce s’y intéresse et…
— Vous essayez d’être le tonton parfait ? Adorable.
*bip*. Le cœur d’Amand pulse fort, si bien qu’il a l’impression que si son interlocuteur regarde sa gorge, il pourra voir sa carotide pulser de tout son saoul.
— Carte ou espèce ?
— Hein ?
— Vous réglez en carte, ou en espèce ?
— Oh. En carte.
L’autre lui tend le TPE et, pendant qu’Armand valide l’achat, range les livres dans un sac en papier. Le paiement est validé, le sac pris et Armand part, sans rien de plus qu’un au revoir.
— Belle journée, revenez me voir.
Armand s’immobilise à ses mots. Comment se fait-il qu’un couteau posé sur sa gorge l’impressionne moins que quelques mots doux ? Il ne comprend pas, veut répondre « À vous aussi. », lâche :
— Vous aussi.
Rougit encore plus et sort sous le rire léger du vendeur.

Fuite:

Pourquoi ? Pourquoi est-ce qu’il ne faut que quelques mots d’un homme qu’Armand trouve vaguement attrayant pour avoir cet effet ? Son sang pulse dans son crâne, sous sa peau, partout. Il sent le rouge sur ses joues, la chaleur dans ses muscles. La totale, pour un rouquin lui ayant simplement dit de revenir le voir ? Tsssk.
Si Yolène était là, elle en parlerait, encore encore. Elle le charrierait jusqu’à ce qu’il demande pitié ou qu’elle n’ait plus d’idée. Il l’imagine évoquant la veine sur l’avant-bras du libraire, ses sourcils fournis, mais taillés, son regard droit et fier… Et plus il y pense, plus il rougit. OK, il faut qu’il arrête. Qu’il pense à autre chose…

Il s’arrête donc de marcher, inspire profondément, et son téléphone sonne.
De Boss : Armand ! Armand ! Armand ! Je rentre demain d’Hisui, et j’ai un cadeau pour toi !! On se retrouve à l’appartement ?
Le message lui arrache un énorme sourire, suffisant pour qu’il oublie le libraire, la journée, tout. Elle a un cadeau pour lui. Pourquoi ? Comment ? Il faut qu’elle arrête, il ne le mérite pas. Il n’a même pas encore pris de décision… Pourquoi ? Son sourire s’élargit encore un peu plus et ses traits se détendent.
À Boss : Vous n’auriez pas dû, mais merci. Je viendrai avec plaisir. Quelle heure ?
De Boss : 18h30 !
À Boss : C’est noté, à demain. Faites bon voyage.

Et il reprend sa marche, bien plus calme. Il ouvre l’appli de productivité, clique sur Librairie, et aucun niveau… Mais ça fait sens. Il n’en gagnera que lorsqu’il aura lu les livres, ou fait d’autres activités. La suite est simple : boire un café, commencer la lecture, rentrer et continuer.
La route jusqu’au café le plus proche n’est pas très longue, d’autant plus qu’Armand connaît assez bien le quartier. Étrange qu’il ne soit jamais au Monopl… Il s’interrompt le cours de sa pensée, interdit à l’enseigne de réapparaître ainsi qu’à tout ce qui s’y trouvait. Inspire, expire. Tout va bien. Tout. Va. Bien.
Une centaine de mètres, peut-être deux, le séparent encore de son objectif. Il y est presque, plus qu’à tourner à droite et la pancarte du Roigada désabusé (un Roigada préparant plusieurs boissons chaudes par le biais de ses aptitudes psychiques) apparaît.
Haaaaa parfait. Ça va le faire.
Il s’y dirige donc, remarque qu’il n’y a qu’une cliente : c’est encore mieux. Il n’aura ni à parler, ni à se concentrer ou mettre ses écouteurs pour oublier les autres.

Le visage tinté de contentement, il ouvre la porte et sursaute lorsque des confettis tombent du plafond. Le barman — l’humain, pas le Roigada — applaudit, visiblement gêné… Et la cliente se retourne vers lui, un micro à la main :
— Alors qu’est-ce que ça fait d’être le millionième client du Roigada désabusé.
— Je vous demande pardon ?
— Qu’est-ce que ça vous fait ?
Il va pour la contourner, plus inintéressé par elle que par les dernières créations de haute couture, mais il tombe sur le regard implorant du jeune qui tient la maison. Qu’il réponde, par pitié. Alors Armand soupire, puis plante son regard dans celui de la journaliste.
— Vous disiez ?
Et elle sourit de tout son être. D’abord elle, puis la lecture. Il finira bien par y arriver.

