D'une pression sur le bouton, j'éteignis la télé. C'était atterrant de constater combien il n'y avait rien du tout d'intéressant à voir. J'étais passé par A.M.I.S., Les Lovdisc de l'Amour, Criminels célèbres : Jessie et James, zéros ou héros ?, en continuant de zapper... J'aimais bien les séries policières, mais c'était Alakazam, Agent spécial qui passait en ce moment sur la 6 et celle-ci, je ne pouvais pas la regarder, la faute au choix du pokémon. Et même les pubs étaient devenues complètement fumeuses. Qu'est-ce que c'était que cet argument pour vendre de l'Oranina ?

Affalé sur mon canapé, Pops ronflant à côté de moi, je me plongeai quelques minutes dans une réflexion intense pour essayer de déterminer si, quand je buvais de ce soda, je trouvais que ça me grattait la gorge, ou non. Ensuite, comme je n'arrivais pas à résoudre ce problème, je me levai, chaussai mes pantoufles, et allai frapper à la porte de Calypso qui me cria d'entrer. Je ne comprenais toujours pas ces gens qui ne verrouillaient jamais leur porte, ce n'était pas prudent ; pour moi, par contre, c'était plus pratique, et j'appréciais beaucoup aussi que nos appartements ne soient qu'à quelques mètres l'un de l'autre.

– Yo. Dis, tu trouves que l'Oranina, ça te gratte la gorge, toi ?

Calypso était allongée sur son canapé, en train de bouquiner, visiblement. Elle me fixa.

– Trop. C'est même la spécificité première de l'Oranina. C'est juste pour ça que j'en achète.
– Ah ouais ? C'est bizarre, j'ai jamais remarqué, moi... C'est parce qu'avec la pulpe ça fait un goût un peu râpeux ? Ou c'est le mélange pulpe-bulles ?
– ...Tu t'ennuies, non ?
– Affreusement. Je soupirai d'un air plaintif, pour qu'elle comprenne bien ce que signifiait « affreusement » quand c'était moi qui l'employais. Et Camille est en conseils de classe, il m'a interdit de l'appeler.
– C'est terrible, ces profs, toujours surbookés.
– Atroce. ...Dis, c'était quoi l'émission de cuisine que tu voulais me montrer ?

Calypso parut réfléchir. Puis, elle se redressa en s'étirant, et alla chercher ce qui était visiblement une manette de console devant sa télé.

– Un petit Poké Circuits, ça te tenterait pas, à la place ?
– Un quoi ? Elle me regarda avec des yeux ronds. Désolé, je suis pas très jeux vidéos, j'ai pas ces consoles, tu sais... tentai-je de me rattraper. Mais je joue à Bonbon Crush sur le portable...
– Assieds-toi.

Il y a une certaine forme d'autorité face à laquelle il est bien difficile de lutter. Avant d'obtempérer, j'allai quand même chercher deux canettes d'Oranina dans le garde-manger, afin de vérifier si, oui ou non, ça grattait vraiment la gorge. Et puis, je m'affalai dans le canapé de Calypso, aux côtés de ma collègue qui, manette en main, commença à m'expliquer brièvement les règles de Poké Circuits. Bon, il ne s'agissait que de gagner des courses, apparemment rien de bien compliqué ! Je voulais juste être sûr d'avoir compris quelles étaient les commandes pour avancer, pour utiliser des objets, parce que je n'avais jamais vraiment tenu de manette comme ça en main. C'était pas trop le style de mes anciennes familles d'accueil ni de Camille, à vrai dire : j'avais un peu joué sur les gameboys de potes au collège, et au lycée parce que les Claudel m'en avaient offerte une, mais c'était tout.

Le challenge commençait par le choix de son personnage et de son kart : il y en avait plein de différents, ça faisait très envie, et je mis un certain temps à me décider. Calypso avait pris une fillette toute mignonne ; de mon côté, je songeai que s'il fallait aller vite et que l'on pouvait bousculer les voitures des autres, comme aux auto-tamponneuses, il valait mieux choisir un personnage du genre costaud ! Et il y en avait justement un qui ressemblait à un gros Gouroutan à l'air idiot : il devait être marrant, c'était parfait. Comme bolide, je choisis une énorme moto des ténèbres, à l'air bien maous et rapide, sans doute l'une des plus puissantes, pas le genre que l'on voudrait croiser sur un circuit. Je pris aussi un parachute (puisqu'apparemment, on avait besoin d'un parachute) d'allure intimidante pour effrayer les concurrents, mais je choisis par contre de petites roues arc-en-ciel histoire d'égayer un peu le tout. Gagner, mais avec classe.

Il y avait tellement de circuits possibles que je laissai la main à Calypso pour ce qui était du choix, même si je protestai lorsqu'elle annonça que, « pour commencer, on va en faire un facile... » Mais je me ralliai en grommelant à ses arguments, assez justes, sans doute.

– J'ai obtenu la médaille d'or trois rubans sur toutes les coupes en 200cc mode Reflet, tu crois quand même pas que tu vas déjà me battre alors que t'as jamais joué ?
– ...Les doigts dans le nez, marmonnai-je. Qu'est-ce t'en sais, j'ai peut-être un don inné ?

