Miel de fleurs

Est-ce que tu aimes les Apitrini, Atria ? Beaucoup de gens en ont peur, mais il ne faut pas. Ce sont des pokémons adorables et indispensables pour la nature. Sans eux, ton éveil gustatif ne serait pas aussi varié. On en trouve quasiment partout, alors quand j'ai décidé de leur consacrer une vidéo, ainsi qu'à leur évolution par la même occasion, j'en ai parlé aux scientifiques du CRN. Et beaucoup m'ont gentiment répondu, même si ce n'était pas leur spécialité, simplement par la proximité de ce pokémon avec leur propre domaine de recherche. Mais ce que je n'aurais jamais pu prévoir, c'est que l'un d'entre eux avait un oncle apiculteur, basé à Sinnoh, et que celui-ci m'inviterait à m'y rendre dans le cadre de mon activité de vidéaste.

M. Matsubara m'avait assuré s'occuper de tout une fois que je serai sur place. Je n'avais qu'à m'occuper de payer mon vol, ce qui, dans mon cas, était déjà suffisamment compliqué. Ma chaîne me permettait à peine de me payer une glace, alors j'ai comparé les offres, guetter le moindre signe d'une réduction, je suis même allé jusqu'à téléphoner en espérant une ristourne pour un étudiant en galère, mais l'employé au bout du fil n'a pas pu me l'accorder. En dernier recours, j'ai dû demander l'aide de mes parents, qui ont finalement accepté de me délester d'une partie du coût financier du trajet après une négociation animée.

En plus d'être mon premier vol "professionnel", c'était la première fois que je prenais l'avion seul. J'ai passé le début du vol collé à mon hublot, à regarder les berges de Yantreizh et de Port Tempères s'éloigner à mesure que l'avion prenait de l'altitude, puis, à l'est, la chaîne de montagnes bordant Kalos, si petites vu d'en haut, quand les nuages ne les masquaient pas. Passés les derniers pics, je me désintéresse très vite du paysage. Pas qu'il soit monotone, mais je n'aurais même pas pû dire quelle région on survolait, alors forcément, c'était moins drôle. Et même si ça ne l'était pas beaucoup plus, j'ai passé une bonne partie de mon temps à réviser mes cours. Mon retard continuait de s'accumuler, alors ces si longues heures ont été rentabilisées, surtout que je n'avais aucune distraction à portée de main. Je me suis à peine interrompu pour engloutir un plat de nouilles proposé par une hôtesse avant de replonger dans mes leçons.

Miel de fleurs

Malgré toutes mes belles promesses, une part de moi était consciente que ce sérieux s'évanouirait dès mon arrivée. Jusque là, peu importe les efforts que j'avais fourni, je n'étais jamais parvenu à changer ce trait de caractère chez moi, au grand désespoir des grands. Mais je n'y peux rien, il y a trop de choses dignes d'intérêt dans ce monde pour se forcer à apprendre des bouquins par cœur encore et encore, et ce voyage était un concentré de découvertes. Tu sais qui tu devras essayer de convaincre quand tu ne voudras pas faire tes devoirs.

A l'atterrissage, j'étais une pile électrique. Tout était dans mon sac, rangé en avance, pour que je n'aie plus qu'à sauter hors de l'avion et rejoindre M. Matsubara. J'aurais pensé que la scène qu'on voit dans les films, avec les pancartes qui portent le nom de la personne attendue, ce n'était qu'un truc de fiction, mais j'en ai déchiffré un certain nombre. Certaines étaient si mal écrites que je devais deviner plus que de lire, j'ai fini par tomber sur la bonne. De toute façon, la cicatrice que l'homme portait à la joue était un bon indice et aurait pu jouer le rôle des écriteaux, puisqu'elle n'était pas partagée par beaucoup. Lui non plus n'a pas eu besoin que je me présente pour me reconnaître, mais pas pour les mêmes raisons : qu'il ait déjà vu une de mes vidéos, une simple photo ou comme moi une simple description, difficile de passer à côté de mes cheveux jaunes et bleus. Dès que je suis passé à côté de lui, il mit sa main dans mon dos et me guide à l'écart. Il ne l'enlève qu'une fois éloignés des foules, où il reprend de la distance et me salue de manière plus posée et plus au calme.

J'avoue que je ne l'ai qu'à moitié écouté. Je n'ai retenu que les informations les plus importantes : le programme de la journée et de la semaine, et ce qui pourrait m'intéresser pour une prochaine vidéo. Car moi qui prévoyait de chercher sur place d'autres intervenants, une fois les dossiers sur Apitrini et Apireine bouclés - s'il me restait du temps - j'ai découvert que Daiki s'intéressait également aux insectes en général et accepterait de m'en parler davantage.