Modération:

Pas bien grande, d’immenses yeux bruns posés directement dans ceux d’Armand — non sans l’avoir scanné, comme tout journaliste se devrait de le faire. Une chemise froissée, la cravate encore passée entre des boutons. Armand reconnaît cette technique plus qu’efficace servant à ne pas laisser sa cravate tremper dans une assiette de sauce ou un bol de soupe.
C’est horrible lorsque cela arrive, surtout si l’on ne s’en rend compte qu’une fois la cravate en train de vous peindre le torse. Enfin, ça n’est pas l’important. D’un geste discret, il fait mine de réajuste sa cravate… et elle va à la sienne par mimétisme, se rend compte de l’état de sa tenue, ne soupire qu’à moitié et se réappraite en quelques secondes.
— Avez-vous déjà été interviewé ?
Elle ne lui a pas adressé un regard : une fois la cravate replacée, elle s’est mis en tête de se remaquiller, tant et si bien qu’Armand n’a pas compris qu’elle s’adressait à lui. D’un geste du poignet, elle incline le miroir de poche maintenant dans sa main pour que son regard puisse croiser celui de sa victime.
— Alors ? Avez-vous déjà été interviewé ?
— Non.
— Je m’en doutais. Elle sourit, range son miroir, incline légèrement la tête en salutation. JE me présente :Maya Bunbunmaru, journaliste pour la Tour Radio de Doublonville.
Journaliste ? Pour une affaire aussi stupide que le millionième client d’un vieux café ?
— Ne me regardez pas ainsi, il y a des gens que ça intéresse.
Ah.
— Bon, pas d’inquiétude, ça ne durera pas longtemps. Je vais juste vous poser les questions habituelles : nom, prénom, âge, si c’est la première fois que vous venez ici, si vous saviez que l’on approchait du millionième client, votre boisson favorite, la raison de votre venue et un petit mot pour ceux qui ne connaissent pas. Elle s’arrête, compte sur ses doigts un instant, puis revient à Armand. En gros, et plus ou moins dans cet ordre. C’est bon pour vous ?
— Oui.
Il lui suffira de mentir sur tout ou presque. Alors elle partira et il pourra ENFIN s’installer tranquillement et faire ce qu’il avait prévu de faire : lire un livre en buvant un café.
La journaliste sourit, sort un micro dont elle actionne une molette. Un coup d’œil à son téléphone pour connecter les deux objets — du moins c’est l’avis d’Armand — et, d’un signe de tête, elle lui indique qu’elle est prête.

— Bonjour et bienvenue dans les chroniques du quartier ! Elle ne le regarde pas. Les yeux plantés dans la salle vide, elle agit comme si ses confrères étaient juste là, autour d’elle. Aujourd’hui nous sommes au Roigada désabusé qui, comme vous le savez, attend son millionième client.
Elle marque une pause et, d’un mouvement de tête, indique à Armand d’approcher. Elle appuie alors sur une touche de son téléphone, qui émet le bruit d’une porte qu’on ouvre.
— Bonjour monsieur !
— Bonjour…
Son regard hurle à Armand d’être enthousiaste, mais il n’arrive pas à sourire. Peut-être qu’elle n’aurait pas tenté de l’utiliser s’il avait s’agit d’une émission de télévision…
— Comment allez-vous ?
— Très bien.
— Moi aussi, je vous remercie ! Elle écarquille les yeux, il sourit légèrement et regrette son choix. Il n’aurait pas dû aux implorations silencieuses du gamin derrière le comptoir. Alors, ça fait quoi d’être le millionième client de ce café ?
La question donne à Armand envie de vomir.
— Eh bien je ne sais pas…
— Étonnant ! Et donc, vous connaissiez cet endroit ?
— Oui, je viens de temps en temps.
— Alors vous êtes venu pour devenir le millionième client ? Vous saviez ? Avouez…
— Non… Je n’en savais rien…
— Pour une histoire d’autant plus authentique, c’est génial !
Son attitude hurle « Mais putain qui m’a foutu ce crétin entre les mains » et son regard contraste en suppliant une augmentation lorsqu’il s’agit de sujets aussi nuls. Ça fait sourire Armand, qui décide de jouer un peu plus le jeu.
— Et donc, pourquoi étiez-vous venu ?
— Boire un café en lisant… Il hésite, pense au dernier livre dont il a entendu parler : il ne peut dire ce qu’il va vraiment lire. Le Monorpale rouge tueur.
— Le fameux manga ? Super, vous en êtes où ?
— Je… Pourquoi ? Pourquoi faut-il qu’elle en veuille plus ? Hein ? Je le débute.
— Ah ! Bah c’est génial.
Elle marque une pause, lève la main vers une oreillette qu’elle ne porte pas — qu’elle ne porte plus ? — et dit :
— Et voilà, c’était Maya Bunbunmaru, pour les Chroniques du quartier.

Elle clique de nouveau sur son téléphone, actionne la molette de son micro et range l’ensemble : ça y est, c’est fini. Elle se tourne vers Armand pour le remercier, mais il est déjà parti vers le comptoir. Il ne l’entend que soupirer un « Bah merci ! » puis elle retourne à sa place. Il attend quelques instants avant de jeter un œil vers elle — au cas où elle ne revienne immédiatement à la charge pour une nouvelle connerie — et la voit, casque sur les oreilles et téléphone branché, entièrement dévouée à son ordinateur.
L’information n’attend pas ! Elle doit être en train de monter le tout pour l’envoyer à la Tour radio et, le plus probablement, espérer que le délai entre l’acte et sa retransmission sera plus petit possible.
On n’interrompt pas les Infos pour un millionième client, mais peut-être que l’on peut en faire l’annonce juste après ? Qui sait… Alors Armand sourit, revient vers les deux qui se tiennent derrière le comptoir… Les trois, puisqu’une petite dame, assise sur un tabouret, était invisible jusqu’à lors.
Elle sourit, amorce un remerciement et Armand n’espère qu’une seule chose : qu’elle se contentera de lui offrir son café et la bière qui le suivra.

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