« Qu’est-ce que tu fais ?
- Le café de M’sieur Gaspard.
- Ah, il est sorti de son aquarium ?
- Lia...
- Oh ça va, il a pas de la famille ce petit vieux ?
- Une fille, mais elle habite loin, Kalos je crois.
- Tu gagnes pas plus de points parce que tu joues les bons samaritains, hein.
- Il est sympa.
- ... C’est toi qui vois. »

Une discussion aussi redondante que les gestes qui l’accompagnent. Santiago a pris cette habitude, lorsqu’il voit l’homme sur ça petite chaise pliante, au bout de la rue qui donne sur l’arrière-cours du Flamingo. Un petit vieux, en effet. Un bonhomme que l’âge a quelque peu replié sur lui-même, plus un cheveux sur le caillou, mais de grands yeux cerclés d’épaisses lunettes noires et une pipe qu’il fume par réflexe, comme il dit. L’homme est aveugle depuis aussi longtemps que Santiago le connait, cela fait plusieurs années maintenant.

Alors pourquoi les lunettes, vous me direz ? Parce que... Ça participe à ce qu’il est, d’une certaine façon. Elles l’ont accompagné dans sa vie de voyant, ces binocles, il ne s’imagine plus les enlever, même si elles sont plus guère utiles, maintenant. « Elles faisaient leur petit effet sur les dames, à l’époque ! » Il dit ça avec son large sourire, parfois.

Parce que c’est ce que l’on retient de monsieur Gaspard, la plupart du temps. Aveugle, oui, mais éternellement souriant. Il habite un tout petit appartement de ville, en rez-de-chaussée et il lui arrive de vouloir prendre l’air, alors il prend sa petite chaise pliante et s’installe sur le trottoir, sa canne reposant contre sa jambe, sa pipe à la bouche. Il se contente d’être là, spectateur silencieux mais attentif à tous les bruits de cette rue passante. La plupart des gens le connaissent et le salue, alors il en fait de même avec un enthousiasme sincère. Il n’ose jamais le faire lui-même « Tout va trop vite maintenant, vous êtes tous pressés, je voudrais pas déranger... » mais ça lui fait plaisir quand d’autres s’arrêtent un peu, pour discuter. Des petits mots mais toujours ce large sourire sur son visage et ses yeux opaques qui se tournent vers vous, au son de votre voix.

Quand il a commencé à travailler au bistrot, Santiago a rapidement remarqué ce petit homme assis sur sa chaise, qui n’embêtait personne et se contentait de rester là, tout simplement. Alors il l’a salué au passage, pour aller travailler. Et... Il lui a offert un café, une fois. Avec un sucre. « Au point où j’en suis... Je vais pas me priver de petits plaisirs ! » Puis il l’a refait, et refait encore. C’est devenu un petit rituel, quand le boulot lui en laisse l’occasion, et que les moments où monsieur Gaspard sort dans la rue correspondent à des moments calmes, au Flamingo.

C’est le cas, là, alors Santiago ne se prive pas pour faire couler l’expresso, sans oublier le sucre. Esme l’a vu faire, une fois, et n’a rien dit. Mais sinon, il récupère toujours des pièces dans son portefeuille, à la pause, qu’il glisse dans la caisse ensuite. Il tient pas à se faire emmerder pour ça. Comme dit Lia, c’est lui qui voit, après tout.

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(588 mots)

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Apparition d'un pokémon sauvage, s'il vous plait.

Le temps que le café coule, Santiago en profite pour essuyer deux-trois verres. Le bruit de la machine qui termine de couler le pousse à passer de l’autre côté du bar. À cette heure là, en plein milieu d’après-midi, il y a rarement grand-monde, alors il lance à travers l’ouverture prévue pour donner droit sur les cuisines : « Esme, j’prends ma pause ! ».

Il le dit par principe, Lia aurait très bien pu se charger elle-même de l’indiquer à leur chef, au besoin. Mais bon, c’est toujours mieux de le dire ainsi. Esme ne lève pas le nez du stock de pommes de terre qu’elle est en train de compter et lance un « Ok, un quart d’heure, pas plus. », c’est la durée habituelle pour se genre de break. Il récupère la tasse et sa coupelle et passe devant Lia avec un grand sourire, tandis que celle-ci se contente de lever les yeux en soufflant : « T’es fatiguant Lucci, tu le sais ça ? ». Franchement il le sait mais on peut dire que dans son genre elle est pas mal non plus. Il ne compte plus les mecs qu’elle a rancardé un soir et qui viennent se pointer en jouant les gros bras au bar, par la suite. Si elle n’a pas particulièrement besoin de Santiago ni même Mario pour l’aider, elle n’est jamais mécontente lorsqu’ils viennent faire barrage et ajoute aux mots bien salés qu’elle lance à ses prétendants. « J’leur promets rien, et ils le savent ! »... Des fois Santi’ se demande s’ils sont aussi au courant qu’elle le dit. Enfin... Là n’est probablement pas la question.

Pour le moment, il s’applique à parcourir à pas pressés la ligne droite jusqu’à monsieur Gaspard, en tenant la tasse fumante droite devant lui, sans rien renverser. Cela rappellerait presque les jeux d’enfants où celui qui gagne à la fin et celui qui a renversé le moins d’eau. Bon, le café brûlant sera probablement bien moins rigolo s’il venait à se déverser sur son pantalon, alors il s’applique. Et s’en sort assez bien, jusqu’à arriver à portée d’oreilles du vieil homme.