Miel de fleurs

L'homme se montre plus bavard au volant. De menuisier à entomologiste, il n'a pas un parcours très ordinaire. Si ce n'est pas un exemple de liberté… Il n'est jamais trop tard pour reprendre sa vie en main. Enfin, s'il te plaît, évite l'accident professionnel si tu veux changer de voie, il y a plus simple, d'accord ? Même s'il aborde le sujet avec légèreté, son neveu m'avait averti qu'il en avait bavé. Ce tournant ne venait pas de nulle part. Ça aurait pu être beaucoup plus grave qu'une balafre. Ce genre d'émotions, ça pousse à remettre en question ce qu'on pense acquis. Mais ça lui aura au moins permis de se raccrocher à ses véritables passions. Il est sans doute plus heureux comme ça. Et ces passions seront une véritable mine d'or pour moi. Sinnoh ne manque pas d'insectes étonnants qui soulèvent de nombreuses questions, à commencer par Cheniti, avec sa triple environnementale, et Mélokrik, aux talents de musicien. Avant même d'arriver, je savais que cette semaine allait être très enrichissante.

La bâtisse était située au beau milieu des champs. Il faut dire que Floraville n'était pas connue pour ses immeubles et gratte-ciel. Quelques maisons possèdent un étage mais la plupart s'étendent plutôt au sol, dans un style tantôt traditionnel, tantôt plus moderne, et celle de Daiki ne faisait pas exception. Isolée parmi les fleurs, c'était indéniablement le cadre idéal pour n'importe qui souhaitant se reconnecter avec la nature. Pour moi qui ai toujours vécu en ville, que ce soit à Yantreizh ou à Flusselles - et encore, je ne parle même pas d'Illumis puisque je n'en garde aucun souvenir - ça change. J'aimerais bien vivre dans un endroit pareil - et t'y voir y grandir - mais avec nos études en cours et notre budget serré, il va falloir encore attendre avant de pouvoir investir dans un tel manoir ! C'était d'autant plus impressionnant à l'intérieur, où l'entrée débouche directement sur un salon lumineux avec de nombreuses portes vitrées. Des pokémons se promenaient un peu partout, sur les meubles ou au plafond, comme si c'était davantage chez eux que chez leur dresseur. Mais ça n'a pas l'air de les déranger non plus. Mme Matsubara tricotait dans son fauteuil sans s'en soucier le moins du monde.

Miel de fleurs

Juste au-dessus d'elle, un Mimigal tissait sa toile et m'accueillait avec le sourire dessiné sur son dos qui aurait pu en faire frissonner beaucoup. « Bonjour Madame. » Je me suis avancé pour me présenter, mais elle n'a pas levé la tête. J'ai répété, plus fort et plus près de la vieille femme : « Bonjour Madame. » Cette fois, elle m'a entendu. « Bonjour jeune homme. Qui êtes-vous ? » « Votre fils ne vous a pas prévenu ? Il m'a invité pour me parler de ses Apitrini et peut-être d'autres de ses pokémons. Je m'appelle Orion, enchanté. » Elle a froncé les sourcils, signe d'un gros effort de mémoire. « Oh… Oui, c'est possible. Bienvenue chez nous. » Je l'ai remercié, mais elle m'avait déjà oublié. Son tricot avait repris toute son attention. Mais Daiki n'a pas tardé à revenir pour me mener jusqu'à ma chambre. J'avais prévu de juste poser mes affaires, mais après avoir scrollé un peu voir les news de ma chaîne et de celles des copains, je me suis endormi comme une masse sur mon futon. Le décalage horaire, ça ne pardonne pas.

Ce sont les appels m'indiquant que le repas était prêt qui m'ont sorti de mon sommeil. La cuisine de Sinnoh n'avait absolument rien à voir avec ce qu'on peut trouver à Kalos, et encore moins avec tes biberons et petits pots. J'ai peut-être laissé quelques grimaces s'échapper - j'ai beau faire des vidéos, je ne suis pas un bon acteur - et Daiki a éclaté de rire. Sa femme lui a donné un coup de coude et m'a proposé autre chose, mais j'ai refusé. Passé la première impression, c'était vraiment pas mauvais ! Et puis j'étais trop intéressé par les histoires de Daiki et de ses pokémons. Malgré tout, j'avais presqu'oublié l'objectif de mon voyage. Je grappillais juste tout le savoir qu'il me confiait. Moi, un grand adepte de toutes les découvertes, et lui, adorant partager sur sa passion, on était fait pour s'entendre. Mais le reste de la tablée était moyennement convaincue. Je crois que sans leur volonté de m'accueillir dignement, les deux femmes auraient préféré ne pas être là. Vu le bonhomme, elles avaient déjà dû beaucoup l'entendre parler de ses bébêtes et saturer du sujet.