Et ainsi la première course, sur un circuit à thématique de stade de Pokéathlon, commença. La première course... et les premiers ennuis. Ce n'est pas inné de savoir conduire, même si je m'étais plutôt bien débrouillé pour apprendre, à l'époque, en dehors de tout cours et sans passer aucun... Bref, j'avais rapidement su comment faire fonctionner une voiture, mais je n'aurais pas immédiatement été capable de dominer un circuit à dix-huit tournants et trois fois autant d'obstacles avec des concurrents qui profitaient du moindre contact pour vous pousser sur du hors-piste ou vous balancer leurs peaux de banane sur le pare-brise ; eh bien, c'était à peu près pareil en virtuel. D'abord, qu'est-ce que c'étaient que ces circuits absurdes, où vous étiez menacés d'un abîme à chaque tournant et où l'on vous demandait un saut de l'ange pour passer d'une portion de bitume à l'autre, sans compter les plongeons dans la mer, les passages dans les flammes et j'en passe ? Et puis, cette idée d'utiliser des objets pour ralentir les adversaires. Bon, ok, c'était marrant, surtout quand Calypso se pointait pile poil devant moi pour que mon Caratroc shiny se jette sur elle, ou quand madame je-suis-toujours-première se prenait une WinnerBall en pleine face, une pokéball bleu vif qui capturait le joueur en tête pour le relâcher sur la piste au bout de quelques secondes dans un nuage de fumée et de paillettes. Mais allez apprendre à jouer à un jeu quand tous les adversaires semblent s'être donnés le mot pour vous viser d'une attaque Éclair ou d'une Buée Noire à chaque fois que vous réussissez à gratter une place !

– Je soupçonne un complot visant à dissuader le futur champion que je suis de progresser dans le jeu. Complot fomenté par la console, mais auquel tu n'es pas étrangère, sifflai-je, alors que je venais de me retrouver catapulté de la troisième à la neuvième place quelques secondes avant la ligne d'arrivée. C'est pas possible, ils se sont encore tous acharnés contre moi ! Pourquoi ils font pas ça sur toi, d'abord ?
– Ça va, tu n'es presque pas dernier, je ne vois pas de quoi tu te plains ! se moqua gentiment ma collègue.
– Gnagnagnah. Non, mais je vise la régularité, regarde. C'était pour équilibrer avec tout à l'heure, je suis encore septième dans le classement. Si c'est pas de la maestria, ça !

Et c'était parti pour le résumé des temps forts de la course. Une fois de plus, l'intelligence artificielle du jeu semblait prendre un malin plaisir à montrer, avec petit ralenti et bel effet de cadrage, toutes les difficultés auxquelles j'avais été confronté, et non pas Calypso. Du grain à moudre pour ma thèse du complot, au moins !

– Ah-ha. Coup dur pour le champion Edel, s'amusa Caly, alors que l'écran nous présentait un énième lancer de Caratroc arrivé après maints rebonds et tournoiements hasardeux directement sur mon malheureux Gouroutan. Il n'y a pas de justice dans ce monde.
– C'pas possible, ça doit être le perso qui va pas. Attends, t'as pris quel genre, toi ? Hm. ...Tiens, le petit Polichombr, là. On va bien s'entendre.

Mon nouveau personnage était beaucoup plus mignon que le précédent, il pouvait soulever sa tête, ses pouvoirs spectraux faisaient flotter sa voiture dans les airs : j'avais le sentiment qu'il était fait pour moi. Et pourtant, une fois de plus, la malédiction qui s'acharnait sur mon kart allait encore frapper.

– Ah oui, effectivement, tu passes de la neuvième à la onzième place, je vois que tu as beaucoup progressé ! Il faut prendre le classement à l'envers, c'est ça ?
– Et toi, tu t'ennuies pas, à rester tout le temps première ? Ça doit pas être très marrant pour les spectateurs, tu sais ? Il faut un peu de surprises, d'imprévus.
– Je te rassure, si tu te décidais enfin à gagner quelques places, t'inquiète pas qu'elle serait là, la surprise.

En guise de réponse, je lui volai sa cannette d'Oranina et la finis sous ses yeux, malgré ses protestations vaines.

– C'est vrai que ça gratte un peu la gorge, en fait.
– Ah ! Pas vrai ?
– Non. C'est des cagades ! Ils racontent n'importe quoi pour vendre. Mais c'est pas mauvais, en vrai ! J'en rachèterai ! Elle roula des yeux, peut-être parce que je n'avais rien acheté du tout.
– Bah tu sais quoi ? Tu vas aller les finir dans ta chambre. C'est l'heure du dodo, cher ami !
– Noon ! Pas tout de suite ! J'ai pas encore pris ma revanche !
– ...Tu vas essayer d'arriver dernier, cette fois ? Non, mais t'inquiète pas, un jour, tu progresseras...

Et c'était parti pour la course ultime, la der des ders, le challenge où, enfin, je déploierai tout mon talent, celui où j'illuminerai le classement par ma supériorité.
C'était parti pour la Coupe Fée, et son premier circuit de la dernière chance : la boutique à Poffins.