Celui-ci est bien là, enfoncé dans sa petite chaise dont la peinture blanche s’écaille par endroit, et tourne la tête en sa direction. « Tiago ? » À l’entendre un sourire prend place sur les lèvres du Lucci. Voilà un moment qu’il a arrêté de se battre pour la prononciation complète de son prénom. L’homme est un peu dur de la feuille et il a décidé qu’il s’appellerait Tiago, alors... Qui est-il pour le contredire, hein ?

« C’est bien moi, M’sieur Gaspard ! Je vous amène votre café.
- Oh, c’est gentil ça. »

A la façon dont le vieillard se tourne un peu plus vers lui, Santiago comprend le respect qu’il a envers lui et cette petite habitude désintéressée. Alors il s’avance encore un peu et pose sa main sur l’épaule de l’homme assis, sans vouloir l’effrayer. « Je vous le mets sur vos genoux, mais attention il est chaud. » En des gestes doux, il pose alors la coupelle, la tasse en son centre portant une petite cuillère, puis il guide la main droite de Gaspard de façon à ce qu’il tienne la sous-tasse. « Voilà, vous brûlez pas. » Petit hochement de tête du concerné et Santiago se recule. Comme il a pris l’habitude de le faire, il se décale et s’appuie contre le mur tout proche, un peu en retrait de l’aveugle. Ce dernier se doute bien qu’il est là vu que son visage est toujours tourné en sa direction et il lance : « Fait bien beau en ce moment, non ? ».

Ça peut paraitre anodin mais ça commence souvent comme ça, avec monsieur Gaspard. La météo c’est important.

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(629 mots)

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Tentative de capture.:

Pendant plusieurs minutes, tranquillement, Santiago rebondit sur les sujets favoris de monsieur Gaspard : le soleil toujours présent (« Mais avec un peu de vent quand même, on respire ! »), les touristes qui se baladent éternellement sur l’île et celles voisines, ou les gens dans la rue, quelques habitués qui saluent le vieillard et dont Santiago ne sait que peu de choses. Cela l’amuse, dans tous les cas. Il apprend de petites anecdotes sur certains visages qu’il a déjà dû croiser. « La jeune dame au coin de la rue, Louise, elle a une jolie voix. Vous la connaissez ? ». Le sourire sur les lèvres, le Lucci secoue la tête. « Non, je ne crois pas. »

Et le Gaspard d’enchaîner : « Vous devriez, elle a l’air charmante ! ». Parole de séducteur. De ce que Santiago a compris, l’homme a fait chavirer bien des cœurs dans sa prime jeunesse. Lui, il n’a pas grand-chose à en dire. C’est sûr qu’il sait y faire, lui aussi, et disons qu’il ne s’ennuie pas en la matière… il n’a pas vraiment besoin des conseils du vieil homme, pour le coup. « J’vous crois sur parole, vous avez du flair pour ces choses-là. » Il en rigole et la voix éraillée en fait de même à ses côtés, tout en soufflant sur la tasse qu’il serre toujours entre ses mains.

Un flottement paisible s’impose et le regard de Santiago se perd dans la contemplation du mur de l’autre côté de la rue. Différentes pensées le traversent. La bonhommie reposante de l’aveugle, son regard simple mais enjoué sur une vie pourtant pas simple. Forcément cela lui rappelle d’autres événements, d’autres sourires, d’autres bons moments. Comme le festival de Romant-sous-bois… au début tout du moins. Désormais ce souvenir est des plus contrastés, noirci par son issue, l’explosion, la sensation d’avoir été manipulé du début à la fin. Et ce qui a suivi, ensuite. La discussion avec Kalei, Linus qui a cru bon de donner son avis et Safia, ensuite. L’arrière-goût d’amertume revient s’imposer chez Santiago, il a été considéré comme un idiot, alors. Un gamin. Il a vingt-six ans, il n’a pas besoin qu’on lui apprenne combien la vie peut être ingrate, seulement il y a une grande différence entre le savoir, y faire face, et être de ceux qui apportent la mort. Il doit se faire une raison, s’il veut aller plus loin, venger son frère également, il ne peut pas se contenter d’être un petit toutou naïf. Ni un simple serveur souriant. Même s’il aime ça. Même si actuellement c’est ce qu’il fait de mieux.

Alors les mots glissent sans qu’il réfléchisse réellement de savoir à qui il les adresse. Le silence s’est installé tranquillement entre eux et le vieillard boit quelques gorgées de café chaud quand... « Vous avez déjà eu la sensation d’être pris dans un truc qui vous dépasse, m’sieur Gaspard ? ». Une fois prononcée à voix haute, Santiago ne sait même pas si cette phrase traduit véritablement tout ce qu’il ressent, en ce moment. Disons que c’est un bon point de départ.

« Ah ça... Souvent. »

Le Lucci hoche la tête, oubliant un moment la cécité de celui à ses côtés. Il ne le regarde pas non plus, cela dit, les yeux toujours rivés sur le mur d’en face.

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(555 mots)

MODÉRATION.

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