Miel de fleurs

Pas moi. Il m'en aurait fallu beaucoup plus pour venir à bout de mon intérêt. Immédiatement en sortant de table, Daiki m'a mené à l'une de ses ruches, les fameuses pour lesquelles j'avais fait tout ce déplacement. Elle ne ressemblait pas du tout à ce que j'imaginais. En fait, j'ai commencé par entendre un drôle de bruit. Un bruit de moteur d'avion ou un truc du genre. Surprenant lorsqu'on se trouve en pleine nature ! J'ai immédiatement interrogé Daiki, qui lâcha un rire de surprise.

- Tu sais, les Apitrini et les Apireine sont très sensibles à l'humidité et à la chaleur. Donc quand il pleut beaucoup comme en ce moment, ou qu'il fait trop chaud ou trop froid, elles se posent à l'entrée et font vibrer leurs ailes pour réguler tout ça.
- Ah !

Malgré la satisfaction d'un nouvel apprentissage, je me sens soudain très bête. Pas de l'avoir ignoré, ça c'est normal. Je veux dire, on ne peut pas se poser des questions sur demande. Si rien ne nous pousse à nous découvrir un sujet, difficile d'en obtenir des réponses. Mais surtout, je n'avais rien filmé. D'habitude, je faisais surtout ça posé, dans un labo du CRN, ou une pièce que je transforme en studio le temps de mes interviews. Le fait d'être sur le terrain, c'était tout nouveau. J'ai expliqué la situation à Daiki puis sorti de mon sac ma caméra. Avec le bruit, j'ai renoncé à le faire répéter, d'autant que ça aurait manqué de naturel, mais j'ai tourné quelques commentaires pendant qu'on continuait à marcher, devant ou derrière la caméra, sans trop savoir s'ils seraient utiles au montage.

Et enfin, nous sommes parvenus à une grotte. L'entrée avait une forme assez spéciale, mais elle était tout de même assez grande. En levant les yeux, j'ai repéré d'autres ouvertures dans la paroi, animées selon le rituel décrit par mon hôte. Nos pas avaient dû effrayer les Apitrini activées à celle-ci. Daiki franchissait le seuil naturellement et je l'imitais avec plus d'appréhension.

A l'intérieur, c'était le tumulte. Les insectes volaient partout pour prévenir de notre arrivée. Daiki s'est avancé vers l'un d'eux et a fait les présentations à un Apitrini proche. Et tu sais quoi ? Et bien, ça a marché.

Miel de fleurs

Ce doit être son ton, mais l'Apitrini m'a reconnu comme un simple visiteur et non comme une menace et a fait passer le message. L'effervescence s'est calmée doucement et leur vie à repris, comme avant. Partout contre les murs, des Apitrini s'étaient agglutinés, formant des plaques dans lesquelles il était difficile de reconnaître chacun d'entre eux. Et ces plaques se répartissaient un peu partout contre la roche. Elles semblaient plus nombreuses dans les parties hautes de la ruche, mais on n'y voyait pas grand-chose - seule la partie basse de la grotte était éclairée. Les ouvertures devaient déboucher sur des boyaux trop tortueux pour laisser filtrer la lumière. Je pouvais quand même deviner que c'était probablement là où se cachait leur Apireine. On était tolérés, mais ça ne voulait pas dire qu'on pouvait l'approcher et ses petits feraient en sorte de la protéger au péril de leur vie. Et Daiki n'avait pas manqué de me prévenir : aucun apitrini n'était véritablement le sien, il n'était que le propriétaire de l'endroit.

Il venait régulièrement récolter un peu de miel. Certaines cavités étaient remplies pour servir de garde-manger, certaines plus accessibles que d'autres. Je suppose qu'il se servait en suffisamment petites quantités pour que la ruche ne le considère pas comme un nuisible.

- C'est fou ! Je n'imaginais pas ça aussi grand !
- Ouaip, et il y en a encore d'autres.
- Ça fait tellement d'Apitrini !
- Comment crois-tu qu'on a autant de fleurs ici, à Floraville ? Il faut bien des pollinisateurs…
- C'est magnifique ! Et ces blocs d'Apitrini… Vous savez comment ils font pour voler ensemble, comme ça, de manière coordonnée ? C'est incroyable !

Je n'avais pas cessé de filmer mais je ne savais pas où donner de la tête. J'espérais que mes plans ne seraient pas trop flous mais difficile de prendre le temps de mettre au point l'image alors que de l'autre côté, les pokémons s'activaient. Le seul vrai moment où je parviens à me focus, et l'image par la même occasion, c'était une Apitrini qui en nourrissait un autre, probablement un tout jeune qui n'avait encore jamais quitté la ruche. Fascinant. Même si une part de moi ne pouvait pas s'empêcher de jeter un œil aux œufs, cachés dans les aspérités de la pierre, guettant une potentielle éclosion.